Économie : est-ce que tout va vraiment si bien ?

Les débats autour de l’adoption du dernier budget supplémentaire au Congrès ont été l’occasion de vifs échanges entre l’exécutif et l’opposition. Pour le gouvernement, les signaux semblent plutôt au vert. Pour de nombreux chefs d’entreprise, en revanche, les perspectives sont nettement plus sombres, notamment en raison de la réforme de la réglementation des prix liée au passage à la TGC.

Crédits à l’habitat élevés, balance commerciale en progression, prévision de recettes fiscales à la hausse, emploi à un niveau historique, inflation nulle voire négative, accroissement continu de la fréquentation touristique, progression de la production agricole… Cet inventaire à la Prévert a été dressé par le gouvernement dans le cadre du vote du budget supplémentaire 2018 par le Congrès, le 8 août. Cette juxtaposition de chiffres ne dit pas grand-chose, mais donne l’impression que l’économie calédonienne se porte comme un charme, au point que certains n’y reconnaîtront peut-être pas la Nouvelle-Calédonie.

Pour de nombreux observateurs de la vie économique, le sentiment est toutefois très différent. Beaucoup estiment que la conjoncture n’est pas bonne, pire, que les réglementations à venir pour permettre la mise en œuvre de la taxe générale à la consommation (TGC) vont littéralement tuer une partie du commerce. Redoutant des mesures de rétorsion de la part des collectivités, nous avons rencontré le directeur général d’une société qui préfère garder l’anonymat.

L’économie en panne

Ce chef d’entreprise est à la tête d’une société qui a affiché un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de francs pour un résultat avant impôt de 15 millions de francs en 2017. Son sentiment est que les choses vont mal, cela se traduit tout d’abord par une arrivée massive de demandes d’emploi. S’il recevait par le passé un curriculum vitae par semaine, c’est désormais entre 5 et 10 par jour. Sur les trois dernières années, le chiffre d’affaires de la société a stagné à près.

Face à ce constat de panne, tous les investissements ont été gelés et les départs à la retraite ne seront pas remplacés, tout comme le passage de CDD en CDI qui resteront finalement en contrat à durée déterminée. Un attentisme que l’on retrouve dans la note de l’IEOM sur le premier trimestre 2018. Et c’est sans parler des impayés qui étaient de l’ordre de deux millions de francs par an et ont explosé, au début de l’année, pour atteindre une cinquantaine de millions de francs.

Mais ce qui inquiète davantage ce patron, ce sont les réformes à venir pour accompagner le passage à la taxe générale à la consommation. Le gouvernement semble s’orienter vers en encadrement des prix en taux alors que l’Autorité de la concurrence préconisait plutôt d’encadrer les marges en valeur afin de permettre aux entreprises de conserver les mêmes montants de marges. Si cette version de la loi conduisait de manière arithmétique à une baisse des prix importante, elle signerait surtout la mise en difficulté de certaines structures. « Cela reviendra à diviser nos marges par deux, pointe le directeur général. Nous n’aurons pas d’autres choix que de diviser aussi par deux notre masse salariale et cela aura pour conséquence une baisse de notre chiffre d’affaires de 30 % . »

Cette conséquence désastreuse, le patron n’en n’a pas fait de mystère auprès du syndicat majoritaire de son entreprise qui est prêt à se mobiliser contre ce projet de texte. Un travail sur un important plan social va également être engagé. Et à cela, il faut encore ajouter la prise en charge de l’avance des taxes perçues sur les stocks qui seront remboursées par le gouvernement sur les exercices suivants et probablement par un crédit d’impôt. Ce crédit ne sera pas d’un grand secours pour les entreprises qui en payent peu. Dans le même temps, le patron assure que les banques commencent à réduire les lignes de crédit qui permettaient jusque-là aux entreprises de poursuivre leur activité.

La réforme pourrait également entraîner des réactions en chaîne et pas nécessairement au bénéfice des consommateurs qui, pour consommer, dépendent de l’emploi. Plus largement, l’encadrement des marges en taux découragerait les importateurs à chercher des prix plus bas. Ils auraient au contraire tout intérêt à acheter leurs produits plus chers afin de conserver leur niveau de marges. On observerait alors, de manière tout à fait légale, une hausse des prix. Cela pourrait également conduire à une raréfaction de l’offre de produits. Les importateurs n’auraient plus forcément intérêt à importer des produits peu chers, ne pouvant plus réaliser d’équilibre entre des produits chers et des produits de première nécessité. Ils concentreraient alors sur des produits leur assurant un minimum de marges.

Des discussions houleuses

Ce projet conduirait ainsi à des bouleversements dans le secteur du commerce, y compris en Brousse où les magasins auraient du mal à se fournir et proposer des produits adaptés à leur clientèle. Et plus généralement, en cascade, l’ensemble des secteurs d’activité serait touché par cette baisse de création de valeur ajoutée. Et ce, d’autant plus si la grande distribution se met elle-même à importer. L’importation représente quelques centaines d’emplois et des centaines de millions de francs versés en droits de douane qui viennent abonder le budget des collectivités.

À l’occasion du dernier comité de suivi de l’agenda partagé, les discussions ont tourné court et les partenaires sociaux ont décidé de se retrouver seuls afin de présenter leurs propres propositions. En dehors des produits soumis aux taux de 3, 6 et 11 % pour lesquels les prix devraient baisser en répercutant intégralement la suppression des taxes, les professionnels demandent à pouvoir maintenir les prix à leur niveau actuel des produits frappés par le futur taux de TGC à 22 %, de façon à trouver un équilibre sur l’ensemble, comme c’est plus ou moins le cas actuellement. Des discussions sont engagées, mais restent conditionnées à la décision finale du gouvernement. Faute de concertation, le risque de mouvements sociaux sera élevé. Le Conseil économique social et environnemental doit se prononcer vendredi sur ce projet de texte qui promet un débat houleux prochainement au Congrès. La position des indépendantistes, et en particulier de l’Union calédonienne, sera déterminante.

M.D.