La transition est en marche

À l’occasion de son bilan annuel, la société Enercal a présenté les grands enjeux de la transition énergétique. Une transition qui se met en œuvre au quotidien, mais représente un véritable dé pour le gestionnaire des systèmes électriques en Nouvelle- Calédonie. Retour sur 2017, ainsi que sur les perspectives pour les années à venir.

L a société calédonienne est-elle en pleine transition énergétique ? La question peut prêter à sourire si l’on considère les préoccupations environnementales sur le territoire, mais la réponse serait plutôt oui. Le schéma de transition énergétique est un véritable challenge pour la distribution publique, donc pour Enercal, qui en est le gestionnaire. La société d’économie mixte reste le plus gros producteur d’électricité, mais petit à petit, la part de production des autres commence à être significative. Point intéressant, ces moyens de production se diversifient. Aujourd’hui, on dispose d’outils alimentés par des énergies fossiles, pour les plus importants, mais aussi des moyens hydrauliques et renouvelables.

Le bilan annuel est l’occasion de se pencher sur les prix, souvent pointés du doigt. Avec 32,34 francs du kilowattheure, le tarif calédonien est moins élevé que celui de nos voisins du Vanuatu, de 57,98 francs ou encore de Wallis-et-Futuna qui détient la palme avec 95 francs. Ce dernier va toutefois progressivement être ramené au niveau du tarif métropolitain. Selon la présentation d’Enercal, le tarif calédonien est également moins élevé que celui du Danemark et de l’Allemagne (36,29 francs), au détail près que ces deux pays ont intégré une taxe de 30 % a n de nancer le développement des énergies renouvelables. Dernier élément au niveau du prix, il est resté inchangé depuis 2008. Une stabilité qui tranche avec la tendance à la hausse que l’on observe actuellement en Métropole.

Si l’intégration d’énergies renouvelables dans le réseau a un impact sur le prix, on s’attend toutefois, à terme, à une inversion, le prix du renouvelable devenant meilleur marché et plus efficace, alors que les prix des énergies fossiles devraient augmenter du fait de la raréfaction des ressources. Au-delà du coût, un des enjeux pour Enercal est de parvenir à intégrer ces nouvelles sources d’énergie sans dégrader la qualité du service. « Notre travail est d’identifier les risques à l’horizon 2030 tout en maîtrisant le coût et sans dégradation de la qualité de la distribution », explique Eric Lehouelleur, le chef du service transport et distribution.

Pour faire simple, Enercal doit s’assurer que la production d’électricité est en mesure de couvrir l’ensemble des besoins à chaque instant. Dans le cas contraire, le système court un risque de black-out. Le gestionnaire développe des modèles mathématiques d’anticipation qui tiennent compte, par exemple, de l’évolution des températures, a n d’estimer les besoins. Si les moyens de production fossiles assurent une production régulière, ce n’est pas le cas des énergies renouvelables, en dehors de la biomasse et de l’hydraulique. Les énergies éoliennes et photovoltaïques sont des énergies intermittentes. Afin d’assurer la stabilité du réseau pour éviter les coupures, le système a donc besoin d’une base.

Cette base, c’est la mine qui la fournit avec ses trois centrales électriques. Paradoxalement, c’est donc les mineurs, peu ou pas du tout concernés par la transition énergétique, qui permettent le développement des énergies renouvelables. Reste que les moyens installés l’ont été sans aucune concertation ni mutualisation. Un manque de cohérence et de gouvernance qui conduit à des gaspillages et une plus grande complexité du pilotage du système. Après avoir longtemps été géré à 24 heures, le système électrique calédonien est administré à la minute. Un changement nécessaire pour intégrer les énergies renouvelables assez volatiles, mais qui demande une adaptation des communications entre le gestionnaire et les producteurs qui sont toujours plus nombreux.

Enercal arrive aux limites de l’exercice et va devoir investir. En 2019, le système de téléconduite du réseau de transport sera renouvelé. L’investissement de plus de 600 millions de francs consistera à automatiser les procédures et améliorer les moyens de communication. L’intelligence artificielle fera son apparition a n d’aider les agents à prendre les meilleures décisions. L’idée est d’utiliser en premier lieu les énergies les moins chères tout en prenant en compte les énergies fatales, c’est- à-dire celles qui sont perdues si elles ne sont pas consommées au moment de sa production dans ce cas peu voire pas maîtrisable. De façon à pouvoir lisser la production de cette énergie et faciliter son introduction sur le réseau, Enercal réfléchit aux différentes solutions de stockage.

À l’horizon 2030, l’objectif est de produire chaque année 900 gigawatts grâce aux énergies renouvelables, soit l’équivalent de la consommation publique projetée. Enercal avance même que les surplus pourront être revendus aux métallurgistes. Les partisans d’une centrale C, mixant énergie fossile et énergies renouvelables, apprécieront le coin d’œil. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les débuts sont plutôt prometteurs. En deux ans, le nombre de projets photovoltaïques a explosé au point que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements 2016-2020 ont été atteints cette année dès le début du mois de mars, au moins pour le solaire, les projets éoliens ayant nettement moins le vent en poupe.

Un nouveau projet de PPI est déjà sur les rails. Victor Alonso, le nouveau directeur de la Direction de l’industrie, des mines, de l’énergie de Nouvelle-Calédonie, précise qu’il est en ligne sur le site de la Dimenc (dimenc.gouv.nc dans la rubrique énergie et l’onglet maîtrise de l’énergie). Il est à la consultation du public pendant 45 jours. Comme pour la précédente PPI, un appel à projets sera ensuite lancé, mais selon le directeur de la Dimenc, de nombreux projets sont dans les cartons et n’attendent que d’en sortir. La prochaine PPI pourrait être adoptée officiellement courant mai.

Mais la vraie révolution vient peut-être de l’équipement en solaire des particuliers, des entreprises et désormais des résidences collectives, depuis début mars. Cette autoconsommation a pris plutôt rapidement. Au 31 janvier, on comptait 538 projets concrétisés chez des particuliers pour une puissance de 2,8 MWc et 47 chez les professionnels pour une puissance de 1,1 MWc. Si la puissance installée d’à peine 4 MW est très modeste par rapport aux consommations relevées, il s’agit d’un premier pas vers une nouvelle organisation du réseau.

Ce n’est pas tellement dans la culture des producteurs d’énergie français, mais de plus en plus l’idée de petits réseaux interconnectés fait son chemin. Objectif : rapprocher au maximum les outils de production des lieux de consommation, sur les toits des entreprises ou encore des immeubles.


Une consommation parfois diffcile à couvrir

Le système est parfois au bout de ses limites, tout particulièrement en été quand les climatiseurs fonctionnent à plein régime. Les pics de consommation autour de 155 MW représentent un véritable danger de rupture. Il existe un dispositif, Energ’éco qui permet d’être prévenu par Enercal au moment venu. Les abonnés au service sont prévenus par SMS et sont incités à réduire leurs consommations. Vous pouvez vous inscrire sur le site d’Enercal (enercal.nc), un onglet Energ’éco est dédié au dispositif. Le même genre de système est utilisé en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où la consommation électrique est tendue, et dans d’autres endroits du monde. Sur la page d’accueil du site, vous pourrez également retrouver la courbe de la consommation d’électricité en temps réel, hors métallurgie.


Toujours plus de consommation

Plutôt qu’économiser, le mieux est encore de ne pas consommer. C’est le message qui est régulièrement rappelé. On pourrait ajouter le meilleur moyen de consommer, c’est de produire soi-même. L’autoconsommation, grâce au photovoltaïque chez les particuliers, présente l’avantage de réduire les besoins du réseau sans avoir d’impact pour les consommateurs. Le surplus produit est même vendu à Enercal à 21 francs du kilowatt. Mais concrètement, chaque année, la consommation par habitant ne cesse de progresser en Calédonie, de même que le nombre d’abonnés. La consommation augmente d’environ 2 % par an pour se situer aujourd’hui à 3,9 kWh. Il existe par ailleurs des di érences géographiques. Les habitants du Grand Nouméa consomment enmoyenne4,5à5MWcontre3à3,2MWen brousse. En Métropole, on enregistre en revanche une baisse significative (de 7 MWh à 6 MWh), fruit de la maîtrise des coûts et des mesures qui ont été associées. En Nouvelle-Calédonie, il existe encore relativement peu de mesures pour inciter à réduire sa consommation en dehors du dispositif adopté en décembre 2015 pour les installations photovoltaïques chez les particuliers. Pour le reste ? Beaucoup de discours, mais peu d’engagements. La réglementation sur les constructions moins voraces en énergie est toujours dans les cartons, comme beaucoup d’autres projets de réglementation qui dérangent un peu les habitudes des entreprises calédoniennes. Selon le directeur de la Dimenc, un projet pourrait être prochainement adopté, celui qui oblige à mettre des étiquettes notant l’e cacité énergétique des appareils électriques. Ce sera désormais l’Agence calédonienne de l’énergie de porter les mesures d’incitation à la réduction des consommations.


Enercal à la place d’EEC ?

Depuis l’adoption de la loi Sapin favorisant la mise en concurrence des entreprises, le « Yalta » qui existait en matière d’électricité en Nouvelle- Calédonie est progressivement en train de disparaître. Historiquement, Enercal et EEC s’étaient réparti la distribution de l’électricité, activité rentable, contrairement à l’autre métier qui est celui du transport. Les appels d’offres lancés ces dernières années par les communes en matière de distribution sont en train de changer la donne. L’année prochaine, le contrat d’EEC sur la commune de Nouméa arrive notamment à son terme. La direction d’Enercal indique que la société se positionnera sur ce marché


La part belle à la métallurgie

La métallurgie représente rien de moins que 75 % de la consommation électrique du territoire. Avec la mise en service du deuxième four de KNS, cette proportion devrait même atteindre 80 à 85 %. Selon les ingénieurs d’Enercal, ce poids démesuré est peu ordinaire et présente l’avantage de stabiliser et sécuriser l’ensemble du système. C’est en revanche un système peu respectueux de l’environnement, de par les émissions de polluants qu’il génère, ainsi que par les gaz à e et de serre. Rapporté au nombre d’habitants, la Nouvelle-Calédonie est l’un des premiers émetteurs au monde. Il est donc peu étonnant que les pouvoirs publics ne souhaitent même pas ouvrir le dossier d’une taxe carbone, chose très courante partout ailleurs.

M.D