L’économie calédonienne s’est cherchée un avenir

L’Université de la Nouvelle-Calédonie organisait, vendredi et samedi, un colloque international sur l’avenir de l’économie calédonienne. Chercheurs et responsables politiques sont venus présenter leurs différentes pistes de réflexion pour faire évoluer le système calédonien au lendemain de la sortie de l’Accord de Nouméa.

La fin de l’Accord de Nouméa ne signifie pas nécessairement indépendance. En revanche, la sortie de ce cadre nécessite d’inventer de nouveaux rapports avec la France, quels que soient les liens institutionnels. La Nouvelle-Calédonie, qui est déjà très largement autonome, devra en particulier renégocier les transferts et contreparties financières apportés par la Métropole au budget du territoire. Chercheurs, économistes et responsables politiques ont répondu à l’appel de l’Université de la Nouvelle-Calédonie pour présenter leurs réflexions sur le sujet et aider à tracer ce que pourrait être la voie de développement calédonienne.

 Des constats largement partagés

La première journée a été l’occasion pour les chercheurs et les économistes de dresser le portrait de l’économie calédonienne et ses spécificités qui font largement consensus. Une économie qui possède des atouts, mais aussi des faiblesses comme son éloignement ou son repli sur elle-même. Le système calédonien est toutefois relativement différent de la grande majorité des petites économies insulaires. Le territoire possède des caractéristiques communes, décrites par le modèle MIRAB qui explique le développement de ces petites économies par les migrations (MI), les envois de fonds (R), le financement au travers d’aides extérieures (A) et enfin la bureaucratie (B).

Cette théorie, développée par l’économie Geoff Bertram, présent pour le colloque, a été complétée en 2006 par un autre modèle PROFIT/SITE. Il distingue deux types de développement, l’un basé sur le tourisme (SITE) et l’autre (PROFIT), caractérisé par une autonomie politique qui permet de réguler les flux migratoires, les ressources locales, la fiscalité, les transferts financiers avec un objectif de diversification de l’activité économique.

Pour Catherine Ris, la directrice du laboratoire de recherches juridiques et économiques, la Nouvelle-Calédonie se trouve à l’intersection des modèles MIRAB et PROFIT, le territoire étant attrayant et générant des migrations davantage que de l’immigration, mais aussi du fait de l’importance des ressources minérales, des transferts, du poids des investissements étrangers ou encore de la prépondérance de l’administration.

Un modèle qui a permis d’atteindre un niveau de vie élevé, le PIB calédonien est un des plus forts du Pacifique, alors que certains indicateurs ne sont pas au niveau, c’est notamment le cas de la formation. D’ailleurs, le territoire affiche un certain retard par rapport aux pays ayant un niveau de vie comparable. Pour poursuivre son développement, les responsables calédoniens devront veiller à travailler les facteurs impactant la croissance à long terme, à commencer par les inégalités, l’ouverture de l’économie (à peine 5 % de l’ensemble des activités sont soumis à la concurrence extérieure), la qualité des institutions (leur stabilité, mais aussi la capacité des élus à prendre les bonnes décisions et d’avoir le courage de les assumer) et des marchés qui fonctionnent. Des exemples montrent que cela fonctionne, notamment l’Islande, qui répond à ces caractéristiques et prouve que cette voie de développement est possible.

La Calédonie a toutefois des obstacles à surmonter à commencer par la question du secteur public qui est un facteur d’amortissement des chocs extérieurs entretenu par des transferts continus. C’est aussi une source d’inégalités importantes – le revenu médian est presque supérieur de 50 % à celui du privé, ce qui n’incite pas non plus les jeunes formés à se diriger vers les sociétés privées.

Les protections de marché et le niveau de prix artificiels, fruits des inégalités générées par les transferts de l’État, ont permis la diversification du tissu productif calédonien, mais ont également conduit à une offre assise sur la demande intérieure et non sur des avantages comparatifs. L’économie calédonienne s’est développée en dehors des contraintes de compétitivité et de productivité et, paradoxe, les chefs d’entreprise pointent régulièrement un coût du travail trop élevé. Par rapport à la Métropole, les observations permettent de voir que le travail à bas coût revient moins cher en Nouvelle-Calédonie qu’en Métropole et inversement, les salaires élevés pèsent davantage sur les résultats des entreprises calédoniennes.

Mais en matière de trajectoire de développement, plusieurs économistes ont soulevé le manque de prise en compte du capital immatériel qui représente 70 % du capital total pouvant être transmis aux générations futures (les 30 % restants se décomposent en part égales de 15 % de capital naturel et de capital physique). De la même façon, il n’existe pas ou peu d’évaluation du poids des associations dans la production de valeur ajoutée et encore moins de l’économie sociale et solidaire.

La fin des transferts ?

L’idée du colloque était notamment de se pencher sur la question des transferts financiers de l’État qui, selon Bernard Deladrière, sont constitutionnalisés, notamment au travers de l’Accord de Nouméa. La fin de l’Accord implique donc leur remise en question. Pour Olivier Sudrie, économiste qui travaille régulièrement avec le gouvernement, la fin des transferts est tout simplement inenvisageable, compte tenu de leurs impacts. Les transferts permettent tout d’abord de financer une sur-rémunération qui représente aujourd’hui 10 % du PIB calédonien. Ce sont ensuite des transferts de capitaux qui rendent possible des programmes importants. La défiscalisation représente par exemple 1/6e de l’opération Tuband. Si la baisse de la moitié des transferts devait être compensée par le nickel, les calculs d’Olivier Sudrie donnent un cours du nickel au LME à 8 dollars US, en supposant que le seuil de rentabilité des usines serait de 4 dollars US. À long terme, le cours moyen du nickel est compris entre 4,5 et 5 dollars la livre.

Pour Jean-Pierre Lieb, fiscaliste bien connu des Calédoniens pour avoir travaillé sur la TGC, les transferts ne peuvent être substitués par des prélèvements obligatoires. Jean-Pierre Lieb préfère s’interroger sur les atouts du territoire. Il estime que la Nouvelle-Calédonie présente déjà une certaine attractivité sur le plan fiscal et qu’elle dispose de toute la capacité juridique pour transformer la Calédonie en un nouvel eldorado fiscal dans un monde qui connaît de profondes modifications avec la réforme BEPS* portée par l’OCDE* et dont la convention a été signé par plus de 70 pays au début du mois de juin. Comme le résume Jean-Pierre Lieb, la Nouvelle-Calédonie deviendrait le pavillon de complaisance fiscale de la France, au même titre que les îles Kerguelen le sont en matière maritime.

Dans le même registre, les transferts pourraient être remplacés par d’autres productions. Les affirmations des économistes n’ont pas fait plaisir aux représentants des industriels locaux. Pour Geoff Bretram, professeur d’économie à l’université du Victoria et à l’origine du modèle MIRAB, la Calédonie ne dispose pas, aujourd’hui, de productions d’exportation, les productions existantes sont destinées au marché intérieur. Substituer d’autres activités aux transferts nécessiterait que ces activités génèrent près de 150 milliards de francs chaque année. Si ce n’est pas impossible, il n’est pas inutile de garder à l’esprit quelques exemples donnés par l’ancien membre du gouvernement, Thierry Cornaille. Chaque année la filière crevette, une des premières filières d’exportation du territoire, présente un chiffre d’affaires de l’ordre de trois milliards de francs, un chiffre qui correspond plus ou moins aux aides publiques à la filière.

Une monnaie calédonienne ?

Outre les transferts, les spécialistes se sont penchés sur la question de la monnaie. Une question déterminante pour les échanges extérieurs. Toujours dans son style sans concession, Olivier Sudrie explique sans nuance que la formule actuelle est à coup sûr la meilleure. La fin de la parité du franc Pacifique garantie par l’État signifierait une dévaluation de 12 %, correspondant au déficit commercial, et à une baisse de pouvoir d’achat de 60 %. Dans l’assemblée, les représentants des Insoumis du Pacifique ont fait valoir qu’une banque nationale calédonienne pourrait très bien combler le déficit par de la création monétaire. Si elle pouvait effectivement le faire, elle n’aurait toutefois certainement pas les moyens d’une banque centrale européenne ou américaine et les partenaires commerciaux de la Calédonie s’empresseraient de refuser une monnaie calédonienne qui ne serait pas stable.

Mais le franc CFP et la zone euro ne sont pas non plus les seules solutions. Les travaux de Laïsa Ro’i, docteure en économie à l’IAC, montrent notamment l’absence de taux de change flottants en Océanie, un système lourd et complexe pour de petites économies insulaires. En revanche, certains pays du Pacifique ont créé des monnaies adossées à des paniers de monnaie comprenant les monnaies des principaux pays partenaires et, parfois, du dollar américain. Cette dernière monnaie joue un rôle tout particulier dans les échanges internationaux : elle est la seule à jouer un rôle positif sur les échanges, en dehors de « l’effet colonisation » (les pays qui partagent une histoire coloniale commune commercent presque deux fois plus que deux pays qui n’ont pas d’histoire en commun). La colonisation a d’ailleurs conduit à des systèmes d’échanges privilégiés. Selon les travaux de Laïsa Ro’i, le commerce des pays océaniens est 4,5 fois supérieur avec leurs anciennes tutelles coloniales qu’avec les autres. Un constat que Geoff Bertram regarde sous le prisme des traités régionaux. Pour lui, l’intégration régionale n’a pas porté ses fruits. Même si en dehors de la participation de la Nouvelle-Calédonie, de nouvelles dynamiques semblent s’engager avec de nouveaux traités en préparation.

Si les marges de manœuvre sont relativement limitées, la Nouvelle-Calédonie n’est pas condamnée à rester sous serre avec ses protections de marché, ni sous perfusion avec les transferts de la Métropole. Des exemples existent et prouvent que de petites économies insulaires peuvent trouver leur propre voie de développement et trouver leur place dans l’économie mondiale. Quel que soit l’avenir institutionnel du territoire, qui fera l’objet d’un colloque au mois de novembre à l’Université, une réforme du modèle est indispensable. Il faudra se demander ce que les Calédoniens veulent en matière de santé, de protection sociale ou encore d’éducation. En d’autres termes, il conviendra de redéfinir un système dans son ensemble et en adéquation avec les ressources et les potentiels du territoire.

 

*Érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices

*Organisation de coopération et de développement économiques