Sexualité virtuelle, mais vrais dangers

Le sexologue clinicien et psychothérapeute Alain Gariepy était ces derniers jours sur le territoire. À l’invitation de l’association Solidarité Sida-NC, le spécialiste a animé une conférence intitulée « Sexualité internet et univers virtuel » à l’UNC. Il a répondu à diverses questions dont voici des éléments de réponse.

Si le thème de la conférence portait sur la sexualité virtuelle, Alain Gariepy a tenu à aborder la pornographie sur le net, tant le sujet est vaste et inquiétant. « Il n’a nullement été question de parler de sites médicaux ou de site de rencontres », précise le professionnel. Le sexologue d’origine québécoise, mondialement connu pour ses études et essais sur le sujet, nous a donc dressé un tableau de la pornographie sur internet assez édifiant.

Si aujourd’hui, on peut faire l’amour à distance, tout savoir sur la fellation, la meilleure position, s’adonner incognito aux joies du voyeurisme ou regarder des vidéos et films porno gratuitement, les questions principales qui reviennent sont : est-ce que ce virtuel classé X améliore nos performances dans la vraie vie et est-ce bon pour notre santé mentale ?

Deux sexualités en opposition

Pour Alain Gariepy, avant toute chose, il est important dans une société où le virtuel est omniprésent de bien comprendre les enjeux d’une saine sexualité. Pour lui, « la sexualité relationnelle est l’expérience la plus complète de la représentation du plaisir et incarne la dimension la plus intime de notre personnalité, où nous prenons le risque d’être nous-mêmes. Elle permet la rencontre de soi, de l’autre, une ouverture à un monde de partage et de plaisir dans la vie amoureuse ». La pornographie, de son côté, « suggère un modèle éducatif où l’image est reine et où la personne devient un objet servant à l’assouvissement des besoins de l’autre. Elle entraîne avec elle une extinction de notre propre imaginaire, amène les jeunes à se créer des attentes surdimensionnées qui engendreront, entre autres, de l’anxiété, des problèmes de communication et une difficulté à définir leur propre personnalité sexuelle ».

La pornographie à l’encontre du relationnel

Le sexologue donne sa position sur les dangers de la pornographie sur internet en avançant tout d’abord un chiffre significatif. « Le site pornographique le plus populaire au monde, dont je tairai le nom, est consulté 64 milliards de fois en un an. C’est colossal et cela touche toutes les personnes, toutes les tranches d’âge, tous les sexes, que l’on soit à New York, à Paris ou à Nouméa. Ce qui nous interpelle donc aujourd’hui, c’est la dimension des excès possibles au niveau de la population. Il y a tellement de monde qui, occasionnellement ou par curiosité, consulte des sites pornographiques sur internet. » Selon Alain Gariepy, « le problème est qu’aujourd’hui qu’il y a de plus en plus de personnes qui, pour vivre leur sexualité, privilégient la pornographie plutôt que de développer un espace relationnel à deux ». Sans compter que ces sites comportent d’autres dangers. Ils sont volontairement ou accidentellement consultés par des mineurs. Selon l’Ifop (voir encadré), 87 % des jeunes de 11 ans et plus ont déjà visionné une image pornographique sur internet, soit sur un site soit via des images pop-up publicitaires.

Les risques de la sexualité 2.0

La pornographie et la sexualité virtuelle avec les chats de voyeurisme, par exemple, occasionnent, selon les spécialistes, des conséquences sociales importantes. Alain Gariepy avance que « de plus en plus d’individus sont dans la frustration. Ils veulent avoir une relation à deux mais n’y arrivent pas. Cela crée de la colère. Ils se penchent donc et restent, car il y a un phénomène d’addiction, sur des sites pornographiques pour des questions de facilité, de timidité, etc. La pornographie entretient donc cette frustration et crée chez ces individus des problèmes d’anxiété. Chez les couples, si l’un ou les deux consultent des sites porno, cela engendre des problèmes de performances et au final de frustration également, voire plus. » Et d’ajouter : « C’est le risque de nuire sur l’espace relationnel, la vie à deux. De se couper également de l’autre sexe ou de l’autre tout simplement. Ce qui inquiète, c’est que de plus en plus de jeunes préfèrent se diriger vers ces sites et comme cela crée une dépendance, ils préfèrent vivre finalement une sexualité en solitaire. » Pour confirmer cette position, d’autres spécialistes indiquent dans leurs différents rapports que le sexe sur internet complique la vie de l’individu en entraînant des problèmes psychosociaux, notamment des comportements de sexualité compulsive. Les utilisateurs employant internet à des fins sexuelles pendant 11 heures ou plus par semaine expérimentent des difficultés dans différents domaines de leur vie. « Ils s’enferment dans leur bulle et toute relation de communication avec l’autre est plus que limitée. »

La libération dans l’anonymat

Pourquoi internet est synonyme de surenchère ? Le sexologue Christophe Marx, auteur de La sexualité en quête de sens, souligne dans son livre que « la toile est un média avant tout visuel et la vue surtout chez les hommes est considérée comme un facteur d’excitation puissant ». Pour sa consœur, Catherine Blanc, « le sexe a toujours été «la» grande préoccupation de l’homme. Les garçons n’ont pas attendu l’ère de la souris pour essayer de regarder dans les toilettes des filles. Ce qui a changé, c’est qu’internet leur «permet» de le faire ».

Permettre, c’est surtout garantir l’anonymat, comme le rappelle Alain Gariepy : « La discrétion qu’offre ce média en fait un terrain idéal pour accomplir des fantasmes qu’on n’oserait pas assouvir dans la vie réelle. Mais internet n’est pas la vraie vie, même si aujourd’hui il en fait partie. »


L’Enquête Ifop 2013 sur le sexe 2.0

Selon cette enquête, 22 % des Français seraient prêts à faire l’amour virtuellement. Les enfants de moins de 10 ans représentent 10 % des connexions internet sur les sites porno. 11 % des jeunes ont déjà filmé leurs ébats amoureux et un tiers des 18-25 ans reconnaît avoir fait l’amour virtuellement. 22 % d’entre eux ont déjà assisté à un live show sur internet en direct. Si 82 % des femmes, contre 23 % en 1992, reconnaissent avoir déjà vu un film X, 1 Française sur 2 visionne du porno en solo. Pour François Kraus, directeur d’études de l’Ifop, « l’intégration de ces nouvelles technologies dans la sexualité tend à inverser le mouvement de dissimulation de l’activité sexuelle et d’intériorisation des pulsions induit par le processus historique de civilisation. Car en garantissant aux gens un total anonymat tout en leur permettant d’élargir leurs choix de partenaires potentiels, internet constitue un terrain idéal pour accomplir des fantasmes voyeuristes ou exhibitionnistes que l’on ne pouvait pas assouvir dans la vie réelle. L’engouement pour des sites spécialisés, comme les sites de sexcam, tient donc au fait qu’ils permettent aux adeptes de ce genre de pratiques d’assouvir des pulsions difficiles à réaliser dans la réalité ».

C.Sch