Délinquance : le gouvernement a son plan de lutte

L’exécutif a adopté son plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance qu’il présentera prochainement au Congrès. L’objectif est de lutter en profondeur contre les violences et addictions en fédérant l’ensemble des secteurs concernés et des collectivités.

Après le Conseil territorial de prévention de la délinquance initié par l’État en 2010, voici le plan territorial du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Ses contours, très larges, sont dessinés depuis un an à la demande du Congrès et il est donc prêt à être validé. Ce plan de lutte contre la délinquance ne se substitue pas au premier, a dit l’exécutif mais sous-tend une volonté de prise en main territoriale des phénomènes « dans le respect des compétences de chacun », une volonté de faire « avancer les politiques publiques et les réglementations », en particulier durant cette période où la Nouvelle-Calédonie a « rendez-vous avec son histoire et où les sources de tension et de conflits sont à proscrire »… À l’heure, est-il ajouté, où il est « impératif de conserver la confiance des investisseurs locaux et étrangers », grâce à un climat apaisé.

Constat

Le constat est connu de tous sur le territoire : une délinquance en progression depuis quinze ans, présentant de multiples formes dans les rues, dans les familles, sur les routes et, en général, sur fond d’alcool et de drogue. Et des délinquants – on n’a plus peur des mots semble- t-il – souvent « jeunes », « masculins » et « kanak ». La situation dérange tous les Calédoniens au quotidien et est désormais « susceptible de porter atteinte à la cohésion sociale », selon les mots du président du gouvernement, Philippe Germain. Sans mentionner les coûts humains et financiers que l’on connaît.

Face à cette situation plus que préoccupante et porteuse de bien des malheurs, l’exécutif propose ce plan d’action quinquennal 2018- 2022 qui a pour ambition d’associer, dans un même élan et une même ligne directrice, l’ensemble des acteurs, provinces, communes, associations, monde éducatif, autorités coutumières… et l’État, qui reste compétent, bien sûr, en matière de sécurité et de justice. Le principe général est de diminuer l’éparpillement des idées et des actions, de légiférer ce qui a besoin de l’être, de viser « plus de cohérence » et « moins de carences », avec une évaluation annuelle et d’éventuels réajustements.

Un pavé

Alors, pour être franc, à la lecture de ce volumineux plan de près de 100 pages et 136 actions, on entrevoit un important exercice de « communication », avec des annonces à foison, une reprise de l’existant (on retrouve, par exemple, les politiques sur la sécurité routière, l’emploi ou le fameux plan Do Kamo pour la santé) et dans la présentation de la démarche une forme d’appropriation au final de ce qui a été initié par les autres.

Mais s’illustre néanmoins une volonté générale de faire preuve de moins de tolérance face aux délits, aux crimes et à ceux qui les commettent, à sortir les jeunes en particulier de l’oisiveté et des addictions, à briser les tabous et changer le regard de la société sur tous ces phénomènes. Un travail de longue haleine, certes, mais qu’il est plus que temps d’engager de la manière la plus sérieuse qu’il soit. À espérer maintenant que ce programme répondra aux attentes, nombreuses et réelles des Calédoniens. Et que la Calédonie aura les moyens de ses ambitions.

Une méthode

Voilà pour la vision générale. Ensuite sur la méthode, ce plan a été « construit » durant une année par les membres de l’exécutif avec l’État, les trois provinces, les maires et associations de maires, les associations, le Cese, le Sénat coutumier, ainsi que les instances du dialogue social, les établissements publics et les directions de la Nouvelle-Calédonie. Les orientations des autres plans, nous l’avons dit plus haut, sont prises en compte : projet éducatif, stratégie de l’emploi et insertion (SEIP), plan Do Kamo, États généraux de l’habitat, plan « Marshall » du Sénat coutumier, etc.

En matière de gouvernance, on trouvera à la tête de ce nouvel outil un Conseil territorial, organe de concentration de tous les acteurs, chargé d’assurer la mise en œuvre du plan et coprésidé par le président du gouvernement et le haut- commissaire. Il est aussi prévu d’instaurer un Conseil restreint, plus opérationnel, et regroupant chaque mois les « coordinateurs », des référents désignés au sein de toutes les institutions et s’attelant à cette tâche à plein temps.

Changer les mentalités

La communication est un maillon essentiel de la stratégie du gouvernement. Il faut « changer les mentalités » des Calédoniens sur l’alcool, la drogue, les comportements routiers, les violences sur les femmes, en clair, condamner toutes ces formes de délinquance, valoriser les « chemins de la réussite » et « faire en sorte que la jeunesse ait plutôt envie de se construire via le sport, les valeurs communes ». Les actions de sensibilisation seront récurrentes durant cinq ans dans les médias et réseaux sociaux et « tous les moyens publics seront mis à contribution pour relayer ces messages » (écoles, grands rendez- vous, etc.). Les mêmes messages, promet-on, seront martelés partout, tout le temps…

Alcool et cannabis

L’alcool est présenté comme la « Grande Cause pays ». Forcément… il est quasi systématiquement impliqué.
Après la récente réglementation sur le prix de l’alcool, d’autres textes sont annoncés comme l’interdiction totale de la publicité liée à l’alcool, avec un vote annoncé « vers la rentrée », et le renforcement des sanctions pour la vente d’alcool aux mineurs (fermeture administrative pouvant aller jusqu’à 3 mois et une amende de près de 900 000 F).  La lutte contre le marché noir va s’intensifier et plusieurs idées sont à l’étude pour les espaces de vente, peut-être les fameux bottle shops à l’anglo-saxonne ou encore la création de « zones franches » – sans alcool – autour des établissements publics et des écoles.

Le cannabis, qui fait tout autant de ravages, est aussi évidemment en ligne de mire. L’objectif est de s’attaquer aux lieux de production, d’aller vers « l’éradication », a dit Philippe Germain. À noter qu’une réglementation des nakamals est de nouveau à l’étude (nous renvoyant à 2012 !). On parle, enfin, de la création d’un Itep, institut thérapeutique éducatif et pédagogique, pour les personnes présentant des troubles du comportement.

Sécurité routière

Peu de nouveautés ici, le plan quinquennal dédié suit son cours jusqu’à la fin de l’année. Deux textes, sur la tolérance zéro à l’égard des jeunes et sur le contrôle technique, sont sur le bureau du Congrès. Les prochaines priorités, a souligné Cynthia Ligeard, en charge du secteur au gouvernement, seront l’obtention du permis de conduire (que 30 % des conducteurs n’ont pas !) et les conduites addictives. Le déploiement du système « Lapi », qui doit permettre aux radars de pouvoir « lire » les plaques d’immatriculation est toujours dans les cartons. Un plan triennal cette fois, sera présenté en fin d’année.

Violences aux personnes et atteintes aux biens

Le procureur de la République, Alexis Bouroz, a rappelé cette semaine dans le quotidien, la triste réalité des violences intrafamiliales et l’omerta qui règne sur les bourreaux. L’intégration de la Nouvelle-Calédonie dans une étude nationale a été validée par l’État et doit permettre de faire un état des lieux précis, de connaître les chiffres de ces violences, en sachant que les dernières données datent de 2003.

Pour faire au mieux son travail, la justice attend de son côté l’instauration du fameux dispositif « Téléphone grave danger » pour les personnes à risque, mais aussi et surtout le déploiement du système de géolocalisation sur tout le territoire pour la recherche des personnes disparues. Un outil essentiel. Sinon, dans les grandes lignes, le gouvernement prône toujours un meilleur accueil et suivi des victimes, la facilitation des dépôts de plainte et la création de postes de travailleurs sociaux au commissariat et en gendarmerie.

En ce qui concerne les biens, le président a, là aussi, repris les mots du procureur : l’époque où l’on laissait ses portes ouvertes est belle est bien révolue. Nous faisons face à des « vols d’opportunité » et le message est clair : il faut apprendre à mieux se protéger.

Mais un programme d’action est tout de même annoncé avec, en particulier, la demande de création de « zones d’action renforcées » (a priori sur les communes de la côte Est) qui impliquent un « suivi intensif des jeunes particulièrement à un risque de récidive », une prise en charge sociale et éducative « soutenue ». Il est aussi question de « rappels à l’ordre » des maires et des coutumiers. Le gouvernement souhaite enfin doter l’autorité judiciaire de moyens législatifs permettant une réponse pénale systématique aux tags, permettant des sanctions « immédiates » pour les mineurs délinquants, des sanctions « immédiates et réparatrices » pour les auteurs de feux de brousse (avec une participation aux opérations de reboisement) et une réponse judiciaire ferme contre les braconniers (saisie des armes et véhicules).

Jeunesse

Pour filer droit, nos jeunes doivent grandir dans un environnement sain et épanouissant. Cela paraît logique… Sauf que l’on connaît la situation. Il s’agirait donc de travailler sur leur environnement familial au besoin et plus largement scolaire, de loisirs, etc. C’est un peu l’approche multisectorielle présentée récemment par le professeur qui a éradiqué l’acloolisation massive des jeunes islandais, Harvey Milkman.

L’exécutif mentionne ici un parcours scolaire englobant d’ores et déjà les actions civiques et citoyennes, la création d’une nouvelle unité du RSMA à Nandaï, avec 80 places supplémentaires, le service civique obligatoire, l’expérimentation d’un Érea, établissement régional d’enseignement adapté, pour les jeunes du second degré en difficulté scolaire et sociale, le développement des « lycées de la persévérance » destinés à accueillir les élèves pendant les vacances, les mercredis et samedis avec un programme d’activités scolaires, culturelles, sportives et de loisirs. Le plan de prévention contre l’illettrisme est toujours mentionné. Il est notamment question en matière de formation et d’insertion professionnelle, de l’apprentissage dans les lieux de proximité. Le gouvernement voudrait enfin faciliter l’installation des jeunes en terres coutumières, parle de l’aide à la parentalité et insiste sur la promotion des valeurs du sport, de la culture.

Cette longue liste n’est pas exhaustive, mais l’intégralité du projet est en ligne sur le site du gouvernement, www.gouv.nc.


Questions à Sébastien Lemoine

Le lieutenant-colonel Sébastien Lemoine, ancien commandant de la compagnie de gendarmerie de Nouméa, est, depuis septembre 2017, le coordonnateur pour le territoire des politiques de sécurité et de prévention de la délinquance.

Pourquoi faut-il croire en ce plan ?

Ce qui est intéressant, c’est que l’on ne s’intéresse pas seulement aux compétences de la Nouvelle-Calédonie, mais à celles de l’ensemble des acteurs concernés. On fédère

tous les acteurs avec une gouvernance qui se penche sur tous les aspects du problème. On ne peut pas se passer, par exemple, de certaines réglementations « pays », d’une harmonisation des règles provinciales ou encore communales en matière d’alcool, de réglementation des débits de boissons…

Vos priorités à l’heure actuelle ?

La priorité, c’est clairement l’alcool. On sait qu’il est présent dans 80 % des infractions. 98 % des personnes qui sont incarcérées le sont pour des faits commis sous l’emprise de l’alcool. Ici, l’idée est de permettre de réduire l’accès à l’alcool et, avec le concours de l’État, de lutter contre les stupéfiants puisque l’on est souvent sur de la polyconsommation. Ensuite, le deuxième axe fort, c’est la communication pour avoir un impact sur les comportements à risque. Les campagnes devraient débuter rapidement. Il va falloir marteler les consciences par de grandes campagnes et par nos politiques publiques. Et il faudra que tous les partenaires jouent le jeu.

Justement, peut-on attendre des changements rapides sur l’insécurité ?

J’espère que nous pourrons voir rapidement les effets à travers les mesures fortes que nous engageons. Je pense que l’on peut, par exemple, avoir des résultats rapides sur les routes (le nombre de blessées corporels a déjà baissé). En revanche, cela risque d’être plus long sur les problématiques telles que les violences faites aux femmes parce qu’on a besoin de structures, de plus de cohérence dans les dispositifs, et il faut que l’ensemble des partenaires, y compris les coutumiers, s’impliquent sinon nos actions à court terme n’auront pas d’effet dans le temps. Il y a un travail de fond à réaliser avant que des mesures soient pérennes. En tout cas, ce que je constate c’est qu’il y a vraiment une prise de conscience collective.


Renfort de l’État

À la demande des autorités locales, la Nouvelle-Calédonie a obtenu l’installation d’une brigade motorisée et d’une brigade de la prévention de la délinquance juvénile à Koné. Nouméa et le Grand Nouméa ont par ailleurs été retenus pour bénéficier de l’expérimentation de la police de la sécurité du quotidien. Mais dans ce plan transversal, l’État est mis à contribution sur de nombreux autres projets (enquête Virage, RSMA, Epides…), comme dans l’action quotidienne des forces de l’ordre. Au-delà des textes qu’elle doit définir et le développement d’outils comme la géolocalisation, la Nouvelle- Calédonie se tourne aussi vers l’État pour « le renforcement des moyens de la justice », et ce, « à plusieurs niveaux » : au tribunal de première instance et à la cour d’appel, dans les sections détachées, pour des capacités d’accueil supplémentaires au Camp- Est, et des effectifs supplémentaires au Service d’insertion et de probation (SPIP) notamment en province Nord.


Quelques chiffres

  • 12 400 faits de délinquance constatés en 2009
  • 17200en2016
  • 8 fois plus d’agressions avec armes sur les forces de l’ordre qu’en Métropole
  • 7 fois plus de violences physiques et sexuelles
  • 4 fois plus de tués sur les routes
  • 3 fois plus de vols de véhicules (4 par jour)
  • 2 fois plus de cambriolages et de coups et blessures
  • 2130 individus mis en cause en 2016 dont 43 % âgés de 13 à 15ans, la moitié agissant sousl’emprise de l’alcool et du cannabis.
  • Les mineurs sont à l’origine d’un véhicule volé sur 2, d’un cambriolage sur 2
  • 80 % des délits et violences intrafamiliales commis sur fond d’alcool et de cannabis et troisquarts des accidents mortels de la route.
  • 50 tués et 400 blessées en moyenne par an sur les routes pour un coût de 30 milliards defrancs.

C.M.