« Un constat d’échec que nous partageons »

Alors que les chiffres de l’insécurité routière du premier semestre ont été publiés récemment, nous avons souhaité faire le point avec Cynthia Ligeard, en charge de la question, sur la politique mise en œuvre par le gouvernement. Priorités, moyens et actions mises en œuvre, éléments de réponse par la membre du gouvernement qui s’occupe du dossier depuis un peu plus d’une année.

DNC : Comment décririez-vous la politique de la prévention routière en Nouvelle- Calédonie ?

Cynthia Ligeard : Depuis de nombreuses années, on a engagé des actions pour essayer de lutter contre l’insécurité routière. Je dis bien « essayer » car pour l’instant, le constat est que les mentalités n’ont pas évolué. C’est donc un constat d’échec que nous partageons, toutes collectivités et associations confondues. Ce n’est pas pour autant que nous sommes résignés. Fin 2013, il y a eu le vote par les Congrès du plan quinquennal de sécurité routière. Il a été défini avec l’ensemble des partenaires. C’est toujours le squelette de l’action du gouvernement. Le plan en lui-même, c’est 64 actions sur trois axes. Un axe prévention-information, un axe communication et un axe répression. Depuis un an, nous travaillons sur la base de cette colonne vertébrale, les statistiques fournies par l’observatoire et l’expérience de terrain des forces de l’ordre. Pour 2016, nos priorités sont d’accentuer les actions sur le terrain, renforcer le corpus réglementaire et mieux cibler la communication. Au niveau des actions de terrain, on est vraiment en demande de la création d’une deuxième brigade motorisée, idéalement basée dans le Nord, de façon à pouvoir intensifier les contrôles.

DNC : Vous n’avez toutefois pas la main sur cette question des effectifs des forces de l’ordre…

Cynthia Ligeard : Non, effectivement. Nous en avons fait la demande au précédent haut- commissaire. Il y était tout à fait favorable. Il nous a appuyés de son côté, même s’il faut bien reconnaître que c’est, pour le moment, sans résultat. Nous allons remettre le couvert avec Monsieur Lataste. Mais il faut bien voir que nous n’aurons jamais assez de gendarmes pour être là où c’est nécessaire au bon moment, même si les forces de l’ordre sur le terrain permettent de sécuriser ceux qui ont des bonnes pratiques et de dissuader les autres. En revanche, ce que l’on a obtenu au budget 2016, ce sont des crédits pour mettre en place une cellule locale de traitement administratif des contraventions. Pour une heure de terrain, il faut cinq heures de traitement administratif. Un gendarme qui s’occupe de l’administratif ne peut pas être à la fois sur le terrain. Cette cellule travaillera sous l’autorité des forces de l’ordre pour leur permettre d’être davantage sur le terrain. J’essaye de faire en sorte qu’elle puisse être opérationnelle avant la fin de l’année. Ce serait un message fort pour les forces de l’ordre, mais aussi pour pérenniser ces crédits. Nous avons vraiment besoin de mettre en place une politique de long terme. On n’est pas dans le spectaculaire. L’idée est de travailler sur le fond et dans la durée. Au bout de dix fois que vous aurez fait la route Nouméa-Bourail et qu’à chaque fois vous aurez croisé un contrôle de gendarmerie, même sans vous faire arrêter, vous aurez changé de comportement.

DNC : De nombreuses actions sont mises en place à destination des plus jeunes mais est-ce que le public, peut-être le plus touché par la délinquance et l’insécurité routière, est suffisamment sensibilisé ?

Cynthia Ligeard : Avant de vous répondre, je voudrais juste glisser un mot sur le corpus réglementaire, c’est un travail indispensable. Il s’agit de la mise à jour et la création des textes qui nous permettront de mettre en place des actions plus modernes. Juste un exemple. Pour mettre en place des radars automatiques, il faut des plaques d’immatriculation normalisées, ce n’est pas le cas aujourd’hui et cela nécessitera plusieurs années afin que les usagers s’adaptent. C’est une grosse partie de notre travail mais qui reste invisible. L’autre partie de notre travail, c’est effectivement de mieux cibler la communication. Pour les jeunes et les scolaires, nous avons des outils avec les actions dans les écoles, collèges et lycées par les associations et les forces de l’ordre ainsi que les pistes d’éducation routière. Mais c’est vrai que deux tiers des morts sur les routes sont des hommes qui ont en moyenne 35 ans. Il faut que l’on arrive à toucher ce public. On expérimente cette année le Sécuribus. C’est un fourgon sécurité routière avec un stand. Il circule sur l’ensemble de la Grande Terre dans les manifestations populaires comme l’Omelette géante de Dumbéa ou encore la foire de Bourail. Seul le stand se déplacera dans les Îles. Dans ces manifestations très familiales, on retrouve des pères dont l’âge est justement aux alentours des 35 ans. Une autre action, proposée par l’association Prévention routière, a été de mettre en place des opérations alternatives aux sanctions. L’idée est que celui qui est pris en infraction a le choix entre payer la contravention ou suivre un stage de sensibilisation. Nous aurons enfin plusieurs campagnes de communication dans les médias sur le port de la ceinture, la vitesse, l’alcool et une en fin d’année plus ciblée sur les victimes. Je voudrais que chacun comprenne que si l’on met des forces de l’ordre sur les routes et que l’on interdit par exemple l’alcool au volant, c’est parce qu’il y a des gens qui meurent, d’autres qui sont handicapés, orphelins. Il faut que l’on fasse évoluer les mentalités. On voit chez les moins de 30 ans qu’ils ont le réflexe capitaine de soirée, c’est moins le cas chez les autres.

DNC : L’alcool est un des principaux problèmes sur la route. N’y a-t-il pas un manque de coordination entre les différents acteurs, notamment les bars ou encore les forces de l’ordre ? Il y a aussi la question de mauvais exemples de certaines personnalités politiques.

Cynthia Ligeard : On parle beaucoup d’insécurité routière mais pas assez de délinquance routière. Cela fait aussi partie du changement de mentalité. Lorsque l’on prend sa voiture, il faut avoir à l’esprit qu’elle peut devenir une arme par destination. Sur l’alcool en particulier, il y a un groupe de travail pluridisciplinaire avec aussi bien des gens du secteur de la santé que du secteur de l’éducation, du handicap ou encore de l’économie sur la mise en place de mesures pour limiter la consommation d’alcool. Quant à l’exemplarité des personnalités politiques, c’est clair que l’on a une responsabilité supplémentaire mais au même titre que toutes les personnalités publiques.

DNC : La réponse judiciaire est-elle suffisamment dissuasive pour les personnes en infraction ?

Cynthia Ligeard : Oui, je le pense et l’on a le projet de durcir encore un peu le ton dans les cas de récidive et de cumul. On a un projet de texte en attente sur le bureau du Congrès depuis le début de l’année pour durcir les sanctions dans ces cas-là. Nous allons aussi augmenter le montant de l’amende pour la conduite avec le téléphone. Mais je crois que cet arsenal-là est plutôt au point. Après, c’est vraiment une question de prise de conscience par chacun que lorsque l’on est en voiture, il y a des lois et qu’il faut les respecter. Il y a une espèce de laisser-aller général, entre les gens qui brûlent les stops, les feux rouges… Il y a sentiment d’impunité et c’est pour ça qu’il faut donner les moyens aux forces de l’ordre pour être un maximum sur le terrain.

DNC : Justement, de quels moyens disposez- vous pour mettre en œuvre la politique de prévention routière en sachant que les morts et blessés représentent un coût pour la collectivité d’environ 17 milliards de francs chaque année ?

Cynthia Ligeard : Ils sont très limités. Cette année, si je parle seulement des crédits alloués pour mener des actions, j’ai disposé de 15 millions de francs. Après, nous avons aussi eu 50 millions en investissement, notamment pour aider à équiper les forces de l’ordre, que ce soit en matériel roulant ou en matériel de contrôle. Nous avons aussi quelques crédits pour les subventions aux associations comme l’association pour la prévention routière ou encore Antinéa.

DNC : Si l’on est là où nous en sommes, c’est peut-être en raison d’un manque de moyens…

Cynthia Ligeard : Nous avons fait en sorte, cette année, de monter des opérations et des campagnes grâce au système D, afin d’essayer de prouver que cela sert à quelque chose pour obtenir davantage de crédits l’année prochaine. Nous avons travaillé avec des bouts de ficelle. Les spots télé, par exemple, c’était avec des choses qui avaient été faites en 2014 et qui serviront finalement à quelque chose. Sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, faire un visuel pour une affiche tourne au cauchemar. Le rapport 15 millions-15 milliards est quand même un peu déséquilibré. Il faut savoir ce que l’on veut. Mais il faut voir aussi que pendant longtemps, on va vu la question de la sécurité routière au travers de la question des infrastructures et c’est vrai qu’il y a énormément d’améliorations qui ont été apportées. Aujourd’hui, on a un réseau routier plus que correct et globalement le réseau est bon. Maintenant, il faut que l’on arrive à faire changer les mentalités et ce sera beaucoup plus long. Le constat est toujours le même, l’élément déclencheur est très souvent l’alcool.


Un œil sur la route

Afin d’aider à mieux définir les politiques publiques en matière de prévention routière, le gouvernement dispose d’un observatoire de la sécurité routière. Cet outil recense tous les accidents corporels qui se produisent chaque année. L’objectif de la collecte de ses précieuses informations est tout simplement de sauver des vies et de rendre nos routes plus sûres.

Peu connu, l’observatoire de la sécurité routière existe pourtant depuis quinze ans. Créé en 2001, il est l’un des outils de la politique balbutiante de prévention routière.De simples rapports manuscrits, les productions de cet observatoire ont considérablement évolué et sont désormais nettement plus normalisées grâce au recours à un logiciel informatique et un important travail de fiabilisation des données par la cellule de prévention routière de la DITTT, Direction des infrastructures, de la topographie et des transports terrestres. Le fichier des accidents corporels recense quatre grandes familles d’informations que sont les usagers

mis en cause, les infrastructures, le lieu et les véhicules. Les données utilisées proviennent uniquement des forces de l’ordre. Afin de pouvoir comparer, les données entre elles, une définition très précise, qui correspond à celle retenue dans les grands pays notamment en Europe, a été adopté. Ne sont comptabilisés les accidents corporels (et non pas matériels) que les accidents impliquant au moins un véhicule, ayant fait l’objet d’une constatation par les forces de l’ordre qui s’est produit sur une voie ouverte à la circulation publique et comptant au moins un blessé. Pour faire partie du fichier, il faut nécessaire que l’ensemble de ces conditions soit rempli.

Une aide à la décision

L’objectif de cet observatoire est de fournir des données qualitatives et quantitatives aux pouvoirs publics, de façon à mieux piloter la politique de prévention routière. Pour faire simple, cet observatoire peut, par exemple, mesurer l’impact positif ou négatif d’une mesure mise en place. Au niveau des observations, il ressort qu’une très grande majorité de tués (plus de 80 %) n’avaient pas attaché leur ceinture de sécurité. En sachant que le port de la ceinture réduit la mortalité de moitié, sept

personnes auraient potentiellement pu être sauvées depuis le début de l’année (14 sont décédées).
Les données collectées par l’observatoire permettent aussi d’établir des cartes faisant ressortir les zones accidentogènes. Un outil plutôt utile pour revoir la signalisation par exemple. Si l’outil appartient au gouvernement, il collabore avec l’ensemble des collectivités et en particulier les provinces qui peuvent y avoir recours, pour des questions d’infrastructures dont elles sont responsables. La cellule peut également apporter ses compétences dans le cadre d’études plus approfondies.

Les chiffres et bilans de l’observatoire sont à retrouver sur le site de la DITTT, www.dittt.gouv.nc à l’onglet sécurité routière. Il s’agit des seuls chiffres officiels et complets (regroupant les chiffres sur les zones police et gendarmerie).


Des chiffres en demi-teinte

En 10 ans, le nombre d’accidents a quasiment été divisé par deux. Il est passé de 715 en 2005 à 350 en 2015. Idem pour les blessés qui étaient 1 000 en 2005 et 538 en 2015. Le nombre de morts a en revanche relativement peu diminué puisqu’il est, sauf année hors norme, compris entre 50 et 60 tués, ce qui est le cas pour l’année 2015 au cours de laquelle 50 personnes ont perdu la vie.