[DOSSIER] « Les taux d’emploi des plus jeunes reculent »

L’universitaire Amélie Chung étudie tout particulièrement les thèmes de l’économie du travail et des politiques publiques.© DR

Le territoire connaît une mutation de sa démographie. Amélie Chung, docteure en sciences économiques à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, analyse les effets et les politiques publiques envisageables.

DNC : Le vieillissement de la population calédonienne se traduit-il aujourd’hui dans les données économiques ?

Amélie Chung : Comme dans tous les pays qui font face à un vieillissement de leurs populations, des effets sont visibles sur le marché du travail et de l’emploi, et la Nouvelle-Calédonie n’y fait pas exception. Lorsqu’on regarde l’emploi par classe d’âge, la participation des plus de 55 ans au marché du travail ne cesse de progresser, et les durées de carrière s’allongent. Le taux d’emploi des 55-59 ans croît fortement : 61 % en 2019 contre 49 % dix ans auparavant.

Par analogie, on constate des taux d’emploi des plus jeunes qui reculent. Celui des 20-24 ans est de 47 % en 2019, en diminution de deux points par rapport à 2009. Il était de 55 % en 1989. Une population vieillissante peut entraîner une diminution de la main-d’œuvre active et, à plus long terme, affecter la croissance économique, la productivité et la compétitivité globale d’un pays.

L’évolution du rapport cotisants/pensionnés indique-t-elle une perspective à moyen, voire à long terme très inquiétante ?

En effet, c’est une conséquence du vieillissement de la population. Si l’on observe un déséquilibre entre le nombre de travailleurs en activité et le nombre de retraités, on peut s’inquiéter d’une pression sur les régimes de sécurité sociale et les régimes de pension. Par ailleurs, avec une proportion croissante de personnes âgées, la demande de services de santé et de soins à long terme augmente, mettant une pression supplémentaire sur les systèmes de santé et les budgets des collectivités.

La Nouvelle-Calédonie fait déjà face à des contraintes fortes sur ses systèmes sociaux, et les mutations de l’emploi évoquées précédemment peuvent laisser présager des effets plus lourds et plus conséquents.

Quels peuvent-être les leviers des politiques publiques pour y faire face ?

On assiste depuis quelques années à une mutation de notre démographie, avec une pyramide des âges caractérisée par une érosion de sa base (moins de jeunes) et un élargissement du sommet (plus de personnes âgées). À cela s’ajoutent une chute de la fécondité des plus jeunes femmes et un indicateur conjoncturel qui est passé et qui demeure sous le seuil de renouvellement des générations.

On peut agir sur les deux leviers qui composent l’évolution démographique. Soit en agissant sur le solde naturel par des politiques stimulant la natalité : congés de naissance pour les deux parents, primes à la naissance, meilleure offre des structures d’accueil, allocations adaptées ou crédits d’impôt. On peut également mieux concilier travail-famille en favorisant des horaires de travail flexibles et adaptés à la vie privée, le télétravail, des congés pour les urgences familiales.

« De manière générale, il y a un frein au désir d’enfant auprès des générations plus jeunes. »

 

À plus court terme, et c’est l’autre levier, on peut agir sur le solde migratoire en favorisant l’accueil de populations de l’extérieur. Il peut s’agir de cibler l’arrivée spécifiquement de populations actives, donc plutôt jeunes, et formées sur des métiers permettant de développer une compétitivité et une productivité locales en parallèle à des métiers en lien avec les besoins des personnes âgées.

De manière générale, il y a un frein au désir d’enfant auprès des générations les plus jeunes. On sait par exemple que la chute de la natalité dans plusieurs pays s’explique par une perception des risques liés au dérèglement climatique (pollution, montée des eaux), à l’évolution politique et sociale des pays et du monde (guerres, crises économiques et sociales), et de surpopulation (pression sur l’accès à l’alimentation et à l’eau potable). On peut donc se demander si des politiques locales et nationales natalistes peuvent effectivement compenser ces arguments. 

Le développement de la « silver economy », ou le marché des plus de 60 ans, est-il possible en Nouvelle-Calédonie ?

Cette notion désigne l’économie liée aux besoins et aux dépenses des personnes âgées, et oui, c’est un domaine qui présente des opportunités ici. En effet, une mutation démographique se répercute sur les modes de consommation, et donc sur les modes de production. On assiste à un développement des besoins tels que les soins de santé à domicile ou en établissement, les dispositifs médicaux, les produits de mobilité, mais également les services ou les technologies d’assistance ou encore des logements et des loisirs adaptés.

Ce sont des réflexions qui s’intègrent plutôt bien à l’organisation culturelle et sociale de la cellule familiale calédonienne, qui assigne une place importante aux plus âgés. Enfin, je pense qu’il faut également mettre en lumière les effets positifs économiques et sociaux du vieillissement de la population, notamment en termes de travail domestique (garde des petits-enfants, aides pour le transport, préparation des repas) et également en termes sociaux (filets de sécurité et maintien de la structure familiale). On sait aussi que l’arrivée à la retraite peut se conjuguer avec le lancement d’une activité nouvelle.

Propos recueillis par Yann Mainguet