À Tiga, « la population est agacée »

Une scène qui appartient au passé, le Ieneic n’étant plus disponible. La province des Îles instaure des rotations de son bateau Eötr entre Lifou et Tiga pour pallier le manque de transport. (© Archives Y.M)

Privée aujourd’hui du bateau Ieneic et de l’avion d’Air Loyauté pour des raisons techniques, l’île de Tiga est une nouvelle fois confrontée aux manques de diverses natures et à l’isolement. La province des Îles et la mairie de Lifou sont interrogées sur les possibles solutions.

Le souvenir est bien lointain. « C’est un retour de 60 ans en arrière », souffle Jacques Wabete, originaire de l’île et domicilié à Nouméa. D’ailleurs, « les enfants n’ont pas pu y aller pour les vacances ». Magnifique caillou naturel posé à équidistance de Maré et Lifou, sa commune de référence, Tiga, n’a plus de liaisons régulières avec le reste de la Nouvelle-Calédonie. Ni bateau Ieneic, ni avion d’Air Loyauté. Le plus petit bijou de la province est seul. « Nous savons gérer les coups durs avec de l’entraide au quotidien, et l’isolement n’a jamais vraiment été un problème, car nous sommes une communauté solidaire », observe Kouriané Kouriané, 28 ans, agent communal polyvalent de la mairie de Lifou basé sur Tiga et fils du chef de l’île, Louis Hnakaune Kouriané. « Cependant, il est vrai que la population est agacée par cette situation qui n’évolue pas. »

Touché par une importante panne mécanique, le catamaran Ieneic, baptisé ainsi en mémoire de Jacques Iekawé Ieneic, premier sous-préfet kanak né à Tiga, est indisponible depuis août 2022. Et le dernier vol de l’avion d’Air Loyauté à destination de l’île date du 17 décembre 2023, après deux années un peu chaotiques dans les plannings.

Tokanod, en langue drehu, et ses 80 habitants se heurtent dès lors à des difficultés de « réapprovisionnement en médicaments », à l’absence de « visites régulières du docteur et du dentiste », ou encore à des reports, voire à l’annulation, de « rendez-vous médicaux importants à l’extérieur », liste Kouriané Kouriané. Cas répandu, Marie, 72 ans, était « venue à Nouméa pour le docteur » et maintenant, « je suis bloquée » dans la capitale. Philosophe, la mamie « accepte », et « attend ». De sérieux retards dans le courrier et surtout le manque de produits alimentaires de première nécessité par moments pèsent sur le moral. Les rotations d’une barge instaurées par la mairie de Lifou, ainsi que de bateaux de pêche, ont apporté un bol d’air.

La flotte d’Air Loyauté est vieillissante, à entendre les usagers. « J’assume aujourd’hui l’héritage du déficit à tous les niveaux » estime le président de la province des Loyauté, Jacques Lalié. (© Archives Y.M)

UN COÛT DE 47 MILLIONS DE FRANCS

Lassée, « la communauté » s’est mobilisée, à travers le collectif Ininata, devant le local d’Air Loyauté à Magenta et à l’antenne de la province des Îles à Nouméa, le 27 décembre. Selon le président de l’institution, Jacques Lalié, une réunion est prévue en mars entre des représentants de l’île, l’État, la commune de Lifou, la province… afin de tenter de dénouer le problème. Après expertise, le coût de réparation du Ieneic atteindrait 47 millions de francs. Le catamaran, mis en vente, « ne sera pas remplacé pour le moment », indique Jacques Lalié, pour qui « la route Wé – Tokanod est de la compétence de la commune normalement ».

Du côté de l’aérien, un nouvel avion devrait intégrer la flotte d’Air Loyauté d’ici la fin de l’année. Aujourd’hui, « on sonde toutes les possibi- lités » pour pallier l’absence de transports vers Tiga, explique le président des îles Loyauté. Comme le conventionnement avec des acteurs privés locaux. Mais une échéance approche : la rentrée scolaire. En début de semaine, selon Kouriané Kouriané, « quelques parents, enfants, le maître, l’aide maternelle et l’agent de nettoyage de l’école sont encore bloqués à Nouméa, comme le sont encore ici des parents et enfants ».

Yann Mainguet