Air Calédonie à Lifou et Maré : comment sortir de la crise ?

Depuis début février, les coutumiers refusent l’accès aux aéroports de Wanaham et de La Roche pour marquer leur opposition à la fin de la gratuité des tests. C’est, disent-ils, leur seul moyen de pression. Mais les conséquences sont catastrophiques pour la compagnie et ses usagers. Une situation embarrassante qu’il serait temps de régler. Nous avons interrogé les principaux protagonistes de cette affaire.

 

 

Hippolyte Sinewami-Htamumu, grand chef de La Roche

« On propose d’arrêter les tests et le pass »

« 1 950 francs le test, c’est trop cher. Pour les gens qui ont de faibles revenus, qui vivent surtout du champ et de la pêche, c’est beaucoup trop. On essaie de prendre en compte toute la population. Et le blocage, c’est un peu notre seul moyen de pression.

Nous avons exigé que le gouvernement prenne en charge ce coût. Et s’il ne peut pas, on propose d’arrêter les tests et le pass sanitaire. On nous dit qu’Omicron est moins grave, que c’est une petite grippe. En plus, les gens sont fatigués du vaccin. Au début, c’était surtout pour les vieux et les personnes fragiles. Maintenant, le virus est faible, mais on demande encore à tout le monde de faire une troisième dose… Il y a une incompréhension.

Depuis l’arrivée du Covid, on a ce bras de fer avec Aircal. Mais au fond, on n’a rien contre eux. On essaye d’échanger avec eux, de communiquer. Je comprends leur situation, ils se basent sur des directives de la Dass et du gouvernement. »


 

Rolland Nyikeine, chargé de mission de l’aire Drehu

« Cest la population qui doit décider des règles »

« Nous souhaitons que les mesures sanitaires soient retirées, aussi bien les tests que le pass sanitaire. Omicron est toujours en circulation, mais ce variant est beaucoup moins grave que le Delta.

Devoir bloquer notre propre aéroport, oui, c’est un problème, mais nous n’avons pas le choix. On doit en passer par là pour être entendu par le gouvernement. C’est la population qui doit décider des règles par rapport à la situation sanitaire, il faut changer de regard à ce sujet. »


 

Gilbert Tyuienon, membre du gouvernement chargé des Transports

« La seule voie de sortie est l’allégement du protocole sanitaire »

« Il faut rappeler que les tests dans les transports en commun, c’était une exigence des chefferies des Îles. Oui, cela surenchérit les voyages. Mais on ne peut pas prendre en charge les tests pour Lifou et Maré, ce serait une mesure très déséquilibrée vis-à-vis du reste du territoire ! Ce serait une rupture d’égalité.

La seule voie de sortie, pour moi, est l’allégement du protocole sanitaire. La situation sanitaire mérite de toute façon que l’on fasse évoluer les règles. Il faut réfléchir à supprimer les tests. Et au bout d’un moment, il faudra aussi aller vers la suppression du pass sanitaire. Il faut apprendre à vivre avec la maladie. Et si on ne fait rien, on se dirige vers des difficultés économiques majeures, pour Air Calédonie notamment.

La répétition des blocages fait que la compagnie ne peut pas travailler, ne peut pas atteindre le trafic nécessaire à son équilibre annuel. Elle va s’enfoncer dans la difficulté. On est dans une période où il faut relancer la machine, le temps n’est pas au blocage. On ne peut pas s’immiscer dans le conflit des pilotes, c’est une affaire interne, mais on déplore que le mouvement ait été lancé à un moment où l’on n’avait vraiment pas besoin de cela. Que l’on soit pilote, usager ou actionnaire, on a des responsabilités vis-à-vis de la compagnie. On a besoin de tout le monde pour s’en sortir, sinon on va au crash. »


 

Samuel Hnepeune, PDG d’Air Calédonie

« On souhaiterait juste pouvoir faire notre boulot »

« C’est encore un coup dur pour la compagnie, après les confinements successifs. Là, on a eu des semaines très compliquées avec quatre crises qui se sont superposées. On a connu à peu près une dépression par semaine, dont la dernière avec 2 000 passagers sur les bras avant la rentrée scolaire, la cyberattaque, la gestion des mesures sanitaires (pass, tests antigéniques) variables d’une île à l’autre, la propagation des cas de Covid au sein de la compagnie (45 cas il y a dix jours dont 15 navigants, NDLR).

À cela s’est ajouté la grève des pilotes avec lesquels les discussions se poursuivent. Un mouvement qui n’avait pas lieu d’être parce qu’on était quasiment en phase de signature et que c’était la rentrée. En ce qui concerne le conflit sur Lifou et Maré, on est au milieu, on n’a pas d’influence sur les décisions. En revanche, il y a des décisions qu’on doit prendre en compte dans notre organisation et qui nous pénalisent.

La forte opposition entre les autorités impacte très lourdement le fonctionnement de la compagnie dans la mesure où Lifou, c’est 40 % de notre trafic, Maré un peu moins. Nous n’avons pas non plus les 25 % de la clientèle internationale et avec l’ouverture des frontières, les Calédoniens qui avaient pris le transport domestique pour découvrir la Calédonie, vont vouloir sortir. C’est très bien pour nos collègues d’Aircalin, mais pas forcément une très bonne nouvelle pour nous.

Avant le Covid, on s’était fixé comme objectif pour atteindre l’équilibre, 500 000 passagers. On avait prévu 480 000 en 2020 et 500 000 l’année d’après. On a fait 330 000 en 2020 et 280 000 en 2021, sachant que 100 000 passagers, c’est un milliard de recettes. Donc c’est toute une succession d’évènements qui font que l’on traverse une période de crise exceptionnelle. On souhaiterait juste pouvoir faire notre boulot, reprendre une activité normale. »

 

Propos recueillis par Gilles Caprais et Chloé Maingourd (© G.C. / Archives A.-C.P. / DR)