« Je cherche à apporter une réponse argumentée à la désinformation ambiante »

Hervérifie, c’est le nom de la page Facebook créée en 2019 par un médecin généraliste métropolitain qui fait de la vulgarisation scientifique depuis dix ans. Après avoir été la cible de menaces et de harcèlement, il a décidé de préserver son anonymat. Hervérifie passe au crible les rumeurs et l’actualité de l’épidémie. Il s’est également penché sur la crise sanitaire en outre-mer, notamment en Nouvelle-Calédonie. Entretien.

DNC : Quel est l’objet de la page Facebook Hervérifie ?

Hervérifie est destinée à apporter une réponse argumentée à la désinformation ambiante, spécifiquement sur la santé et en particulier sur la vaccination.

Pourquoi ce que vous publiez serait plus crédible que le contenu d’une autre page ?

Je m’efforce d’apporter deux choses : des données solides avec les sources que chacun peut consulter et un esprit critique afin que chacun comprenne qu’en matière de science, le messager n’a aucune importance : c’est la validité du message qui compte. J’incite aussi le lecteur à aller vérifier lui-même si ce que je dis est vrai. Le but est qu’il comprenne qu’il n’a pas besoin de me faire confiance, puisque je ne fais que décrire des faits et les lui montrer. Mon objectif est que chacun puisse prendre sa décision de façon éclairée. En dix mois de discussion sur les vaccins avec mes patients en tête à tête, je n’ai essuyé qu’un seul refus pour des centaines de patients rassurés.

De quoi faut-il se méfier ?

Il faut se méfier de ceux dont le principal argument est le CV ou le statut. Le plus brillant des prix Nobel peut se fourvoyer, en particulier quand il s’aventure en dehors de son champ de compétences. Par exemple, l’avis d’Albert Einstein sur la médecine n’aurait pas plus de poids que mon avis sur le jardinage.

Je fournis toujours les sources des chiffres ou données que j’utilise et j’incite le lecteur à aller vérifier lui-même si ce que je dis est vrai.

Quels sont les critères qui font la valeur et la qualité d’une information ?

Le fait qu’elle soit soumise à la critique de la communauté scientifique et médicale, tout d’abord. Quand un scientifique ou un médecin affirme avoir découvert un traitement miracle, il se doit de le démontrer et de soumettre ses résultats et sa méthode à la communauté par le biais d’une publication scientifique dans un journal réputé. Son article sera relu par plusieurs médecins ou scientifiques qualifiés dans son domaine afin de vérifier qu’il n’y a pas d’erreurs. Un médecin ou un scientifique qui ne ferait pas cela et publierait ses « résultats » dans un livre vendu sur Amazon ou en librairie serait suspect de fraude et de conflit d’intérêt, puisqu’il rejetterait toute critique scientifique et s’enrichirait personnellement au passage.

Sur quelles données vous appuyez-vous ?

J’utilise les données publiées dans des revues médicales ou scientifiques ou chaque article est vérifié ; celles issues d’autorités sanitaires de pays n’ayant pas l’habitude de les falsifier, comme l’Union européenne, l’Amérique du Nord, le Japon, l’Australie, etc. (en revanche, les données fournies par les gouvernements russes et chinois quant à l’efficacité de leurs vaccins étaient suspectes puisque qu’incomplètes et émanant directement de gouvernements dictatoriaux) et celles d’ONG comme l’OMS ou l’Unicef. Pour la France, Santé publique France publie des données très complètes sur l’observatoire Géodes et l’Agence nationale de sécurité du médicament fournit des rapports de pharmacovigilance très complets.

Vous travaillez sur la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie. Quelle est votre analyse sur ce qu’il s’y passe ?

Je ne peux pas me lancer dans des analyses sur des populations que je ne connais pas, mais je sais que la France est un bastion de l’antivaccinalisme depuis longtemps. En 2018, sur 44 pays européens, la France avait la plus faible couverture vaccinale contre la rougeole. Cet antivaccinalisme se retrouve dans les pays francophones mais aussi dans les territoires ultramarins, où il semble qu’il soit décuplé pour des raisons historiques (colonialisme, esclavage, scandales sanitaires antérieurs aux Antilles notamment).

Je me limite aux faits : les populations océaniennes sont celles qui présentent les plus fortes prévalences de surpoids, d’obésité et de diabète de la planète. Ces trois éléments sont des facteurs de risque majeurs de développer une forme grave et de mourir du Covid. L’âge moyen des patients en réanimation diminue et les cas de jeunes adultes sans comorbidités augmentent. Un quart des cas graves serait dû à des anomalies génétiques. La conclusion, au- delà de toute considération sociale ou politique locale, est simple : la seule façon d’éviter une catastrophe sanitaire est la vaccination.

Au moment où j’écris, vous avez 150 décès, ce qui à l’échelle de la Métropole correspondrait à plus de 37 000 décès hospitaliers en moins de quatre semaines. C’est déjà catastrophique.

Comment voyez-vous la situation en Nouvelle-Calédonie par rapport à celle de la Polynésie ?

Les facteurs de risque sont les mêmes qu’en Polynésie (38 % d’obésité vs 40 % en Polynésie, 22 % de diabète vs 19 % en Polynésie, pyramide des âges similaires, etc.). Le virus est le même (variant Delta). La couverture vaccinale est la même (environ 27 % au début de l’épidémie). La seule raison d’espérer un bilan moins catastrophique est que le gouvernement a confiné strictement dès le premier jour. Normalement, le pic des hospitalisations intervient environ 11 jours après le confinement et il semble qu’il intervienne là après plus de 21 jours. C’est très inquiétant.

Au moment où j’écris, vous avez 150 décès, ce qui à l’échelle de la Métropole correspondrait à plus de 37 000 décès hospitaliers en moins de quatre semaines. C’est déjà catastrophique, et il ne faut pas oublier que même si demain les admissions en réa cessaient (cela ne sera pas le cas), environ un tiers des 54 patients en réanimation vont décéder. Il faut que la population réagisse et prenne conscience de l’ampleur du drame qui se joue actuellement.

Est-ce que vous pouvez prévoir ce qu’il va se passer dans les jours à venir ?

Le variant Delta étant plus contagieux, il est un peu hasardeux d’appliquer les modèles établis avec les variants précédents. Cependant, il semble probable que, comme dans chaque épidémie depuis 18 mois, nous assistions à un pic des hospitalisations (que vous semblez avoir passé en fin de semaine dernière) qui devrait être suivi environ une semaine plus tard d’un pic des admissions en réanimation, puis environ une semaine plus tard d’un pic des décès. Les territoires ultramarins, du fait de leur insularité, ont une spécificité : leurs services de réanimation débordent. En Métropole, quand les réanimations parisiennes étaient saturés, les patients ont été évacués en province. Alors, en lieu et place d’un pic des réas, on voit un plateau s’installer équivalent à environ 14 000 patients à l’échelle métropolitaine, qui n’a jamais dépassé les 7 000.

Le juge de paix pour la Nouvelle-Calédonie sera la couverture vaccinale. Le territoire a un très bon rythme, proche de 1 % de la population vaccinée tous les jours et la courbe des vaccinés deux doses a explosé depuis mardi dernier.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat