Le prix des yaourts à la hausse et à la baisse

Le groupe Calonne, à la tête de Socalait et Tennessee Farm, est le principal producteur de yaourts du territoire. Il a annoncé, mardi 5 février, une hausse des prix des yaourts a n de préserver son usine et les emplois. Le groupe explique cette hausse par des pertes suite à la mise en place de la TGC.

On pourrait presque parler de « yaourtgate » tant le dossier fait parler les Calédoniens. Le sujet alimente les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines au point de pousser le PDG du groupe Calonne, Henry Calonne, à organiser une conférence de presse pour annoncer les raisons de la hausse des prix prévue en début de semaine prochaine. Comme le soulignait lui-même Henry Calonne, après s’être focalisé pendant vingt ans sur la fameuse pâte à tartiner, c’est désormais au tour des yaourts d’être dans le collimateur des Calédoniens au point qu’on pourrait avoir l’impression que tout tourne autour de cette préparation à base de lait fermenté.

Le marché est aujourd’hui quasi monopolistique et seuls deux autres petits acteurs artisanaux sont présents : les Délices du Caillou et la Ferme de Sarraméa. Cela n’a toutefois pas toujours été le cas. La société Socalait a été créée en 1973. Jusqu’au début des années 90, le marché était réparti entre deux principaux acteurs : Socalait et Chedlait. En 1992, Chedlait faisait faillite et était racheté par Nestlé. Un an avant, Guy Moulin créait Tennessee Farm, à Bourail.

Position ultra-dominante

Dix ans plus tard, en 2003, la donne change puisque Socalait rachète Tennessee Farm et passe un contrat de coproduction avec Nestlé afin d’améliorer la rentabilité des outils de production. En 2010, Nestlé quitte la Nouvelle- Calédonie et revend ses actifs au groupe Calonne qui se retrouve en situation de quasi- monopole. Aujourd’hui, le groupe fait travailler une centaine de personnes pour un chiffre d’affaires de 2,4 milliards de francs et outre la production de yaourts et autres yaourts à boire, a une activité d’importation de glaces et de fromages notamment ainsi que des enseignes de distribution.

Mais cette position ultra-dominante(1) ne semble pas suffisante pour garantir la réussite économique. Henry Calonne pointe le fait que son groupe perd aujourd’hui de l’argent, en particulier en raison de l’instauration de la taxe générale sur la consommation. Une TGC qui devait pourtant préserver les marges des opérateurs.

Selon le PDG du groupe, la TGC et l’ouverture de quotas d’importation sur les yaourts aromatisés ont généré une baisse de 40 % de sa marge brute, soit 300 millions de francs de manque à gagner sur la marge dont 200 millions de francs rien que sur l’activité yaourt.

Une situation étonnante quand on regarde les chiffres avant la TGC. Si Tennessee Farm propose les tarifs les plus bas sur les yaourts, ce n’est pas le cas, par exemple, du fromage blanc. Dans une note de la Direction des a aires économiques reprise par l’Autorité de la concurrence dans son avis sur les protections de marché demandées par Socalait et Tennessee Farm, un pot de 500 grammes de fromage blanc de la Ferme de Sarraméa fabriqué à partir de lait frais pouvait être trouvé à 385 francs (prix médian entre janvier 2017 et juin 2018), contre 437 francs pour le fromage blanc industriel de Tennessee Farm à base de lait en poudre reconstitué.

Une situation d’autant plus étonnante que le groupe Calonne a alerté le gouvernement et engagé des discussions pour revoir la réglementation, de la même façon que le secteur des pièces détachées automobiles qui a, de son côté, bénéficié d’un assouplissement. Selon Henry Calonne, le gouvernement aurait rejeté ses demandes pour des raisons politiques, estimant qu’autoriser une hausse des prix serait un mauvais message à passer auprès du consommateur. Si la société est dans une situation aussi difficile, on peut s’étonner que le gouvernement n’ait pas cherché, a minima, à préserver les emplois. Si le résultat de l’entreprise est un chiffre confidentiel, la DAE y a accès pour motiver ses avis auprès du gouvernement.

Pas d’assouplissement du côté du gouvernement

Surtout que dans le même temps, le gouvernement reprenait toutes les demandes de protections de marché du producteur local sollicitée en 2016(2) lui o rant des protections à la fois tarifaires et quantitatives dont de nombreuses interdictions pures et simples d’importation(3). Selon Henry Calonne, l’idée de ces protections de marché est de lui permettre de retrouver les volumes nécessaires à son équilibre financier, perdus avec l’ouverture, ces dernières années, de quotas d’importation de yaourts aromatisés. C’est cette double baisse, de volume et de prix (en raison de la TGC), qui serait à l’origine de la chute de la rentabilité de la production de yaourts.

En dépit de la réglementation, le groupe va donc augmenter le prix de ses yaourts à compter de la semaine prochaine. Pour Henry Calonne, il en va de la survie de l’outil de production. Pour s’affranchir de la loi, les sociétés auront recours à un petit tour de passe-passe statutaire, les producteurs n’étant pas soumis à l’encadrement des marges. Le groupe va donc fusionner Socalait, société de distribution soumise à l’encadrement des marges, et Tennessee Farm, société de production qui n’y est donc pas soumise.

Les prix de certains yaourts vont remonter de manière assez significative puisqu’après avoir baissés de plus de 30 %, ils devraient remonter pour se situer aux environs de 300 francs les quatre yaourts nature. Du point de vue d’Henry Calonne, cette hausse est en fait une baisse par rapport au prix d’avant la TGC, de l’ordre de 10 à 15 %, soit l’engagement qui avait été pris dans le cadre des contrats de compétitivité des filières avant qu’ils ne soient remplacés par l’encadrement des prix.


1. Selon les chiffres de la DAE repris par l’Autorité de la concurrence, Tennessee Farm/Socalait détient 90 % des parts de marché de la production locale qui représente 66 % du marché contre 34 % d’importation. Production locale et importation confondues, les sociétés du groupe Calonne détiennent près de 60 % du marché des produits laitiers frais et des crèmes dessert UHT. Les distributeurs ayant des marges encadrées, ce sera donc à eux de rogner leurs marges pour amortir l’augmentation du prix. Une répercussion qui ne manquera pas de susciter des réactions.

2. La demande de protections de marché ayant été déposée avant la réforme, ces dernières ont été accordées sans les contreparties devenues obligatoires. La loi prévoit un délai de 60 mois, soit cinq ans, pour que les entreprises soumettent une nouvelle demande respectant les prescriptions de la nouvelle loi. Pour l’Autorité de la concurrence, les demandes conjointes d’un producteur et d’une société qui fait également de l’importation a de quoi étonner et susciter des questionnements.

3. C’est notamment le cas des crèmes dessert longue conservation qui ne pourront plus être importées, même si elles ne sont pas fabriquées localement. On notera que la demande pour ces produits était principalement constituée par des personnes à faibles revenus. Autrement dit, elles devront dorénavant consommer des yaourts plus chers ou se passer de produits laitiers de ce type.

M.D