« On est dans le mur »

Les indépendantistes dénoncent la partialité de l’État, dont le dernier déplacement de Gérald Darmanin et d’Éric Dupond-Moretti est une manifestation, considère Victor Tutugoro (UPM). « Pourquoi il est venu ? On l’a vu, il n’y a rien. Pas de calendrier pour la prison, que des promesses, rien de précis. » (© A-C.P.)

L’atmosphère « se tend », la situation « se durcit », alors que le calendrier législatif voulu par l’État se déroule. L’UC vient d’annoncer suspendre les discussions avec Les Loyalistes et Le Rassemblement. Le dialogue est rompu. Des élus s’inquiètent de possibles débordements.

« Déterminé ». Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le répétait encore jeudi 22 février sur NC La 1ère, au terme de son sixième déplacement en Nouvelle-Calédonie. Inflexible, Gérald Darmanin rappelait le calendrier, dont l’examen au Sénat mardi 27 février de la loi organique reportant les élections provinciales, suivi de celui, fin mars, de la loi constitutionnelle concernant le dégel du corps électoral. Une bonne chose, estime Gil Brial (Les Loyalistes). « Avant, quand les indépendantistes faisaient un caprice, l’État arrêtait, alors que là, il continue. »

Pour l’élu, le processus doit se poursuivre. « On ne peut pas être soumis à leur chantage. On préfèrerait avoir un accord, mais pas à tout prix. On fait un pas vers eux et c’est à eux de le faire aussi. Le dégel du corps électoral est dans la logique des choses. » L’accord pourrait même advenir après, suggère Christopher Gygès (Les Loyalistes). « Le cadre a été donné par le vote des Calédoniens aux référendums. Si l’UC ne peut pas s’y intégrer, on continue, il y aura les élections, on évoluera dans le cadre actuel mais avec un corps électoral ouvert et on verra après. »

UN ÉTAT PARTIAL

Ce n’est pas ce que souhaite l’Union calédonienne qui suspend les discussions avec Les Loyalistes et Le Rassemblement jusqu’à nouvel ordre, en raison du mépris « de la présidente de la province Sud et consorts », qui portent plainte contre Daniel Goa et la CCAT et « continuent de soutenir la politique de l’État pour l’ouverture du corps électoral sans consensus local ». Le rendez-vous du 8 mars consacré aux discussions sur l’avenir institutionnel semblait compromis d’avance. Le responsable est tout désigné pour Gilbert Tyuienon. « Les tensions qui surviennent en ce moment sont dues au comportement de l’État qui n’écoute pas. »

Le vice-président de l’UC lui reproche sa partialité. Le gouvernement central « fait la promotion de certains élus au détriment de l’intérêt général ». Une absence de neutralité que reproche également Victor Tutugoro (UPM). « Le déplacement de Gérald Darmanin, c’est une façon de faire pression, de forcer la main. » Surtout, l’élu de la province Nord s’interroge sur la méthode. « En même temps qu’on négocie, Les Loyalistes et Le Rassemblement font des annonces et parlent d’amendement. C’est du chantage. » Il y a 40 ans, la question du corps électoral cristallisait les oppositions. Aujourd’hui, est-ce que la situation pourrait s’envenimer ? « Il y en a les prémisses. Plus on approche [de l’examen de la loi constitutionnelle] et plus ça se tend », analyse Victor Tutugoro.

L’UC a demandé son retrait à plusieurs reprises au président de la République. La balle est maintenant dans le camp de l’État, estime Gilbert Tyuienon. « Aux responsables de mesurer les risques. Est-ce que Macron a les 3/5e au Parlement ? Il y a un risque d’échec. Et si jamais ça passait, il y a un risque de soulèvement. On n’a jamais menacé, mais nous n’accepterons jamais une remise en cause des fondamentaux de l’Accord de Nouméa, on ne va pas subir sans réagir. » Le Congrès du FLNKS, prévu le 23 mars, devrait permettre d’y voir plus clair et « dire sur quelle ligne avancer », note Victor Tutugoro, qui reproche à la fois à l’UC de « ne pas discuter » et aux Loyalistes de dire « des choses qui contribuent à raidir la situation ».

« UN CATACLYSME »

L’élu UPM prévient. Vu le climat actuel, « il faut prendre les choses au sérieux ». Philippe Michel (Calédonie ensemble) ne dit pas le contraire. Les discours des uns et des autres ne favorisent pas l’apaisement. « Je suis inquiet de la tournure que ça prend. Il y a une absence de dialogue, le même sujet délicat du corps électoral, la même configuration. Un ultimatum des deux côtés et Gérald Darmanin qui ne recule pas. » S’y ajoute la crise du nickel et de l’économie. « En plus, on n’a pas d’argent pour financer le chômage partiel : on est dans le mur. C’est un cataclysme qui se prépare, on est dans une situation de blocage complet au pire moment. »

Et si les indépendantistes s’opposent au calendrier de l’État, les partisans du maintien dans la France n’imaginent pas son retrait. « S’il n’est pas respecté, il y aura un risque de débordements de l’autre côté », assure Christopher Gygès. Aucun scénario n’est exclu, dont celui d’un boycott des élections. « Toutes les options sont sur la table », déclare Victor Tutugoro. Dans ce contexte, la porte de sortie représentée par l’accord semble bien mince. Calédonie ensemble envisage de faire une proposition dans les jours à venir. « Si la nasse se referme, tout le monde en paiera le prix. »

 

Le Sénat se prononce en faveur du report des provinciales

Mardi 27 février, les sénateurs ont examiné le projet de loi organique visant à repousser les élections provinciales jusqu’au 15 décembre 2024 au plus tard. Le texte a été largement adopté à 307 voix contre 34. Une nouvelle date « raisonnable pour laisser une chance aux négociations politiques locales d’aboutir », selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce texte doit ensuite être examiné par l’Assemblée nationale le 18 mars.

 

A.-C.P.