La Calédonie a son corps diplomatique

La Nouvelle-Calédonie a présenté, mercredi 20 juin, les quatre nouveaux délégués qui la représenteront dans cinq ambassades françaises. Ces « ambassadeurs » du territoire auront la charge de faciliter l’intégration de la Nouvelle- Calédonie dans sa région en portant la politique d’ouverture du gouvernement. Après une formation d’un peu plus de dix mois en Europe et dans le Pacifique, ils prendront effectivement leurs fonctions.

Pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les interdépendances. » C’est un peu de cette phrase de Jean-Marie Tjibaou, dans «son livre La présence kanak, qui se concrétise aujourd’hui. La désignation des futurs délégués, qui représenteront la Nouvelle-Calédonie dans cinq ambassades françaises du Pacifique, marque plus certainement la concrétisation du partage de la souveraineté entre la France et la Nouvelle-Calédonie en matière de compétence des relations extérieures. Prévu par les accords de Matignon et confirmé par la loi organique découlant de l’Accord de Nouméa, ce partage marque la volonté de la Nouvelle-Calédonie de prendre toute sa place au sein de son environnement régional.

Si la désignation des délégués concrétise la constitution d’une sorte de corps diplomatique calédonien, le territoire avait déjà effectué un premier essai avec l’envoi d’un délégué en Nouvelle-Zélande dès 2012. Yves Lafoy occupait jusqu’à aujourd’hui cette fonction. Comme le souligne Philippe Germain, le président du gouvernement, le délégué a cependant véritablement commencé à travailler pour la Nouvelle-Calédonie en 2015, faute de véritable stratégie avant cette date. La volonté existait néanmoins puisque Yves Lafoy a été mandaté, dès 2009, pour porter le dossier d’adhésion de la Nouvelle-Calédonie au Forum des îles du Pacifique (le territoire est devenu membre à part entière du FIP en 2016).

Des missions très larges

En novembre 2015, une convention avait permis de fixer ses missions consistant à renforcer la coopération entre la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie et de favoriser les échanges sur le plan économique, culturel, sportif ou encore scientifique. Un an plus tard, les deux gouvernements signaient un accord bilatéral, le premier pour la Nouvelle-Calédonie qui exerçait alors, pour la première fois, sa capacité unique dans la République française à conclure des accords internationaux, dans la limite des compétences du territoire.

Ces accords bilatéraux conclus avec la Nouvelle-Zélande, puis l’Australie (d’autres accords doivent être passés, notamment avec la Papouasie Nouvelle-Guinée à l’occasion d’un prochain voyage du président calédonien) ne représentent qu’un seul volet de la stratégie d’intégration. La Nouvelle-Calédonie a également engagé un gros travail au niveau des différentes organisations internationales comme le Forum des îles du Pacifique, de l’Unesco, de l’Organisation internationale de la francophonie ou encore le Sommet des dirigeants des îles du Pacifique, auquel a récemment participé Philippe Germain au Japon.

Le troisième axe de travail porte sur la diplomatie économique régionale. Son objectif s’inscrit dans l’idée d’Emmanuel Macron d’éviter l’hégémonie d’un seul pays sur la zone Pacifique, à savoir la Chine, en permettant aux Etats insulaires de rester souverains politiquement en les aidant à assurer une souveraineté économique. Ce troisième axe est proche du quatrième qui concerne la politique de l’Union européenne dans la région et à laquelle la Nouvelle-Calédonie entend apporter sa contribution et surtout à en être le maître d’œuvre.

Les délégués, qui devraient être déployés dans le courant du premier semestre 2019, à l’issue de leur formation à Sciences Po dont les stages les conduiront aussi bien en Europe que dans le Pacifique, auront donc un éventail de missions assez larges même si l’économie risque d’occuper une bonne partie de leurs temps. Dans le cadre de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, Yves Lafoy est, par exemple, très occupé par le domaine de la construction. « Le pays du long nuage blanc » a d’énormes besoins en matière de construction et certaines entreprises calédoniennes comme Colas Pacifique, par exemple, sont fortement intéressées pour y prendre des marchés. Le délégué viendra sur le territoire au mois de juillet afin de rencontrer les acteurs du bâtiment pour présenter les besoins néo-zélandais et les opportunités pour les entreprises calédoniennes. Plus généralement, le délégué le plus expérimenté travaille sur les problématiques des barrières phytosanitaires et les normes afin que les normes françaises soient mieux reconnues.

Une nouvelle étape

Derrière ce travail diplomatique, les retombées sont bien concrètes et se traduisent par la conclusion de marchés et le développement de la présence des sociétés dans la région. C’est le cas en Nouvelle-Zélande où la société 3P commence à exporter des profilés en PVC, mais aussi au Vanuatu où la présence calédonienne se renforce. La dynamique devrait s’intensifier grâce à la présence des délégués en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Fidji, en Papouasie Nouvelle-Guinée et au Vanuatu, d’autant que de nouveaux outils financiers, de l’Agence française de développement notamment, vont renforcer les capacités d’intervention du territoire (lire en page économie).

La Ficol représente un levier intéressant dans la mesure où elle peut être utilisée à plusieurs reprises avec une enveloppe maximale de 120 millions de francs à chaque fois. Le Fonds européen de développement (FED), que le gouvernement espère pouvoir gérer, en est un autre. Sur cinq années, ce fonds représente 80 à 90 milliards de francs pour la région.

Quoi qu’il en soit, les délégués sont attendus par les entreprises calédoniennes, mais aussi les ambassades de France qui ont désormais dans leur feuille de route l’aide à l’intégration régionale de la Nouvelle-Calédonie. Une intégration qui ne peut-être bénéfique, surtout si elle ne se limite pas aux échanges commerciaux. Si la Nouvelle-Calédonie est un territoire français, elle est avant tout un territoire insulaire du Pacifique.

M.D.


Les CV

Gaston Wadrawane, 32 ans

Master 2 droit européen, international et comparé, spécialisé droit de la coopération économique (Prix du meilleur mémoire), Lyon ; Master 2 administration et gestion publique, Strasbourg… – Collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale, assistant économique pour l’Adécal, attaché au Vanuatu Investment Promotion Authority…

Cécilia Madeleine, 24 ans

Master 2 études internationales et européennes, spécialité sécurité internationale et défense, Grenoble ; Diplôme supérieur en relations internationales, Paris ; Corps des attachés d’administration générale de la Nouvelle-Calédonie…
Stagiaire au SCRRE, au haut-commissariat, à l’ambassade de France en Nouvelle- Zélande, à l’état-major interarmées des Fanc…

Alexandre Lafargue, 25 ans

Master 2 professionnel, métiers de la coopération et du développement, Paris ; Sciences Po Lyon – Affaires internationales, spécialité affaires européennes… Stagiaire au secrétariat général de la province Sud, à la direction de la Coopération internationale et du tourisme (Île-de-France)…

Rose Waen Wete, 33 ans

Licence en arts, science politique et sociologie, Fidji ; Maîtrise en arts, affaires internationales, Canberra, Australie…
Chargée des études politiques au Consulat général d’Australie à Nouméa, enseignante en anglais à l’UNC, chargée des relations internationales et responsable de gestion du Secrétariat du groupe du Fer de Lance mélanésien (GFLM), interprète et traductrice…

Yves Lafoy, l’actuel délégué en Nouvelle-Zélande qui sera prochainement affecté en Australie.

Principales réalisations

– Coordination de 40 visites officielles dont 8 politiques ; organisation de 3 missions
de diplomatie économique ; coorganisation de 45 événements de promotion de l’attractivité économique de la Nouvelle-Calédonie ; 19 conférences sur la spécificité institutionnelle, économique et environnementale de la Nouvelle-Calédonie, devant des ministères et/ou agences gouvernementales néo-zélandaises ;

– Cofinancement de 25 projets NC-NZ (45 % économiques, 55 % culturels/scientifiques) ;

– Accompagnement à l’export de 6 sociétés NC ; création du Club d’affaires NC-NZ d’Auckland (25 entrepreneurs) ; facilitateur de la première participation d’entreprises NC au Food Show, salon gastronomique annuel d’Auckland.

– Cofinancement du Festival du film français.