Un herbier pour la province des Îles

La province va se doter de son propre herbier. Elle va bénéficier pour ce projet de l’appui de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) qui gère l’herbier de Nouvelle-Calédonie depuis 1963. Objectifs : conserver sur place les échantillons d’espèces et répertorier les usages traditionnels particulièrement marqués aux Loyauté.

Encore plus qu’ailleurs en Nouvelle- Calédonie, les Loyaltiens ont un lien très fort avec leurs plantes. Les communautés s’appuient encore à ce jour sur leur flore pour de multiples usages quotidiens (médecine traditionnelle, aliments de base…) et elles ont à cœur de préserver ces traditions. « Mais alors que l’on assiste à l’érosion de la biodiversité et des savoirs populaires en matière d’utilisation du végétal, avec une rupture entre les générations, il était essentiel de prévenir un tel phénomène et de recueillir, pour le futur, les informations sur les plantes ainsi que les savoirs liés aux plantes », explique Georges Kakue, chef du service Environnement.

Dans le cadre d’une nouvelle dynamique provinciale, fortement axée sur le développement durable et l’appropriation de leur patrimoine par les Loyaltiens, les responsables ont ainsi décidé sur ce volet de se doter d’un outil stratégique moderne, un herbier, dénommé LOY, (à différencier de NOU, le sigle international de l’herbier de Nouvelle-Calédonie) et de solliciter pour sa mise en place, le soutien de l’IRD avec lequel une convention de partenariat de recherche a été signée.

Une flore intéressante mais peu répertoriée

Dans le monde de la recherche, et selon des méthodes qui datent du XVIe siècle, c’est grâce à des herbiers que les scientifiques répertorient les plantes en conservant des collections de référence de la flore. Un tel centre d’archivage existe à l’IRD de Nouméa depuis 1963. Il est actuellement géré par l’unité de recherche Amap. Mais sur environ 80 000 spécimens représentant notamment plus de 3 000 espèces autochtones, seulement 1 500 échantillons ont été collectés aux Loyauté. « D’une part, parce que les collectes dans les îles ont été plus tardives que sur la Grande Terre et aussi, peut-être, parce que le très fort endémisme de la Grande Terre a toujours plus intéressé les chercheurs », précise Sandrine Isnard, chercheuse à l’IRD et responsable de l’herbier.

La flore vasculaire des Loyauté est évaluée à un millier de groupes d’espèces, 463 espèces indigènes dont 25 endémiques insulaires, 83 introductions anciennes et au moins 464 introductions modernes. Une flore que l’on peut, certes, qualifier « d’appauvrie », sans être péjoratif, mais qui est loin d’être dénuée d’intérêt selon Sandrine Isnard. « La flore des Loyauté est un peu un ‘trait d’union’ entre la Grande Terre et le Vanuatu ou d’autres îles du Pacifique par sa proximité géographique et la particularité de ses sols, généralement calcaires. Du coup, on va retrouver dans la flore des Loyauté beaucoup d’espèces autochtones, pas forcément endémiques que l’on retrouve ailleurs, ce qui permet d’avoir une meilleure connaissance de ce qu’il s’est passé au niveau de la flore calédonienne, et du Pacifique, une meilleure connaissance bio géographique. »

Des plantes et des histoires

Pour parfaire leurs connaissances, les Loyauté ont bien conscience qu’il faut générer des prospections. Celles-ci demeurent assez rares et restent pour l’instant principalement cantonnées aux routes d’accès. L’herbier devrait ainsi faciliter le travail des scientifiques qui bénéficieront sur place d’un cadre pour se renseigner (centre de documentation, littérature, ouvrages associés) et explorer (guides, zonage, etc.) évitant les allers- retours à Nouméa.

Outre cette particularité géographique bien utile, l’herbier des Loyauté, de compétence totalement locale, se distinguera de l’herbier de Nouvelle-Calédonie par bien des points, à commencer par son travail de documentation sur les usages traditionnels, « ce qui n’est pas forcément l’orientation donnée au centre IRD ». Ainsi, seront répertoriées les informations sur les usages traditionnels alimentaires, médicinaux, médico-magiques, technologiques, toxiques, etc. « Il y a, par exemple, des plantes alimentaires que l’on n’utilise plus : des lianes, des légumes feuilles ou des espèces de thé et bien d’autres produits extrêmement intéressants à l’heure où l’on réfléchit à notre système de santé, à notre alimentation, au coût sanitaire que les nouvelles habitudes ont généré, dans le cadre du plan Do Kamo », précise Georges Kakué.

Et puis ces connaissances contiennent toute une histoire ! Celle de la biodiversité et de la culture kanak. Est-ce que l’on utilise des espèces autochtones ou introduites pour tel ou tel usage ? Si oui, de quand datent les introductions ? Et si l’on parle d’introductions anciennes, à quoi servaient ces plantes aux peuples premiers ? Autant de précisions qui peuvent permettre d’en savoir plus sur la modification de la flore, des habitudes. « On sait, par exemple, que les premiers habitants ont apporté leurs plantes et modifié la biodiversité », ajoute le responsable.

Il sera intéressant par ailleurs d’en apprendre davantage sur les espèces invasives, le risque que certaines représentent pour les îles Loyauté et de suivre l’évolution de la présence des plantes dans le temps. La collection des îles, qui contiendra des spécimens anciens et récents, viendra bien sûr compléter l’herbier de Nouvelle-Calédonie, un apport plus que bienvenu dans un contexte où la recherche a manqué.

La flore vasculaire des Loyauté est évaluée à un millier de groupes d’espèces. Certaines sont utilisées pour la médecine traditionnelle ou pour la nourriture. Les systèmes de culture traditionnelle comprennent essentiellement des plantes amylacées d’introduction ancienne (igname, taro, manioc, etc.) qui constituent les aliments traditionnels de base et d’une grande diversité de légumes feuilles (chou kanak, morelle noire, taro, etc.)

Un travail méticuleux

Georges Kakue et Marjorie Wejieme, qui vont avoir la responsabilité de cet herbier, ont déjà débuté leur formation auprès des responsables de l’herbier IRD. « Le travail est conséquent et durera plus d’une année », commente Sandrine Isnard. Il va falloir, en effet, apprendre les méthodes de collecte, d’identification, la façon de presser, sécher et conserver les échantillons dans des conditions bien particulières. Sans compter l’apprentissage de la gestion de la base de données, la numérisation, l’indexation à l’international (partage des données), l’investissement dans du matériel. « À Nouméa, trois personnes sont dédiées à plein temps à la gestion de l’herbier de Nouvelle-Calédonie. Dans les îles, les agents devront jongler avec leurs autres responsabilités ».

Mais le jeu en vaudra la chandelle. Avec le temps, l’herbier aura vocation à être utilisé par les décideurs pour la mise en place de programmes provinciaux pour la préservation des espèces rares et menacées, à la restauration écologique des milieux dégradés, et, on l’a dit, à la réflexion dans le cadre du projet Do Kamo. Il permettra aussi de sensibiliser le public sur la richesse floristique des îles et les liens qu’entretiennent les Loyaltiens avec leurs plantes, pour qu’ils demeurent le plus longtemps possible.

C.Maingourd

©C.M. / IRD

Sandrine Isnard, chercheur IRD et responsable de l’herbier, et Jacqueline Tinel, détachée du gouvernement veillent sur la belle collection de l’herbier de Nouvelle-Calédonie.

Au rez-de-chaussée de l’IRD, dans un local dédié de 80 m2, sont entreposées quelque 45 000 planches. L’herbier de Nouméa compte 80 000 spécimens. Les plus gros herbiers au monde (Vatican, Paris, etc.) peuvent en contenir jusqu’à 8 millions.
Les échantillons sont classés par ordre alphabétique, avec un certain nombre de qualifications (qui peuvent évoluer dans le temps avec la recherche) et un code-barres unique.