À la recherche de la fourmi perdue

La fourmi bouledogue fait l’objet de controverses scientifiques sur l’origine et l’évolution de la socialité chez les fourmis. Pour cause : leur grande taille, leur caractéristique prédatrice, pas de soldats et un comportement de chasse en solitaire. / © IRD, Jean-Michel Boré

La Myrmecia apicalis s’est-elle éteinte sur la Grande Terre ? Hervé Jourdan, spécialiste des insectes à l’IRD, pense que non. Il invite les Calédoniens à partir en quête de cette fourmi démesurée et fascinante. Mais attention, elle pique.

Il était une fois… une fourmi géante dénommée Myrmecia. Son histoire n’est pas banale. Son patronyme non plus. Le tempérament légèrement agressif qui lui colle aux mandibules lui vaut d’être appelée fourmi bouledogue. Cet insecte ressemble à une guêpe. Elle peut mesurer jusqu’à deux centimètres, possède un puissant venin, de grands yeux et des mâchoires parfaitement visibles à l’œil nu. Un petit « démon » tombé du ciel au premier abord. Toutefois, en l’observant de plus près, cette fourmi se révèle spectaculaire et exceptionnelle. Mais encore faut-il pouvoir l’approcher ! Il fut un temps où elle régnait dans la ceinture tropicale de la planète : il y a plus de 50 millions d’années selon les registres de l’ambre fossile.

Aujourd’hui, on ne les rencontre plus qu’en Australie et sur le sol calédonien (avec respectivement 93 espèces australiennes et une espèce ici). Elle constitue sans aucun doute un patrimoine biologique unique pour le territoire. Mais pour les trouver, bon courage. Hervé Jourdan, spécialiste des insectes à l’IRD, l’a recherchée durant des années. « La première étude sur les fourmis en Nouvelle-Calédonie remonte à 1883, avec des bêtes récoltées en 1881 au début du bagne. Après, pendant 100 ans, on ne la voit plus. »

UN INSECTE BIEN MYSTÉRIEUX

Disparue. Volatilisée. Un Américain retrouve sa trace dans les années 1940 en s’intéressant aux guêpes. Après 15 ans de prospection intensive en Nouvelle-Calédonie, Hervé Jourdan met enfin la main dessus, littéralement, en 2008, à l’île des Pins. Il s’en souvient encore. « Je me suis fait piquer et ça fait très mal. Ce n’est pas parce que c’est méchant, c’est parce qu’elle se défend. Je me suis amusé avec. J’étais trop enthousiaste. »

L’entomologiste l’avait traquée partout, mais pas comme il le fallait. Durant cent longues années, les chercheurs l’ont pistée comme s’il s’agissait d’une fourmi australienne, c’est-à-dire une espèce nocturne, non arboricole et observable dans les milieux ouverts. Or, notre fourmi calédonienne se révèle être tout le contraire. « On ne la cherchait pas au bon endroit. » La fourmi d’Hervé Jourdan a intéressé une large communauté qui dépasse les frontières de l’archipel. « Parce qu’il y a ce côté emblématique, de savoir pourquoi c’est resté là et en Australie. »

Edward Osborne Wilson, biologiste de l’évolution et spécialiste des fourmis, et Hervé Jourdan, entomologiste à l’IRD. / © IRD, Jean-Michel Boré

Edward Osborne Wilson (1929-2021), biologiste et myrmécologue américain de notoriété mondiale, père du concept de « biodiversité », a fait le déplacement dans les années 1950 sur le territoire. Il est revenu en 2011, 55 ans plus tard, pour une première étude de terrain aux côtés d’Hervé Jourdan. S’il avait pu, il lui aurait décerné la médaille du courage pour avoir pris un vrai risque lorsqu’il en a attrapées. Cette expédition permet la publication d’une grande étude sur les fourmis bouledogues (du point de vue de l’évolution sociale et de la biogéographie) dans la revue Molecular Phylogenetics and Evolution (Mol Phyl Evol). « Le fait de la retrouver nous a interrogés sur le reste. Ça raconte une histoire du vivant. Ce ne sont pas des fossiles, ce sont des insectes modernes qui ont des traits ancestraux. »

Dans cette publication figure l’élucidation de questions concernant l’espèce calédonienne, notamment sur l’estimation de sa date de colonisation de l’archipel, il y a environ 14 millions d’années. « La Nouvelle-Calédonie était déjà dans sa position, alors comment sont-elles arrivées ? L’improbable est probable.»

« DITES-MOI OÙ ELLE EST ! »

L’entomologiste se fascine pour ces « bestioles ». Car ce sont des animaux sociaux, « comme nous », des ingénieurs des écosystèmes et des super prédateurs. Les termites à côté ? De vrais losers. « Les fourmis bouledogues sont marrantes, on ne les voit pas car elles nous voient avant. Il faut trouver les nids au sol. Elles ont l’air de faire un peu de prédation. On les a vues ramener beaucoup de cupules, du nectar », déroule le passionné à une vitesse folle. Hervé Jourdan appelle les Calédoniens à courir après cette fourmi sur la Grande Terre. « On pense qu’elle s’est éteinte, mais ce ne serait pas le cas. » Alors où la chercher ? « Dans des endroits rares, sans doute littoraux. »

Le fan de Myrmecia rêve d’acquérir davantage de connaissances. Que tout le monde contribue à remuer ciel et terre afin de résoudre cette énigme de la biodiversité. « Allez voir cette fourmi, dites-moi où elle est ! » C’est un ordre d’Hervé Jourdan.

Edwige Blanchon

À SAVOIR

Il existe aujourd’hui sur le territoire 139 espèces de fourmis qui ont été nommées. « Mais on en trouve en tout 250 », précise le spécialiste.