Changement climatique : l’avenir de la planète va t-il se jouer dans les tribunaux ?

Dans le cadre de sa semaine contre le changement climatique à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Sabrina Robert-Cuendet, professeure de droit public est venue nous parler du potentiel de la justice dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Alors que la gravité des impacts sur le climat occupe la sphère scientifique depuis des années, qu’en est-il du milieu juridique ? C’est sur cette thématique qu’est venue s’exprimer Sabrina Robert-Cuendet, professeure en droit public à l’Université du Mans.

Quand on s’intéresse à cette question, a-t-elle expliqué, on pense d’emblée que le droit va apporter des solutions dans la lutte contre le changement climatique, qu’il peut aider, par exemple, à rationaliser les comportements, interdire certaines activités, en développer d’autres, plus protectrices de l’environnement, mais en réalité les choses sont bien plus complexes. On ne s’imagine pas que les chamboulements du monde font aussi subir au droit des transformations et qu’il doit, lui aussi, s’adapter.

Des carences

Le droit international est logiquement en première ligne dans un contexte de changement planétaire.
Il existe dans ce domaine un certain nombre de règles « assez étoffées » visant à lutter contre le changement climatique. La Convention- cadre des Nations unies, l’Accord de Paris et « tout un tas d’autres instruments juridiques » lient les États et visent à limiter le changement climatique et à accompagner la transition. Mais en dépit de cette accumulation de règles, il y a toujours une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, ce qui fait dire à Sabrina Robert-Cuendet que nos instruments juridiques ne sont pas efficaces.

Elle y voit plusieurs raisons. D’abord, toutes ces règles sont érigées sur la base d’un système juridique hérité de la Seconde Guerre mondiale dont les principes ne sont plus du tout adaptés aux enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui. Ce système repose d’abord sur la souveraineté des États. Les États souverains n’ont pas d’autorité supérieure, il n’est pas possible de les contraindre. Ainsi, on a vu les États-Unis se retirer de l’Accord de Paris sans que personne ne puisse les en empêcher. Autre principe qui structure le droit international : le découpage territorial du monde. Les États possèdent des territoires sur lesquels ils sont souverains et même les espaces où il n’y a pas de souveraineté sont délimités à l’instar des espaces maritimes avec des zones d’influences des États. Et on se rend compte que ce découpage territorial de la planète peut poser problème quand on parle du changement climatique qui, lui, n’a pas de frontières…

Le droit international repose aussi sur le principe d’appropriation des ressources. Minérales ou vivantes, elles appartiennent au pays dans lequel elles se trouvent. Cela signifie concrètement qu’un État peut les protéger ou les épuiser. Sauf que certaines de ces ressources ne représentent pas uniquement un intérêt pour le pays en question, mais bien pour la planète toute entière. C’est le cas, par exemple, de la forêt amazonienne.

Le système qui nous régit propose donc finalement peu de solutions face aux problèmes humains, environnementaux et économiques qui se posent. Qui poursuivre en effet en cas de disparition de territoires, de l’aggravation des conditions de vie, d’immigration climatique ? Les États industrialisés sont pointés du doigt pour avoir une responsabilité, mais il n’y a pas de mécanismes suffisants en droit international pour leur faire rendre des comptes sur des catastrophes qui se passent à des milliers de kilomètres de leur propre territoire.

Nouveaux concepts

Les insuffisances du droit international sont donc encore nombreuses et le problème est le même pour le droit qui s’applique au niveau régional. Il faut par conséquent, explique Sabrina Robert-Cuendet, transformer profondément le droit, les systèmes juridiques et les principes fondateurs qui régissent notre monde.

Cette révolution est déjà en cours avec l’émergence de nouveaux principes. Le concept d’« humanité » pourrait ainsi être davantage mis en avant tout comme le principe d’« équité » ou celui de la « responsabilité commune » des pays dont les comportements ont des conséquences à des milliers de kilomètres. Sabrina Robert- Cuendet affirme que les juristes ont « beaucoup d’imagination », mais qu’en droit « on ne peut rien faire s’il n’y a pas derrière une volonté politique pour fixer des objectifs ».

Justice climatique

Les décideurs politiques ont donc une énorme responsabilité. Mais l’espoir pourrait surgir d’ailleurs. Ainsi, on a vu se multiplier depuis quelque temps des « procès climatiques » en Europe, en Océanie…Deux actions ont été récemment engagées contre la France : le maire de Grande-Synthe, dans le Nord, a attaqué l’État pour « inaction climatique » alors que la commune est menacée par la submersion marine. Par ailleurs, quatre ONG ont décidé de poursuivre l’État pour « manquements » à son obligation d’action contre le réchauffement climatique. Des individus, des ONG ou des collectivités territoriales sont de plus en plus nombreux à engager de telles actions judiciaires face à des carences des pouvoirs publics voire des entreprises. Ils s’en remettent au juge comme gardien du droit à un environnement sain et du droit à un climat stable.

Un tel procès a déjà abouti aux Pays-Bas. La justice, saisie par l’ONG Urgenda, a contraint le pays de prendre des mesures pour protéger ses citoyens contre les conséquences du changement climatique. Une décision sans précédent en matière de justice climatique. Plus récemment un tribunal australien a invoqué l’Accord de Paris et la Convention- cadre des Nations unies pour rejeter un projet minier.

Pour l’instant, tous ces procès ne sont pas couronnés de succès. Des obstacles se posent encore en termes de définition des responsabilités, du droit applicable ou sur la compétence des juges à qui l’on demande quelque part d’interférer dans les choix politiques… Mais l’essentiel, pour Sabrina Robert Cuendet, est de voir que la société civile et les ONG mobilisent des leviers juridiques pour forcer les États à agir et que cette tendance devrait, là aussi, concourir à une redéfinition du droit du climat.

C.M.

©AFP