Réforme de la TGC : qu’en pense l’Autorité de la concurrence ?

Man shopping for groceries.

L’Autorité de la concurrence a rendu public son avis concernant les deux projets de loi portés par le gouvernement visant à encadrer le passage à la taxe générale sur la consommation. L’idée du gouvernement est d’éviter le risque inflationniste. L’analyse de l’Autorité publiée le 17 mai semble pourtant indiquer le contraire.

La politique de lutte contre la vie chère a-t-elle un sens ? Si la question peut paraître abrupte, c’est un peu le sentiment que l’on peut avoir en lisant le rapport publié le 17 mai par l’Autorité de la concurrence sur son site internet et librement consultable. Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’Autorité s’est interrogée sur les effets de la politique en matière de lutte contre la vie chère et plus particulièrement depuis 2010, année à partir de laquelle les manifestations importantes ont poussé les pouvoirs publics à renforcer leurs actions.
Le constat n’est pas glorieux puisque aujourd’hui, près de 450 produits, notamment ceux de première nécessité ou de grande consommation, font l’objet d’un encadrement de prix ou de marges. Des mesures qui n’ont pourtant pas permis de faire baisser les prix. Par rapport à la Métropole et aux collectivités d’outre-mer, l’écart important s’est simplement stabilisé. Si l’on regarde le prix du panier, ce dernier a toutefois augmenté de près de 20 % en Nouvelle-Calédonie par rapport à la Métropole.

Les multiples encadrements de marges et de prix ont néanmoins contribué à la maîtrise de l’inflation et paradoxalement, les prix des produits ou services de consommation courante peu ou pas réglementés ont, pour leur part, baissé sensiblement en raison d’une concurrence accrue.

Une inflation de 0,3 à 5 % ?

Dans ce contexte, l’Autorité de la concurrence con rme les craintes du gouvernement de voir les prix augmenter avec le passage à la TGC. Le délai trop court laissé à l’Autorité ne lui a cependant pas permis d’estimer ce risque inflationniste avec précision. Elle donne une fourchette d’augmentation de 0,3 % à 5 %, en s’appuyant sur les réponses à un questionnaire. Le premier facteur de risque est mécanique puisque la TSS à 5 % passerait à 11 %, de même que certains produits dits de luxe seraient taxés par une TGC à 22 %. Certaines entreprises pourraient également avoir un comportement opportuniste en ne répercutant pas totalement le montant des taxes supprimées dans le calcul de leurs prix.

L’Autorité de la concurrence souligne que le plafonnement des marges en taux présente plusieurs inconvénients. Il y a tout d’abord un e et « taquet ». Si un plafond est imposé, plutôt que de chercher à se livrer à la concurrence, les entreprises auront tout intérêt à se positionner au plafond. Si le prix de revient baisse, les entreprises n’auront pas d’intérêt à répercuter la baisse, mais en revanche, si le prix de revient augmente, les prix augmenteront pour le consommateur. Un e et de dégradation a ensuite été identifié. Dans le cadre d’un maintien du niveau de prix de vente, les entreprises pourraient être tentées de substituer des produits équivalents, mais de plus mauvaise qualité. Sans modification du prix de vente, la supercherie pourrait être très difficile à déceler. L’Autorité pointe en n deux risques, celui de report de marge et celui de substitution de produits. Dans les deux cas, l’idée est de contourner la loi en proposant des produits échappant à la réglementation. Mais au-delà de ces risques, l’analyse met en lumière des di cultés de mise en œuvre de la réglementation. Contrairement à ce que pouvait laisser penser Philippe Germain, le président du gouvernement, le contrôle de la réforme telle qu’elle est prévue pourrait s’avérer très di cile pour les services administratifs. La masse de documents à examiner pour un contrôle des marges serait énorme. Très certainement trop importante pour les équipes très réduites de la Direction des a aires économiques. De fait, le contrôle serait insu sant. À cela, il faut ajouter des sanctions peu dissuasives. Le gouvernement propose d’engager des procédures pénales contre les entreprises, procédures dont l’instruction peut prendre entre 9 et 18 mois avec, à la clef, des amendes de 178 000 francs ou 358 000 francs. Tous ces éléments ont conduit l’Autorité de la concurrence « à estimer que les mesures proposées ne sont pas, en l’état, suffisamment adaptées ni proportionnées à l’objectif de maintien ou de baisse des prix poursuivi ». Une alternative à la réforme actuelle est proposée ainsi que quelques pistes de réforme pour améliorer l’efficacité des mesures actuellement envisagées.

Un risque pour la croissance économique

L’Autorité de la concurrence souligne l’importance d’imposer aux entreprises de répercuter intégralement le désarmement des taxes actuelles sur les prix. A n de le contrôler de manière plus efficace, elle propose qu’une nouvelle infraction soit dé nie pour pouvoir sanctionner individuellement les entreprises qui pratiqueraient des prix et donc des marges excessives, à l’instar du dispositif mis en place en Australie entre 1999 et 2002, à l’occasion du passage à la TVA. Ce dispositif remplacerait le plafonnement des marges en valeur et la réglementation générale des prix. L’idée serait de pouvoir saisir l’Autorité au cas où des entreprises pratiqueraient des prix supérieurs à ceux relevés en octobre 2017 (auxquels on retirerait les taxes actuelles et l’on ajouterait la TGC). A n d’inciter les entreprises à respecter les règles du jeu, il est suggéré de mettre en place des sanctions très lourdes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires et d’informer les consommateurs sur les pratiques illégales. Sur le fond, l’Autorité de la concurrence adresse un désaveu assez sévère à cette réforme pourtant travaillée depuis plusieurs années. Le gouvernement va donc devoir trancher : prendre en compte les recommandations de l’Autorité de la concurrence au risque de devoir repenser le dispositif législatif ou appliquer la réforme telle qu’elle a été prévue, au risque de voir les prix augmenter et plonger l’économie calédonienne dans de nouvelles difficultés. Les conséquences d’une inflation de 5 %, dans le pire des cas, aurait des conséquences catastrophiques sur la consommation et donc sur le système productif dans son ensemble.

M.D