Patrice Dunoyer, une affaire loin d’être classée

L’affaire Patrice Dunoyer est loin d’être finie. Alors que nous annoncions les nouvelles sanctions prononcées par le CNRS à son encontre, de nouveaux éléments gravissimes sont peu à peu révélés sur cet homme qui a fait de la fraude scientifique une des bases de ses travaux. Les dernières enquêtes dont nous avons pu nous procurer les conclusions sont tout simplement incroyables.

Le « Guy Ribes des cahiers de labo ». C’est le surnom qui a été donné à Patrice dunoyer par des scientifiques, en hommage au plus célèbre faussaire de tableaux français. Ils considèrent Patrice Dunoyer comme l’un des plus grands falsificateurs scientifiques français. Une manière « amusante » de souligner la gravité des faits reprochés au chercheur spécialisé dans la génétique des plantes. Derrière la plaisanterie, la communauté scientifique est en colère. Contrairement à ce qu’a pu affirmer Philippe Dunoyer, député de la première circonscription de Nouvelle-Calédonie et leader du parti politique Calédonie ensemble, les accusations portées contre son frère sont extrêmement graves, d’autant qu’il s’avère, après enquête du CNRS, qu’il est le seul manipulateur dans cette histoire de fraude scientifique.

Fautes graves, sanctions légères

En revanche, Philippe Dunoyer a raison lorsqu’il s’interroge sur la relative clémence des sanctions de l’administration. Les chercheurs se posent la même question, mais dans le sens inverse. Ils cherchent à comprendre comment des accusations aussi graves peuvent conduire à des sanctions aussi légères. « C’est à croire qu’il faut tuer l’un de ses collègues pour être exclu du CNRS », ironise l’un d’eux. La décision du président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, paru au bulletin officiel du CNRS le 2 octobre est pourtant sans ambiguïté. « En commettant les faits susmentionnés, M. Dunoyer a gravement porté atteinte à l’image du CNRS et de la communauté scientifique dans son ensemble », note le PDG du centre de recherche.

En parallèle, le Conseil de la recherche en France a blanchi Olivier Voinnet, l’ancien directeur de recherche du laboratoire dans lequel travaillait Patrice Dunoyer jusqu’en 2010, date à laquelle il en est devenu lui-même le directeur. En 2015, des sanctions avaient été prononcées à l’encontre des deux chercheurs sans que de réelles investigations soient conduites par le CNRS. Depuis 2017, c’est désormais chose faite et les conclusions de ces investigations ne vont pas dans le sens de Patrice Dunoyer.

Les conclusions confidentielles de l’enquête menée en 2017, auxquelles nous avons pu avoir accès, soulignent la responsabilité et la culpabilité entière de Patrice Dunoyer. Les membres de la commission s’étonnent littéralement de l’étendue et la répétition des manipulations. La commission relève que Patrice Dunoyer ne semble par ailleurs pas avoir pris la mesure de la gravité des faits qui lui sont reprochés et sous-estime les conséquences de ses actes. Comme nous l’expliquions dans notre édition précédente, près de 300 travaux scientifiques à travers le monde sont aujourd’hui remis en cause. Pire, la réputation des quelque 25 personnes travaillant dans le laboratoire a été complètement discréditée. Ils sont encore nombreux aujourd’hui à ne pas avoir retrouvé d’activité professionnelle.

Certaines personnes très proches du dossier s’interrogent sur les soutiens dont Patrice Dunoyer auraient pu bénéficier pour passer au travers des mailles du filet et se faire punir si légèrement. À regarder les grilles de sanctions, ils sont nombreux à estimer que c’est la révocation qui aurait dû attendre le chercheur. Mais l’histoire est loin d’être terminée. D’autres actions devraient être engagées puisque l’enquête semble indiquer que les fraudes du scientifique dépassent le simple cadre de cette affaire. De nouvelles allégations ont encore été produites contre lui et pourraient donner lieu à de nouvelles sanctions.

Étrange sentiment d’impunité

En Calédonie, il flotte pourtant un étrange sentiment d’impunité. Bien informée de l’affaire, la communauté scientifique assiste incrédule à l’installation progressive de Patrice Dunoyer qui, il y a encore quelques jours, a été nommé représentant de la province Sud dans un nouvel organisme de recherche. Une situation d’autant plus étonnante que le désormais chargé de mission pour la province est censé être suspendu pour onze mois. En 2015, la première sanction prévoyait une suspension de 12 mois, dont un mois ferme et les autres avec sursis. Le fait que Patrice Dunoyer ait de nouveau falsifié des données aurait dû déclencher l’application de sa suspension.

Selon le haut-commissariat, seul le CNRS peut se prononcer sur l’applicabilité de cette sanction. Comme le rapporte un article paru dans la célèbre revue scientifique Nature le 10 octobre, elle doit s’appliquer dès la communication de la nouvelle sanction. C’est du moins ce qu’en dit Alain Schuhl, le directeur général délégué à la science du CNRS. La province Sud, que nous avons sollicitée, n’a pas donnée suite. Comme l’évoque la revue scientifique, les dernières sanctions ne devraient pas clore le dossier. De nouveaux articles du chercheur pourraient être mis en cause, d’autant que de nouveaux témoignages ont été récemment enregistrés.

M.D.

©AFP