À Numbo, les épaves sortent de l’eau

Les carcasses de bateaux sont levés grâce à une grue, qui peut supporter jusqu’à 260 tonnes. (© A.-C.P.)

C’est le début d’un vaste projet lancé l’année dernière, la réalisation d’un pôle maritime visant à valoriser l’économie bleue en Nouvelle-Calédonie : la dépollution de la baie de Numbo, à Ducos. Prochaine étape, l’aménagement d’une zone de maintenance et de réparation navale.

Au bord de l’eau, des carcasses de bateaux prennent le soleil. En plus ou moins bon état. Certaines ne sont plus qu’un tas de rouille. Il s’en dégage une forte odeur d’algues. « C’est une joie de les voir posées là et plus dans l’eau », déclare Christopher Gygès, membre du gouvernement chargé de l’économie maritime.

Vendredi 26 mai, il assiste à une opération de levée d’épaves par EMC. Pour les évacuer de la baie, l’entreprise est secondée par les plongeurs de Scaphca, qui ramènent les navires jusqu’au bord. Là, une imposante grue les enlève de l’eau. Pas moins de 21 décombres de bateaux, 45 corps morts, des frigos, pneus, lave-linge, moteurs de climatisation ou de camion… ont été recensés après une phase de diagnostic menée l’an dernier.

La dépollution de Numbo a commencé par le nettoyage des voiries et l’enlèvement des véhicules hors d’usage (24, soit 200 tonnes de déchets traités) en 2022. Depuis le 13 février, c’est au tour des navires hors d’usage. Quinze tonnes ont été traitées jusqu’à présent sur une estimation de 300. Ce chiffre devrait être dépassé d’ici la fin du chantier, prévu le 14 juillet. « Depuis le repérage, deux nouvelles épaves ont coulé. Parfois, les déchets qu’on récupère sont plus gros que ce qui avait été observé. On découvre toujours des choses au fur et à mesure », raconte Sylvain Lavallée, directeur commercial et conducteur de travaux chez EMC.

UNE FILIÈRE DE TRAITEMENT DES VIEUX NAVIRES

Ce qui reste des embarcations sèche pendant quelque jours. Ensuite, après avoir levé toute suspicion d’amiante, le curage et le démantèlement commencent. Ce qui peut servir est revendu, l’aluminium est fondu à Ducos, et ce qui n’est pas valorisable, comme le plastique, part à l’enfouissement à Gadji.

Depuis plusieurs années, l’objectif est de créer une filière de traitement des navires hors d’usage, qui serait une des composantes du futur pôle maritime. La province Sud y travaille. « On espère aboutir à une réglementation en 2024 », indique Françoise Suvé, afin d’éviter que le lagon ne devienne « un cimetière d’épaves », sachant qu’environ 6 000 bateaux vont arriver en fin de vie d’ici quelques années.

En attendant, d’autres opérations ponctuelles de démantèlement doivent être menées. « À Dumbéa, des barges sont dans la baie d’Apogoti depuis des dizaines d’années, elles pourraient approvisionner la filière en train de se structurer. »

La troisième étape consiste à améliorer l’image de Numbo et aménager la baie afin d’accroître son activité. Si le programme n’a pas encore été validé, il est annoncé, d’ici 2024, la réfection de la rampe de mise à l’eau, une zone de travail mutualisée pour la maintenance et la réparation navale, la consolidation d’une partie du trait de côte (pour pallier l’érosion) et la réorganisation des mouillages. Cela s’accompagne d’un volet protection de l’environnement en vue de faire évoluer les pratiques des sociétés.

PAS ASSEZ « TOURNÉ VERS LA MER »

La revalorisation de la baie s’inscrit dans l’ambitieux pôle maritime, qui doit aboutir en 2030. Il a pour but de fédérer les acteurs du secteur afin de dynamiser l’économie bleue. « On s’est rendu compte qu’on s’était insuffisamment tourné vers la mer », reconnaît  Christopher Gygès. Pour financer ce programme estimé à plusieurs milliards, le membre du gouvernement compte solliciter l’État sur le prochain contrat de développement.

Enfin, semble dire Luc Sorlin, pilote du groupe synergie et réparation navale au cluster maritime. « Cela fait plus de six ans qu’on porte cette idée. Le pôle maritime représente un réel potentiel. Il faut doter la Nouvelle-Calédonie des moyens de levage afin de pouvoir assurer les gros carénages ici. »

Alain Giraud milite depuis des années pour l’essor de la zone.
Le responsable HSE chez Cotransmine et membre de l’association Numbo développement souhaite que les savoir-faire de la vingtaine d’entreprises de la place soient utilisés. « L’objectif est de créer de nouveaux marchés qui échappent aux Calédoniens alors que les compétences sont là. Sablage, peinture, chaudronnerie, mécanique : il y a tout ce qu’il faut, mais ce n’est pas exploité parce qu’il manque des infrastructures. On pourrait avoir un port scientifique ou effectuer le contrôle réglementaire des minéraliers. »

Le début d’une large réflexion afin de définir les rôles de chacun dans le futur pôle maritime.

Anne-Claire Pophillat

400 millions de francs

C’est le montant de l’enveloppe dévolue à la dépollution et la revalorisation de Numbo (110 millions pour les études et les opérations de dépollution et 245 millions pour les aménagements) et aux études en vue de la création du pôle maritime (55 millions).

Le pôle maritime

C’est un projet d’infrastructures maritimes lancé en 2022 afin de développer et structurer l’économie maritime autour de la baie de Numbo (pôle chantier naval), la grande rade de Nouville (pôle formation et numérique) et la petite rade (pôle maritime et tourisme).