Économie : chronique d’un crash annoncé

La confiance des entrepreneurs décroche selon l’IEOM. La CCI décrète « l’état d’urgence économique » pour obtenir un plan de relance, que le gouvernement peine à décoffrer. Le Ruamm entre en zone très rouge dès le mois prochain. Les communes, notamment du grand Nouméa, sont asphyxiées financièrement. La Calédonie gravement s’enlise dans la crise.. et, pour l’heure les pouvoirs publics font encore l’autruche…

L’IEOM alerte. – Il est loin le temps où les journaux métropolitains parlaient de la Calédonie comme d’un « Eldorado » ! L’Eldorado prend l’eau. Il y a quelques semaines, c’est l’IEOM, institut de veille statistique, qui alertait l’opinion en affirmant que la confiance des chefs d’entreprises « décrochait » à tous les étages de l’édifice économique. « L’indicateur du climat des affaires (ICA), qui résume l’opinion des entrepreneurs interrogés sur la conjoncture, s’effondre au premier trimestre 2016 », pouvait-on lire dans la note de conjoncture de mai dernier. Moins 10 points au premier trimestre 2016, moins 22 points sur une moyenne longue, l’Institut d’Émission d’Outre Mer : du jamais vu. D’autant que, dans cette même étude, « les chefs d’entreprise faisaient globalement état d’anticipations à la baisse, tant sur leurs prix de ventes que sur les perspectives d’investissements ou d’embauche », concluait la note de l’IEOM.

La CCI s’alarme. – La semaine passée, c’est la CCI, que l’on avait connue plus discrète sous de précédents mandats, qui s’est alarmée devant la dégradation de la situation économique et l’immobilisme des pouvoirs publics. Là, ce ne sont plus des analystes qui observent leurs courbes plonger, mais des chefs d’entreprises représentatifs du tissu économique calédonien qui s’alarment à l’instar de leur présidente, Jennifer Seagoe : « Les indicateurs, et pas seulement ceux du nickel ou de ses sous-traitants, se dégradent en ce début d’année 2016. Les perspectives deviennent de plus en plus alarmantes pour la fin d’année. La CCI reçoit des retours inquiétants de nombreux chefs d’entreprise, et ce dans des secteurs porteurs pour le territoire, tels que le nickel, le BTP, l’automobile, ou encore le commerce. Avec souvent comme corollaires des perspectives de licenciements et des problèmes de trésorerie ».

Récession économique. – Le ton mesuré, mais le verbe cruel, la présidente de la CCI énonce une « série d’indicateurs en chute libre » : + 34 % de demandeurs d’emploi entre décembre 2015 et février 2016 soit une dégradation des offres de – 9 %. « Le secteur du BTP affiche une baisse de 28 % des ventes de ciment », qui traduit un fort ralentissement de l’activité : « les effectifs ont parallèlement passé de 9 200 salariés début 2015 à 7 500 en fin d’année ». Le secteur de l’automobile enregistre pour sa part une baisse de 22 % du volume de ses ventes entre avril 2015 et avril 2016. « Ainsi les ventes de pick-up double cabine, depuis 10 ans le véhicule le plus vendu en Nouvelle-Calédonie, ont dégringolé de 50 % au cours des 4 derniers mois ». Enfin, signe des temps, « près de 10 % des cellules commerciales du centre-ville de Nouméa sont vides et 45 % ont fermé depuis moins d’un an ! » Mis bout à bout, ces chiffres offrent un visage inédit de la Calédonie, qui « semble entrer rapidement en récession », dit sans détour Jennifer Seagoe. Récession : hier encore le mot faisait peur. « Il recouvre aujourd’hui une réalité économique », scandent les élus de la CCI.

« Etat d’urgence » pour une relance. – « Nous entrons dans une période d’état d’urgence économique et il est primordial d’agir rapidement », affirme Jennifer Seagoe. Unanimes, les élus de la CCI proposent « un plan de relance » qu’ils souhaitent présenter et porter auprès de toutes les institutions du territoire « pour assurer à très court terme la survie des entreprises, l’emploi des Calédoniens et la relance économique ». Suivent onze mesures pour relancer la machine économique. Certaines relèvent du bon sens, comme accélérer les délais de paiement des institutions et établissements publics pour les ramener à un mois. Ou, comme donner une préférence aux entreprises locales dans les appels d’offres lancés par les collectivités notamment… D’autres feront d’avantage débat, comme l’idée de changer de fuseau horaire et d’avancer toutes nos pendules d’une heure : « Une heure de jour en plus c’est une heure d’achats en plus chaque jour », dit-on à la CCI. Une chose est claire : la nouvelle équipe a des idées… Mais cherche à les partager, car le temps presse.

Le Ruamm prêt à dévisser. – Si la CCI cherche ainsi à sauver les meubles, c’est aussi que les perspectives s’assombrissent du côté des comptes sociaux. « La crise du nickel s’est doublée d’une crise des finances publiques », avertissait Grégoire Bernut dans nos colonnes. Nous y voici. Les comptes du Ruamm affichent un déficit cumulé sur trois ans de 10 milliards de francs. Pêle-mêle, les praticiens du territoire dénoncent « le manque de flexibilité des pouvoirs publics omniprésents », « un contexte réglementaire instable et pléthorique », « une absence de vision et de perspectives à court et moyen terme ». Plus officieusement, et voyant tous leurs remboursements Cafat retardés, ils envisagent de ne plus prodiguer de soins qu’aux personnes acquittant cash la totalité de la consultation. La négation de notre système de soins, mais leur seule arme pour faire entendre une juste cause ! Mais les comptes sociaux ne sont pas les seuls à crier « au secours ! ». Lancé il y a quelques mois le SOS des communes n’a pas été entendu : tout allait… encore « trop bien ! », disent aujourd’hui les maires. Et pourtant.

Les communes asphyxiées. – « En l’état, le budget 2017 est impossible à boucler ! », préviennent les maires des 33 communes du territoire, récemment regroupées pour la première fois depuis longtemps. Le cri d’alarme est parti des communes du grand Nouméa, lesquelles accueillent près des 2/3 de la population calédonienne, avec des infrastructures à vocation territoriale (comme le futur Médipôle de Dumbéa), mais des revenus qui fondent comme neige au soleil. De quoi vivent les communes ? Réponse : des centimes additionnels, dont il ne faut rien attendre quand l’impôt se tarit ou rentre mal. De taxes affectées, comme la taxe sur les permis de construire – qui (lorsqu’elle existe) s’assèche quand le BTP est en panne. De subventions et d’aides des provinces et de la Nouvelle-Calédonie… Or, celle-ci a fermé le robinet des aides, imitée par la province Sud pour des raisons évidentes de proximité politique. Résultat : à moins de s’appeler EPLP, toutes les associations culturelles, sportives et festives doivent réduire la voilure, ou laisser filer l’année faute de subsides. Une politique qui écorne jusqu’à l’image pionnière de la Calédonie !

La Fête du bœuf dans l’étau. – L’exemple de la Fête du bœuf de Païta, menacée d’extinction au moins pour son édition 2016, est tout à fait flagrant. La subvention de la Calédonie est passée de 5,5 millions à 2 millions : le manque à gagner est donc de 3,5 millions de francs. Pour la Comité des fêtes de la ville, deux solutions : annuler l’édition 2016 de la Fête du bœuf, annulée une seule fois en 23 ans pour cause de très fortes pluies… Ou imposer une entrée payante, comme à Boulouparis. Mais avec plus de 20 000 visiteurs sur une journée, s’il fallait s’acquitter d’une entrée, les bouchons commenceraient sur la SavExpress. Et jamais Harold Martin, le maire de Païta, qui a construit la notoriété de cet événement broussard proche de la Ville notamment sur sa gratuité, ne tolèrerait pareille rebuffade ! De là à imaginer une sanction économique de Calédonie ensemble envers une mairie qui ne l’est pas… Et envers 20 000 visiteurs qui ne le seraient pas ? Intéressant.

« Quand y’a pas, y’a plus d’idée ». – Pour l’heure, Les Républicains sont les seuls politiques à avoir tiré la sonnette d’alarme. Vont-ils rester les seuls ? Le gouvernement, s’est longtemps obstiné dans une politique de rigueur budgétaire, notamment sous l’ère Cornaille. Mais celle-ci, on le voit, a ses limites : à force de serrer la vis, l’écrou finit par lâcher. Alors que va maintenant nous servir l’équipe Germain ? Que va-t-elle nous substituer au fameux « Quand y’a pas, ya pas ! », qui a fait recette, mais ne fait plus rire ? Silence radio pour le moment. Côtés indépendantistes, on sait le Palika empêtré dans la défense de sa doctrine nickel mise à mal, y compris, par ses alliés socialistes. D’autant que les efforts de diversification de la province Nord (aquaculture, sylviculture, tourisme…) ont absorbé tous les dividendes de la STCPI en pure perte, semble-t-il… On serait curieux de connaître la lecture que fait l’UC de ces difficultés économiques : sûrement ce vieux parti de routiers de la politique réserve-t-il ses appréciations pour la prochaine séance publique du Congrès !

Alors, merci qui ? – Des récents événements, une constante se dégage cependant : alors que la Calédonie se rapproche inexorablement de la sortie de l’Accord de Nouméa, chacun mise encore sur les subsides de l’État pour passer le cap de la récession. Que ce soit la SLN, premier employeur du territoire, qui s’en remet au prêt de Valls à la STCPI pour assurer ses fins de mois, ou maintenant les communes, et notamment celles du grand Nouméa, accrochées à leurs contrats de plan, actuels ou futurs, pour financer leurs nécessaires infrastructures…

Voilà qui devrait inciter les apprentis sorciers et autres nationalistes de tous bords à plus de retenue d’un côté. D’action de l’autre.

M.Sp-La Tribune