Caution d’Aircalin : on ferme les yeux et le Calédonien paie!

Le Congrès a accordé la caution de la Nouvelle-Calédonie à hauteur de cinq milliards de francs, pour l’achat des nouveaux Airbus. Un achat « nécessaire » voire urgent, si l’on tient le modèle économique actuel d’Aircalin pour immuable. Mais le débat esquissé boulevard Vauban sur la desserte aérienne du pays reviendra forcément sur le devant de la scène, lorsque les Calédoniens jugeront le prix des billets inabordables…

Modèle dépassé ? — Les élus du Congrès ont octroyé 1,3 milliard de caution pour les avions d’Aircal, la compagnie domestique, sans le moindre problème. Mais les cinq milliards prévus pour l’achat de nouveaux Airbus pour Air Calédonie international ont fait débat. Pour mémoire, les nouveaux avions (deux A320 et deux A330) d’Aircalin sont facturés 40 milliards de francs : la compagnie en emprunte 20 et la Nouvelle-Calédonie se porte caution à hauteur de cinq milliards. L’opération est légitime, « vitale» même pour la compagnie à la fleur d’hibiscus. À condition, bien sûr, de ne pas remettre en cause son modèle économique pérennisé par le vote du Congrès. Un modèle dépassé ?

Caution accordée. — Les plateformistes (Calédonie ensemble + Rassemblement) ont en effet acquiescé au vote. Tout comme les élus de l’Union calédonienne. Normal, il faut se rappeler que la compagnie aérienne a été créée en 1983, sous Jean-Marie Tjibaou, et se dédire n’est pas dans l’ADN du plus vieux parti calédonien. La défection de l’Uni-Palika (qui pour une fois a voté avec Les Républicains calédoniens), est en revanche plus politique : elle traduit en fait le désamour, profond et tenace depuis les législatives, du parti de Paul Néaoutyine envers celui de Philippe Gomès… Et cela promet pour l’élection du président du gouvernement !…

« Pigeon » calédonien. — Reste qu’au- delà du simple vote qui a accordé une caution à Aircalin, qui rendra « insoutenable » (ce sont les mots mêmes du rapporteur !) à l’avenir le niveau d’endettement de la Calédonie, le débat a posé la question essentielle : « À quoi nous sert Aircalin ? » À faire venir des touristes, bien sur ! Faux, archi-faux : une fable, mais qui perdure. Et si c’est le but de l’opération, on ferait mieux d’accueillir décemment les croisiéristes qui débarquent le dimanche devant des rideaux de fer tirés ! À préserver la continuité territoriale vers le Japon et la France, depuis la défection d’Air France, Corsair, AOM et d’autres ? Admettons. Mais là, il faut appeler « pigeon » le voyageur calédonien !

À l’heure des hubs. — Car c’est bien du modèle économique de notre compagnie aérienne qu’il s’agit. Bernard Deladrière a raison de dire, avec sa casquette de président d’Aircalin, « qu’elle est la dernière compagnie française à desservir la Calédonie ». Raison aussi d’ajouter que « ce bout de ligne ne sera jamais rentable ». Mais tort, cependant, d’estimer que c’est là le modèle économique viable pour la compagnie. « À l’heure de la mondialisation ne faudrait-il pas utiliser les grands aéroports australiens ou néo-zélandais comme hub pour notre trafic vers l’Europe ou la Métropole ? », se sont interrogés avec pertinence les élus du Congrès.

Chacun paie le déficit sur le Japon !— Prendre un vol sur Auckland ou Sydney, puis une correspondance sur Paris ou l’Europe, reviendrait bien moins cher aux Calédoniens que de partir directement de Tontouta vers Paris. Une économie jusqu’à 50 % du prix du billet, à certaines périodes ! Certains le font déjà. Mais cela rallonge le trajet, c’est sûr. Rédhibitoire pour d’autres, dont le patron d’Aircalin. Mais l’option mériterait réflexion, pour le moins. Le plaisir de voir le pavillon français de Narita sur le tarmac de Tontouta flatte peut-être l’ego cocardier des plateformistes, mais coûte excessivement cher à tous les voyageurs calédoniens. D’ailleurs, quelle que soit leur destination, proche ou lointaine, ils paient avec leur billet un bout du déficit de cette ligne : ainsi chaque Nouméa / Sydney ou Brisbane paie un peu du déficit de la ligne Japon / Tontouta : il faut le savoir.

Où l’on retrouve la vie chère…— Illustration en séance du Congrès avec Sonia Backes, qui s’en réfère aux prix des billets pratiqués par Aircalin : « Le billet le moins cher pour aller en Australie pendant ces vacances d’août est de 120 000 francs », dit la patronne des Républicains calédoniens. « Alors, quand on est une famille de quatre personnes, comment fait-on pour sortir 500 000 francs pour simplement sortir de Calédonie et aller en Australie ? », s’interroge- t-elle. Et l’élue de s’adresser directement au chef de groupe de la plateforme, Philippe Michel : « Les Calédoniens sont pris en otages par les prix des billets d’avion, et vous avez là une belle occasion de vraiment vous attaquer à la vie chère ! » Pour cette fois encore, le modèle Aircalin, hérité de nos « trente glorieuses », reste inchangé. Mais le débat est loin d’être clos.

M.Sp.