Jean-Pierre Deteix : Une fin cruelle et une pluie d’éloges

Retrouvé assassiné, le corps dénudé, dissimulé sous des branchages, dans les brousses qui jouxtent « la plage des nudistes » à Nouville, après un mauvais road movie aux allures d’affaire de mœurs : une fin bien triste pour ce compagnon de Jean-Marie Tjibaou. Au-delà des faits, la mémoire de Jean-Pierre Deteix a été saluée par l’ensemble de la classe politique, jusqu’au Premier ministre et son garde des Sceaux.

Arrivé en Nouvelle-Calédonie de son Auvergne natale en 1969 au bénéfice de l’enseignement privé, Jean-Pierre Deteix devient l’adjoint de Pierre Declercq, directeur de la toute jeune école normale privée. Les deux hommes se lient d’amitié, jusqu’à l’assassinat de ce dernier, en 1981. Dès lors, la politique prendra le pas sur l’enseignement de la philosophie : à la même période, il rejoint les Foulards rouges de Nidoïsh Naisseline et Jimmy Ounei.
Très vite cependant, il adhère à l’Union calédonienne, et on le retrouve dans l’ombre de Jean-Marie Tjibaou pendant toute la période des « Événements ». Ce travailleur « acharné et pointilleux » préfère, en effet, la discrétion qui sied davantage à sa personnalité « mesurée et pondérée ». Il acceptera cependant le poste de secrétaire général du gouvernement provisoire de Kanaky en 1984 et Bernard Lepeu en fera un collaborateur du groupe UC au Congrès pour la suite des années 80.

Une vie de militantisme

Jean-Pierre Deteix, qui fait alors partie des fondateurs de Radio Djiido, pour « donner une voix au mouvement indépendantiste et en finir avec la caricature qu’en fait la droite locale de l’époque », s’implique dans la construction du centre culturel Tjibaou, tout comme au sein de l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK) aux côtés de Marie- Claude Tjibaou. Homme de réseaux, il milite activement à la Ligue des droits de l’homme et finit par rejoindre les rangs du Parti socialiste dont il sera l’un des représentants locaux lors des élections nationales. Après une tentative infructueuse aux provinciales de 2009, avec une liste « Ouverture citoyenne », où il émarge en 7e position, il figurait aussi, en 2014, sur la liste « Construisons notre nation arc-en-ciel », une liste d’union des indépendantistes en province Sud. À défaut d’être personnellement élu et malgré le fait qu’il ait pris ses distances avec une partie de l’appareil de l’Union calédonienne, il rempile à 73 ans au poste de chef de cabinet du vice- président UC du gouvernement, Jean-Louis d’Anglebermes, et finit par rendre son tablier en février dernier. Mais toujours actif, il était ainsi, la semaine dernière, de la marche du collectif Femmes en colère… Jusqu’à cette nuit fatidique du 5 juin, où il trouve l’horreur et la mort.

En l’attente des faits et des responsabilités

On pourrait s’interroger sur les « erreurs » du parquet, qui en l’absence du procureur général, a confirmé dans un premier temps que la voiture de la victime avait été retrouvée à Saint-Louis, alors qu’elle l’avait été à des kilomètres de là, à Plum… On pourrait aussi s’étonner de la vitesse à laquelle les informations dites « confidentielles » ont filé sur certains blogs. Certainement une preuve de l’extrême compétence d’investigation des personnes qui s’y expriment anonymement. En outre, le rapprochement fait avec l’affaire Guy Tamaï, retrouvé mort roué de coups il y a deux ans jour pour jour à l’issue d’une rixe impliquant des responsables de l’UC à la sortie d’un restaurant nouméen, tout à fait hors propos, ne visait qu’à nuire à ce parti. Comme la référence à Saint-Louis… Qu’importe, la justice passera et dira les faits. Comme les responsabilités. Mais après les aveux d’un jeune Kunié, déjà connu des services de police pour des faits de violence, de vol et interdit de séjour à l’île des Pins, la piste crapuleuse ne fait pas doute. Alors, méfions-nous des interprétations hâtives : ce pourrait être la dernière leçon du professeur Deteix.

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Des hommages jusqu’au plus haut sommet de l’État

Les déclarations, marques de respect et de tristesse aussi, se sont succédé depuis la mort de Jean-Pierre Deteix en Nouvelle-Calédonie comme en métropole. Toutes rendent hommage à l’humaniste engagé, à l’artisan du destin commun.

L’Union calédonienne, condamnant « avec force cet acte inacceptable », a fait part de sa stupeur et de sa tristesse et a tenu à rendre hommage à « l’homme de travail et de courage qu’il a toujours été » au sein de l’UC. « Ce compagnon de toujours de la lutte d’émancipation du peuple kanak a su accompagner les différents leaders indépendantistes avec abnégation et humilité au service de l’efficacité et du travail bien fait. »
Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a aussi parlé d’un « crime odieux » et salué l’homme de conviction. « Jean-Pierre Deteix était un militant socialiste convaincu. Homme de dialogue, pourvu d’une grande humanité, il cherchait à faire bouger les lignes pacifiquement. » Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a mis en avant « la force de ses convictions, y compris lors de période de violence que la Nouvelle-Calédonie a traversée » et son « ouverture au dialogue que chacun reconnaissait ». Le président de la province Sud, Philippe Michel, a exprimé toute sont affliction rappelant que Jean-Pierre Deteix a tenu « une très grande place » aux différentes fonctions qu’il a occupées, durant près de 40 ans, auprès des jeunes, dans les associations, dans l’enseignement privé et l’action politique. « (…) Sa volonté de faire avancer ses idées dans la paix, le respect mutuel et le partage, ont contribué à créer des passerelles entre les Calédoniens. » Le haut-commissaire, Vincent Bouvier, a insisté sur le rôle « joué au service de la Nouvelle-Calédonie et de son avenir ».

Meari Kameremoin, de la direction de Radio Djido, a présenté ses condoléances attristées après la mort de Jean-Pierre Deteix qui avait été « essentiel » à la création de la radio en 1985. Le centre culturel Tjibaou, pour lequel il avait été également l’un des « artisans majeurs », a honoré la mémoire d’une « personne sur qui l’on pouvait compter à partir du moment où sa parole était donnée » et qui ne « manquait pas une occasion de venir participer aux débats d’après conférences ou de livrer ses impressions sur les spectacles auxquels il avait pu assister ». La Fédération des industries s’est également exprimée reprenant cette formule Kiki Karé que Jean-Pierre Deteix affectionnait : « Si y a pas toi, y a pas moi ». « Vivre ensemble, c’est s’accepter, aimait-il à rappeller », écrit la FINC.

En métropole, le Premier ministre, Manuel Valls, s’est dit, via Tweeter, « très attristé et choqué » par le meurtre de Jean-Pierre Deteix « personnalité politique humaniste engagée dans la vie politique calédonienne ». Le garde des Sceaux, Jean- Jacques Urvoas, a évoqué « un homme qui bâtissait des ponts pas des ravins », et la ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin a fait part de son « émotion ».

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Le meurtrier présumé au Camp-Est

L’autopsie menée mardi a montré que c’est bien le déchaînement de violence qui a causé dans la nuit de vendredi à samedi la mort de Jean-Pierre Deteix. Un jeune homme de 20 ans, originaire de la tribu de Touété, à l’île des Pins, a été mis en examen pour homicide volontaire et incarcéré au Camp-Est. Il a déjà fait un séjour en prison pour avoir tabassé une personne âgée avant de lui voler sa voiture à l’île des Pins. Cette fois, il a affirmé avoir rencontré la victime au centre-ville avant de se rendre avec lui à la Baie-des-Citrons et la « plage des nudistes » à Nouville et expliqué son geste par les « avances » que lui aurait faites sa victime. Quatre autres personnes, également originaires de l’île des Pins ont été déférées devant le Parquet pour « recel ». Elles auraient profité de la voiture de la victime, samedi et dimanche durant un week end alcoolisé, avant de la détruire à Plum.

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Inhumation ce samedi

Une veillée est prévue à la morgue municipale de Nouméa jeudi et vendredi de 8 h à 20 h et samedi à 7 h.
La cérémonie religieuse et la levée du corps auront lieu en la chapelle du centre funéraire de Nouméa samedi à 9 h 30 suivie de l’inhumation au cimetière du 4e kilomètre.

M.Sp, C.M., C.V.