Filière fruits et légumes : des constats sévères

AFP PHOTO / Frederic J. BROWN

L’Autorité de la concurrence vient de publier un rapport sur l’organisation de la filière fruits et légumes. Le constat est sévère et l’analyse montre de nombreux dysfonctionnements jouant en défaveur des consommateurs. L’Autorité produit dix recommandations pour secouer la filière.

+ 43,0 % pour les fruits et +14,3 % pour les légumes. En huit ans, on peut dire que les prix ont littéralement explosé. Ces augmentations pointées par l’Autorité de la concurrence dans le rapport sur la filière ne trouvent pourtant pas leur origine dans une amélioration de la qualité des produits ni dans une forte augmentation des coûts de production. Pour le consommateur, le constat est plutôt difficile à avaler puisque ces augmentations ont notamment été rendues possibles par la mise en place des mesures protectionnistes, sans qu’aucune véritable contrepartie soit demandée aux producteurs.

Le rapport compare la consommation de fruits et légumes en Nouvelle-Calédonie, en Métropole et en Polynésie. L’observation a de quoi inquiéter. Sur le territoire, 41 % des adultes ne mangent pas de fruit ni de légume quotidiennement quand ils sont seulement 23 % en Polynésie. Le baromètre Santé de la Direction des affaires sanitaires montre que la consommation quotidienne de fruits et légumes a augmenté sensiblement (22 % à 38 % pour les fruits et 32 % à 43 % pour les légumes entre 2011 et 2016). Dans le même temps, le pourcentage de personnes consommant moins d’une fois par semaine des fruits et des légumes a aussi sensiblement augmenté, traduisant probablement une hausse des inégalités d’accès à ces produits dont les prix ont flambé sur la même période. Le manque de produits frais dans l’alimentation des Calédoniens devrait interpeller les autorités quant aux conséquences sanitaires. D’ores et déjà, près de 20 % des enfants de 12 ans sont obèses.

Des dysfonctionnements nombreux défavorables aux petits producteurs et aux consommateurs

Les raisons de ces faibles niveaux de consommation sont relativement simples à expliquer. Selon une étude de consommation commandée par la province Sud en 2016, la première raison est le prix, trop élevé. L’étude montre également que la production locale souffre d’une mauvaise réputation auprès d’une clientèle qui juge également défavorablement la qualité de la production.

La filière compte près de 3 500 agriculteurs pour les légumes et 250 pour les fruits. Mais lorsque l’on regarde dans le détail, moins d’une dizaine d’entre eux dans chacune des filières réalisent plus de la moitié de la portion marchande. Un décalage entre « grands » et « petits » qui a de graves conséquences sur la capacité de la filière à s’organiser et se structurer. Les gros producteurs ont pu investir dans des installations leur permettant de lisser leurs ventes tout au long de l’année et en particulier retarder les ventes pour bénéficier de prix plus élevés lorsque les autres producteurs ont écoulé leur production. On l’a vu récemment avec un producteur d’oignons, qui a profité des protections de marché pour imposer ses produits à des prix très élevés en bloquant les importations. Une pratique contestable, comme le rappelle l’Autorité, qui avait rapporté au producteur plusieurs millions de francs au détriment des consommateurs.

Cette poignée de grands producteurs a donc la capacité d’influencer directement le marché, d’autant plus que face à eux, pour écouler la production, le nombre de grossistes- distributeurs est relativement faible. Les producteurs peuvent organiser la rareté des produits afin de faire varier les prix à la hausse. Conjuguée à une importante protection face aux importations, cette structure de la production conduit à une paupérisation des petits producteurs, que l’on observe dans le recensement général agricole, et à la diminution de la population agricole, qui vit de plus en plus difficilement de son activité. Les victimes du système ne sont pas seulement les consommateurs, mais une grande partie des agriculteurs eux-mêmes et en particulier les plus petits qui se retrouvent extrêmement dépendant des grossistes-distributeurs.

La mise en place de l’interprofession fruits et légumes (Ifel) a paradoxalement contribué à aggraver le problème en permettant le rapprochement des distributeurs et des producteurs. Cette structure, qui avait vocation à mettre à la même table l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, a été l’occasion pour eux d’échanger des informations sur les prix. Une pratique illégale qui caractérise la collusion entre les producteurs et les distributeurs et qui, une fois encore, porte préjudice aux consommateurs. Mais rapidement, l’Ifel a fait ressurgir les vieilles oppositions entre les différents acteurs et poussé son ancien président à démissionner. De fait, l’Ifel, qui continue d’exister, n’exerce plus vraiment de mission.

Le comité de régulation du marché des fruits et légumes, créé suite aux dysfonctionnements de l’Ifel, ne répond pas mieux aux problématiques, l’Autorité y a constaté les mêmes pratiques. Au cours d’une audition, l’Erpa a d’ailleurs fait savoir qu’il ne parvenait pas à se procurer des chiffres fiables auprès des agriculteurs, des grossistes-distributeurs et, plus étonnant, du service des douanes… qui refuse de communiquer ses données. Une situation qui ne permet pas de régler les problèmes de pénuries régulièrement constatés et contribue à maintenir un haut niveau de prix.

Tous ces éléments découragent les agriculteurs à se regrouper au sein d’organisations professionnelles comme des coopératives. Soutenue par la province Sud, la COOP1 s’est notamment retrouvée confrontée à un problème d’écoulement de sa production, comme le souligne l’Autorité de la concurrence. Selon les membres de la coopérative, les grossistes et certaines centrales d’achat auraient tout bonnement refusé d’acheter cette production. De peur d’être boycottés, des producteurs ont expliqué ne pas vouloir adhérer à la COOP1 et certains adhérents ont même repris leur commercialisation directement auprès des grossistes-distributeurs. Les gros producteurs, qui peuvent influencer directement le marché, ne voient aucun intérêt à s’engager dans cette démarche, ni même de passer avec les grossistes-distributeurs des contrats à long terme permettant de lisser les prix.

Si les agriculteurs, en particulier les plus importants, et le soutien des politiques publiques permettant un statu quo ne favorisent pas l’amélioration de la situation, les pratiques des grossistes-distributeurs non plus. L’Autorité relève qu’ils s’engagent relativement peu, si ce n’est pas du tout, sur la différenciation des produits et leur valorisation. Actuellement, les produits issus de l’agriculture conventionnelle et de la filière bio sont tous mélangés. Le stockage et le conditionnement des fruits et légumes réalisés par les grossistes et distributeurs semblent également peu satisfaisants, mais indispensables du fait du manque d’équipements. Un projet de normalisation permettant de différencier des gammes de produits est en cours, comme cela a été annoncé lors de la présentation du bilan de politique publique agricole provinciale. Reste à savoir si les partenaires suivront.

Dix recommandations pour mettre les choses à plat

D’une manière générale, il ressort aussi un manque évident de prise en compte de l’intérêt général dans la structuration de la filière fruits et légumes, paradoxalement entretenu par les politiques publiques qui subventionnent très largement l’agriculture. Les aides représentent l’équivalent du montant de la production. Les protections de marché, au travers d’une taxe de soutien et de mise en place de quotas partiels ou complets n’apportent pas non plus de réponse aux problèmes des volumes et des prix.

L’Autorité de la concurrence formule dix recommandations qui visent à remettre les choses à plat et envisager de meilleures conditions pour les producteurs et un partage des bénéfices des politiques publiques plus important pour le consommateur. L’Autorité recommande de confier le soin à l’Agence rurale, structure indépendante en cours de création, de se charger de l’ouverture et de l’attribution des quotas d’importation en évitant soigneusement les risques de collusion (la possibilité de lever complètement les quotas à certaines périodes et pour certains produits pourrait être envisagée).

Pour les déterminer au plus juste et éviter les pénuries, l’Agence devra également s’assurer des prévisions de production locale grâce à un système de communication des données rendu obligatoire. Pour ce faire, l’Autorité propose de conditionner le versement des aides à la mise en place d’un meilleur suivi de gestion des exploitations. Il est également proposé de favoriser l’entrée de nouveaux importateurs en leur réservant des quotas. Ces quotas pourraient également être utilisés par les transformateurs ou directement par les acteurs de la restauration collective, par exemple.

Sur la question des protections de marché, l’Autorité recommande d’adapter la réglementation des prix et des marges. Le rétablissement de la liberté des prix pour les fruits et légumes non soumis à protection de marché, accompagné d’un dispositif de protection des agriculteurs locaux, permettrait de renforcer la concurrence. Pour les produits soumis à des protections, il conviendrait de connaître les coûts de production locaux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, notamment au travers de la mise en place d’un observatoire.

Afin de structurer la filière et face au constat d’échec de l’Ifel et des tensions entre les différents acteurs, l’Autorité conseille de favoriser la création d’organisations professionnelles à un niveau plus localisé et intégrant moins d’acteurs de la chaîne de valeur. Une fois le dialogue renoué, la réinstallation d’une organisation intégrant l’ensemble des acteurs de la filière pourrait être envisagée.

Le rapport dans son intégralité est sur le site internet de l’Autorité de la concurrence : www.autorite-concurrence.nc

M.D.