Valeurs, vous avez dit valeurs ?

Le travail institutionnel organisé par l’État dans la perspective d’un Comité des signataires avant la fin de l’année doit-il conduire à la rédaction d’une charte des valeurs communes à tous les Calédoniens ? La question n’est évidemment ni neutre, ni anodine. Or, elle s’est aujourd’hui imposée dans les discussions au risque de renforcer la défiance d’une population qui se sent chaque jour écartée un peu plus du débat sur l’avenir du pays.

L e 20 mars dernier, les missionnaires de l’État, Yves Dassonville et Alain Christnacht, ont animé dans une certaine confusion la première réunion plénière du comité de pilotage chargé d’établir d’ici le mois d’octobre une liste des convergences et des divergences entre les partenaires locaux de l’Accord de Nouméa. Comme l’avait arrêté le Comité des signataires de février dans son relevé de conclusions, il s’agissait avant tout d’établir une méthode et un calendrier.
Outre le fait que le retard commence à s’accumuler de manière inquiétante, ce dont a convenu à demi-mot Manuel Valls la semaine dernière, une nouvelle thématique a fait son apparition à cette occasion et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de rédiger un document listant les valeurs et les droits propres à la Nouvelle-Calédonie.
Le document adressé par l’État en mars posait la question de savoir si cette démarche avait un sens et si, de l’avis de tous, elle devait être poursuivie. Manifestement, la réponse a été positive, comme l’a confirmé le Premier ministre lui-même au cours de son séjour en Nouvelle- Calédonie. C’est donc en ce début de semaine, en présence d’Alain Christnacht, de François Garde et Régis Fraisse, que les partenaires locaux de l’Accord de Nouméa (signataires, parlementaires, représentants des groupes politiques et du sénat coutumier) ont fait part de leurs impressions et de leurs souhaits.

Valeurs communes ou communautarisme

L’exercice, pour intellectuellement passionnant qu’il soit, n’en présente pas moins des risques de dérive, voire de dérapage.
Car la « lettre de cadrage » adressée le mois dernier ne demande pas seulement aux interlocuteurs calédoniens si la thématique les agrée, mais elle les interroge aussi sur le fait de savoir si, dans l’affirmative, la déclaration « voulue » consensuelle doit affirmer des valeurs océaniennes et kanak et si ces valeurs ont vocation à être communes à tous les Calédoniens ou seulement à ceux qui se réclameraient de cette culture (océanienne ou kanak). Et ce ne sont pas moins de 21 questions, non exhaustives, sur lesquelles chacun doit répondre et prendre position, des questions allant de savoir si l’affirmation des droits familiaux doit faire référence àla famille élargie océanienne ou encore si dans la situation de la Nouvelle-Calédonie, il convient de faire une mention particulière des droits à la qualité de l’environnement ou encore si une expression des devoirs du citoyen doit être stipulée en complément de ses droits.

Alors évidemment, Christnacht et Dassonville prennent des précautions sémantiques, sachant combien le sujet abordé est sensible. Ils affirment qu’il ne s’agit pas de rédiger un préambule puisque l’exercice qui consiste à lister convergences et divergences n’est pas un accord. Rien à voir donc avec l’Accord de Nouméa. Néanmoins, en faisant référence aux préambules des Constitutions du Vanuatu et de Fidji, en citant le travail effectué par le Sénat coutumier lors de la rédaction de sa charte des valeurs kanak et en ajoutant qu’à ce jour, c’est-à-dire dans le respect des conventions internationales auxquelles la République française est tenue, « la Nouvelle-Calédonie peut proclamer pour elle- même des valeurs issues de ses particularités et affirmer des droits en découlant », les missi dominici du pouvoir socialiste posent les jalons de ce qui pourrait bien devenir les proclamations du préambule de la future constitution d’un État souverain.

Or aujourd’hui, en raison notamment de l’ubuesque dossier des listes électorales, la confiance n’est pas au rendez-vous entre tous les partenaires locaux de l’Accord de Nouméa et une partie au moins des indépendantistes menace très objectivement des équilibres fragiles. Et même si Manuel Valls a déclaré que ces attitudes pouvaient être assimilées à un combat d’arrière-garde, elles n’en représentent pas moins un risque. On voit mal dans ces conditions comment aborder sereinement la question des valeurs qui sont censées nous réunir même s’il paraît inconcevable qu’elles ne constituent pas le socle de toute discussion sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

C.V.