L’histoire du bagne prend racines

Gelée depuis bientôt deux ans pour raisons budgétaires, l’ouverture du musée du bagne n’est pas abandonnée pour autant. L’association Témoignage d’un passé, cheville ouvrière du projet, a étendu ses ambitions à tout le site historique de l’île Nou et profité du Mois du patrimoine pour sensibiliser le public à ce chapitre majeur de l’histoire calédonienne.

Il est 9 h, sur la place de la Transportation. Juste en face, sur le débarcadère, quelques pêcheurs attendent patiemment au soleil qu’un poisson morde à l’hameçon. La quiétude des lieux en ce samedi matin invite à remonter dans le temps. En 1885, par exemple, quand l’île Nou comptait pas loin de 750 surveillants et personnel de l’administration pénitentiaire pour 10 500 condamnés et 6 400 libérés. « Le rêve, ce serait de libérer ce site de toute pollution visuelle ou sonore. C’est un espace phagocyté par différentes administrations, à tel point que l’on a oublié que c’était avant tout un site historique », regrette Yves Mermoud, président de l’association Témoignage d’un passé (Atup).

Depuis près de vingt ans, ce petit groupe de passionnés nourrit l’espoir d’ouvrir un musée du bagne. Un rêve légitime dans un pays durablement marqué par cette période de l’histoire. Mais le bagne, c’est aussi un sujet resté très longtemps sensible pour les familles calédoniennes et qui pourrait expliquer que la mine, la Seconde Guerre mondiale ou la mer aient eu leur musée bien avant le bagne, alors que l’administration pénitentiaire est restée en activité pendant plus de soixante ans*.

Un public de scolaires et de croisiéristes

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Face à ce nouveau projet, le plus difficile n’a pas été de convaincre les élus, confie l’association, mais de réunir les acteurs de Nouville (État, Nouvelle-Calédonie, province Sud, mairie) autour d’une même table. Depuis le début de l’année, un comité de pilotage se réunit régulièrement pour avancer sur ce dossier et contrer certains obstacles comme l’engorgement du parking de la place de la Transportation, qui est retombé dans le giron de la mairie, ou encore les problèmes de circulation de la rue Kataoui, qui a vocation à devenir une voie piétonne, et faciliter ainsi la venue de scolaires et de croisiéristes.

Or, ces partenariats portent déjà leurs fruits. Depuis plusieurs mois, l’Atup travaille avec le Creipac pour accueillir dans ses locaux, datant du bagne, les ateliers pédagogiques destinés aux élèves de CM1 et CM2. « Le calendrier est plein jusqu’à la fin de l’année », se réjouit l’association. Un circuit découverte de 45 minutes, regroupant les principaux sites tels que la boulangerie, l’hôtel du commandant, la chapelle, le boulevard du crime ou le presbytère, a également été imaginé pour les croisiéristes.

Il sera complété par un parcours archéologique, réalisé en partenariat avec la province Sud et la SLN, et le long duquel des silhouettes détourées de condamnés, d’enfants, de femmes de surveillants, telles qu’on en voit en Australie, seront disséminées « pour montrer qu’il y avait de la vie sur ce site et faciliter la plongée dans le temps », explique le président de l’Atup. Une poignée de guides bilingues travaillant avec les touristes étrangers devraient bénéficier dans les prochains jours d’une formation sur le bagne dispensée par l’association. « Nous allons commencer par les hôtels de Nouméa et nous roder sur de petits groupes, précise Yves Mermoud, pour être ensuite opérationnels pour la saison des croisiéristes. »

(*) Ouvert en 1865, le centre pénitentiaire de l’île Nou a fermé ses portes en 1931.


Questions à Emmanuelle Eriale, directrice du site historique de Nouville

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L’ouverture d’un musée du bagne avait été annoncée en grande pompe par la province Sud, il y a trois ans. Comment expliquer que ce projet se retrouve aujourd’hui gelé ?

Emmanuelle Eriale : Le musée devait ouvrir initialement en 2015 mais avec la découverte de nouveaux vestiges au cours des fouilles préventives, nous avons été amenés à redessiner le projet et déplacer certains bâtiments. En comptant un an de travaux pour la muséographie, l’électricité, etc., nous espérions pouvoir ouvrir en 2016. Mais fin 2014, des arbitrages budgétaires ont été pris en raison des difficultés financières que tout le monde connaît. Ce projet est actuellement en stand-by en attendant les financements. Il pourrait être intégré aux contrats de développement État/intercollectivités, pour lesquels Paris ne contribue qu’à hauteur de 25 %.

En attendant, l’association Témoignage d’un passé s’attelle depuis un an à développer cette entité historique de l’île Nou, qui n’existait pas jusqu’alors, plutôt que de miser uniquement sur le musée du bagne. Nous essayons de construire des partenariats avec les autres acteurs de Nouville comme le Creipac, l’Université, l’ETFPA, de façon à ce que le musée fonctionne à plein régime quand il sera ouvert.

Le regard sur le bagne a-t-il évolué avec le temps ?

Oui, et nous y contribuons, notamment au travers de ce partenariat avec Les Nouvelles calédoniennes dans lequel nous faisons paraître tous les samedis des articles sur les vieilles familles calédoniennes du temps du bagne. Quand on reprend les témoignages de ces mêmes familles il y a quinze ans, on constate qu’elles ne disaient pas autant de choses. Les langues se délient. Elles assument davantage leur héritage aujourd’hui.

Plus globalement, on constate également un plus grand engouement pour l’histoire calédonienne. On le voit avec l’ouverture du master histoire et patrimoine à l’Université de Nouvelle- Calédonie, qui compte 25 personnes par promotion. Ce phénomène se traduit aussi dans le contenu de la licence d’histoire, qui consacre plus de place à l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. L’an dernier, lors de la Journée des descendants du bagne, ce sont ces étudiants – que nous avions formés – qui ont assuré les visites auprès des familles descendantes de bagnards.

On sent une volonté de rafraîchir l’image du patrimoine. C’est important pour vous ?

Désormais, pour intéresser les gens au patrimoine, il faut passer par le ludique. Nous avons notre public attitré, qui nous est fidèle depuis des années. Mais tout l’enjeu est d’attirer un nouveau public. L’an dernier, nous avons travaillé avec Rando cycle NC pour proposer un circuit à vélo, qui nous a permis de faire venir des gens plus axés sur le sport. Cette année, avec le jeu de piste, nous avons capté un public plus familial. Nous utilisons aussi les moyens de communication modernes comme Facebook, Twitter…


L’UNESCO EN LIGNE DE MIRE

Sous l’impulsion de la Guyane et d’historiens métropolitains spécialisés dans les bagnes ultramarins, est née, fin 2015, l’association Terre de bagne, avec un double objectif : constituer un inventaire des archives et objets sur les bagnes ultramarins qui se trouvaient en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et au Vietnam, et demander, à plus long terme, l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité des sites ultramarins du bagne français. La Nouvelle-Calédonie peut s’appuyer sur l’expérience de ses voisins australiens qui ont réussi le tour de force de faire inscrire onze sites pénitentiaires datant du bagne sur près de 600 présentés. Michel Pierre, l’artisan du projet Terre de bagne, était en mission sur le Caillou en octobre 2015. « Il s’est montré très enthousiaste sur notre richesse architecturale qui, selon lui, est bien plus importante qu’en Guyane, rapporte Yves Mermoud. Nous avons des bâtiments superbes et des atouts non négligeables comme le fait d’être situés à quelques minutes du lieu où débarquent les croisiéristes. »

S’il faut compter au minimum dix ans de démarches pour une hypothétique inscription au patrimoine de l’humanité, l’initiative « ne pourra qu’encourager nos élus à faire quelque chose face à tout ce travail qui aura été mené en amont », veut croire le président de l’Atup. C’est aussi un excellent argument touristique. En Tasmanie, bien que certains bâtiments soient en ruine, le bagne de Port Arthur draine pas moins d’un million de visiteurs par an.
Prochaine étape du projet : la venue, en novembre, de Claire Anderson, représentante en Australie de l’Icomos, une ONG œuvrant pour la conservation des monuments historiques dans le monde et dont le représentant calédonien est l’archéologue Christophe Sand.

Texte et photos C.Cochin 

Par ici le programme !

Loin d’être fini, le Mois du patrimoine se poursuit jusqu’en octobre. Voici les événements phares à ne pas manquer.

Bourail / Samedi 1er octobre, de 9 h à 15 h, à Nessadiou
L’association des Arabes et amis des Arabes propose une journée découverte de leur culture et leurs traditions. À partir de 9 h, cérémonie d’accueil et coutume, visite du cimetière et des rites funéraires, visite de la mosquée et échanges sur l’histoire des Algériens en Nouvelle-Calédonie, suivis d’une fantasia en début d’après-midi avec les cavaliers de Nessadiou.

Farino / Samedi 1er octobre, de 8 h 30 à 16 h, avec un départ à la mairie de Farino
Découverte des arbres des Grandes fougères, dégustation de bougna et visite d’une propriété reboisée avec l’association Les Petites fougères.

Mont-Dore / Samedi 1er octobre, de 9 h à 20 h, à la mission de Saint-Louis
Visite guidée de la mission de Saint-Louis, de la grotte de Lourdes, du cimetière, de la rhumerie et de l’imprimerie, randonnée et découverte de la tribu, suivis d’un spectacle son et lumière.

Nouméa / Jusqu’au 3 octobre, au rond-point du Pacifique
Exposition de la locomotive Higginson, dernière rescapée de la saga du nickel et classée monument historique, avec l’association Les trains de Nouvelle-Calédonie.

Païta / Jusqu’au 23 octobre, à la médiathèque Exposition photos du livre Païta, tant d’histoires à raconter.

Retrouvez le programme complet sur www.province-sud.nc