[DOSSIER] La « vision kanak de l’océan » fait son chemin

Yvon Kona, sénateur coutumier, préside la commission environnement. C.M.

L’une des plus grandes avancées pour le Sénat concerne l’environnement et la protection du parc naturel de la mer de Corail. La parole coutumière et la perception kanak de la nature sont désormais prises en compte.

Les dix ans du parc ont permis, la semaine dernière, de mesurer le chemin parcouru. « Il y a dix ans, la vision kanak n’y était pas. Aujourd’hui, toutes les institutions connaissent notre position », se réjouit Yvon Kona, président de la commission environnement du sénat. Plus que cela, estime Josine Wataï Tiavouane, cheffe de projet à Conservation International, partenaire de l’institution, « on leur demande de partager leur vision ».

Tout n’est pas dicible et les spécificités sont nombreuses, selon les huit pays et 28 aires. On touche à l’identité, au sacré, à la spiritualité. Mais tous se retrouvent sur ces points : « la nature qui nous entoure, c’est nous. L’océan, c’est nous. On est poisson, on est arbre et leurs gardiens. On est né de l’océan et on repart à l’océan, lieu de repos des esprits », explique Josine Wataï Tiavouane.

Yvon Kona évoque aussi un monde où l’océan, la terre, les humains sont indissociables. « Si on bénéficie d’une biodiversité phénoménale, c’est grâce à l’océan. Et quand on lui fait du mal, on se fait du mal à nous-mêmes. »

Josine Wataï Tiavouane, cheffe de projet à Conservation international. l’ONG a créer un lien inédit avec les aires. C.M.

Équilibres

En 2020, le monde coutumier, qui peine à se faire entendre au sein de la direction du parc (présent dans deux collèges), se rapproche de Conservation International pour renforcer son implication et faire évoluer la gouvernance du parc. En décembre 2021, un accord-cadre est signé entre les conseils d’aire, le Sénat et l’ONG. Parmi les « belles avancées », l’inscription fin 2023 des 10 % de réserves naturelles hautement protégées (2 % auparavant), « une fenêtre qui pourrait évoluer dans le temps », selon Yvon Kona, sachant qu’il faut trouver un équilibre entre préservation et économie avec la pêche hauturière alimentant 80 % du marché.

« L’objectif à l’échelle internationale est de 30 % à l’horizon 2030, mais c’est un premier pas et l’on peut s’en féliciter », insiste Josine Wataï Tiavouane. Le texte du gouvernement fait figurer pour la première fois la vision kanak de l’océan dans un arrêté avec une mention sur l’importance des monts sous-marins, des plaines abyssales.

Ils se réjouissent aussi du moratoire de 10 ans sur l’exploration et l’exploitation des ressources minérales profondes au sein de la zone économique exclusive (ZEE). Les coutumiers avaient défendu au minimum une génération, soit 25-30 ans. Yvon Kona observe toujours deux visions de la protection : l’une qui consiste à interdire, une autre plus « curieuse » qui consiste à explorer pour connaître.

Mais leur position sur le fond est entendue : ils ne veulent pas d’exploration minière, ne sont pas fermés à la recherche scientifique en faveur de la médecine. Ils souhaitent être consultés et, selon Josine Wataï Tiavouane, « de plus en plus de chercheurs font la démarche ».

Guide de gestion de l’océan

En parallèle, Conservation International a engagé une collecte des savoirs dans les aires. Un séminaire en mai doit rassembler les clans de la mer. Certaines idées émergent comme le remplacement dans les textes de certains termes « qui ne sont pas les nôtres ». Ainsi « espèce totem » deviendrait « espèce ancêtre » et « lieu tabou », « lieu sacré ». Les discussions devraient aboutir à l’élaboration d’un premier guide de gestion de l’océan par le peuple kanak. « De quoi ancrer le parc dans son environnement culturel. »

Le réseau de Conservation International a aussi permis des déplacements de coutumiers à Hawaï et Rapa Nui. « L’océan nous unit et les peuples se reconnectent aussi par ces démarches. » Ils aspirent à avoir une même vision autochtone intégrée, avec par exemple les noms d’espaces naturels en langue.

C’est justement le projet du Sénat cette année : travailler sur les toponymes. « Beaucoup de récifs portent des noms de navigateurs, l’Astrolabe, d’Entrecasteaux. Nous, on n’y est pas, développe Yvon Kona. Les vieux ont mis des noms pas juste pour le plaisir, mais pour toutes les histoires derrière. Ils doivent être sur les cartes. » Ce travail va commencer à Belep.

Le code de l’environnement de la province des Îles intéresse aussi. Il a notamment instauré un statut spécial d’entités naturelles juridique pour les requins et les tortues, emblématiques de la culture kanak, pour l’heure suspendu à un avis du Conseil d’État.

Chloé Maingourd

Sur terre

La commission de l’environnement travaille aussi sur le changement climatique. « Dans 30 ou 40 ans, avec la montée des eaux, des gens vont sûrement devoir partir. On se prépare », explique Yvon Kona. En tête, le cas d’Ouvéa. « On a des gens en pays Paicî qui se sont déplacés du bord de mer vers l’intérieur des terres. Mais là, c’est différent. » Si Ouvéa se déplace (sur la côte Est), « comment les accueillir ? Sur quelle surface ? Est-ce qu’ils vont être des sujets, avoir une chefferie à part ? Et si les clans de la mer se retirent, ne vont-ils pas perdre leurs repères ? » Il craint aussi l’impact des inondations et crues sur la condition vivrière dans les terres.