Escapade new-yorkaise pour un président virtuel

Comme chaque année depuis 1986, la Nouvelle-Calédonie rend compte devant la quatrième commission de l’Onu de son « cheminement vers l’émancipation », comme le prévoit et le dicte l’Accord de Nouméa. Une escapade à New York pour pas moins de trois délégations calédoniennes, qui revêt à 13 mois du référendum, des allures toutes particulières…

Au bon temps de l’ONU. – Jusqu’à récemment, s’exprimer devant l’Onu était l’apanage des indépendantistes, qui trouvaient à New York « une oreille plus attentive qu’à Matignon ou à l’Élysée ». Avant, oui ! Depuis, quelques missions de l’organisation internationale ont parcouru le territoire en long et en large… et le peuple colonisé est apparu moins à plaindre que d’autres…

Cheminements. – Les loyalistes, aussi, ont appris à composer avec l’Onu, puisqu’ils ne pouvaient pas éviter leurs déplacements et leurs missions répétées. Puis attention : « Cheminement vers l’émancipation » ne veut pas dire « cheminement vers l’indépendance » ! Au fil des années, les non-indépendantistes l’ont bien compris : et maintenant, ils « pétitionnent », comme on dit, devant la Commission de décolonisation de l’Onu.

Tourisme institutionnel. – Tant et si bien que cette année encore, trois délégations ont fait le voyage de New York, siège de l’Onu. Celle du FLNKS, c’est normal et légitime, il a initié le processus. Celle des plateformistes, conduite par Gaël Yanno, pour apporter une contradiction loyaliste, c’est aussi normal. Bien qu’ils s’expriment au seul nom de leur électorat et non au nom de l’ensemble des loyalistes : ce qui est plus contestable.

Germain ne se pose pas de question. – Et enfin, dernière délégation : celle du président du gouvernement démissionnaire, conduite par Philippe Germain, ne représentant, à ce stade, que lui-même et tout aussi plateformiste que la précédente délégation. Mais le mois d’octobre est doux à New York, sous les platanes des bords de l’East River… Doux pour le tourisme institutionnel.

Moralement incorrect. – Formellement, rien ne s’oppose à ce que Philippe Germain, ex-président d’un gouvernement démissionnaire, s’exprime à l’Onu : l’exercice de la gestion des affaires courantes s’apprécie au jugé. Doigt mouillé au vent, pourrait-on dire ! Mais moralement, tout aurait dû pourtant l’inciter à s’abstenir de cette escapade, qui s’apparente à une parenthèse de tourisme onusien. Président de rien, il n’est même pas signataire de l’Accord de Nouméa, ce qui lui aurait tenu lieu de visa en bonne et due forme.

Deux poids, deux mesures. – Certes, le même Philippe Germain a déjà fait le déplacement de Fidji pour le Forum des îles du Pacifique dans les mêmes conditions. « Or, nous dit José-Louis Barbançon dans le Club politique de RRB, déjà là les pays mélanésiens de la zone se sont sentis grugés quand ils ont appris que le président putatif calédonien n’était représentatif de rien du tout ! » Dans le même temps le président du gouvernement démissionnaire refusait à sa « ministre » de la Santé (Uni-Palika) de suivre un colloque à Brisbane, au motif que les secteurs n’étaient pas attribués. Qu’il s’agisse du président candidat ou des membres du gouvernement, il y a donc bien deux poids, deux mesures !

Reste une question. – En ces temps de restrictions budgétaires, fallait-il que trois délégations calédoniennes fassent le déplacement de New York pour pétitionner devant le Comité des 24, celui chargé par l’Onu des questions de décolonisation ? « Un comité présidé par un Vénézuélien, dont la vice- présidente est une Cubaine et le rapporteur, un Syrien », remarque perfidement, mais avec moult justesse, Bernard Deladrière ! Les délégations calédoniennes auront en outre trois minutes chacune pour s’exprimer devant « les représentants de ces trois grandes démocraties ».

La vérité dans les urnes. – C’est peu et restrictif pour expliquer un « cheminement » vers un référendum d’autodétermination, qui reste pleinement une affaire franco-française. D’autant que dans le vocabulaire onusien, décolonisation ne signifie aucunement indépendance ou pleine souveraineté. Ce raccourci, encouragé par certains et craint par d’autres, n’a pas valeur de scrutin. La vérité sera dans les urnes : dans bientôt un an !

M.Sp.


ET PENDANT CE TEMPS LÀ…

Pendant ce temps-là, la Calédonie tourne. Au ralenti. Au ralenti certes, comme depuis maintenant plus de deux ans, alors que le gouvernement diffère les réformes cruciales et attendues, comme celle des comptes sociaux.

Elle tourne, mais sans président du gouvernement. Et par conséquent sans secteurs attribués aux membres élus de l’exécutif. Les plateformistes refusent toujours de discuter de la politique économique et sociale avec les Républicains calédoniens, qu’ils accusent de « prendre en otage les institutions », alors qu’ils verrouillent chaque levier du pouvoir pour les accaparer tous. Si Paris valait bien une messe pour Henri IV, la présidence du gouvernement ne vaut pas une discussion pour Germain Ier. En conséquence, le haut-commissaire n’a toujours pas convoqué les membres du gouvernement pour une nouvelle tentative d’élection…

Reste que nos institutions en ont connu d’autres et continuent à fonctionner. Philippe Germain a beau s’époumoner à crier au loup et prévenir, dans un communiqué daté du 3 octobre, « qu’à défaut de l’élection prochaine d’un président de l’exécutif, il n’y aura pas de dépôt sur le bureau du Congrès de projet de budget avant le 15 novembre comme le dispose l’article 84-1 de la loi organique »… le budget 2018 ne prend pas de retard. Secteur par secteur, les directions de la Nouvelle-Calédonie préparent et renseignent leurs lignes budgétaires. Et si le gouvernement empêché ne procède pas aux arbitrages, c’est le Congrès qui le fera. Quoi de plus normal, au fond ?