Avec ses deux députés, Calédonie ensemble impose une « macronisation » de l’échiquier politique calédonien

En souffrance à l’issue du premier tour de scrutin, les candidats de Calédonie ensemble l’emportent largement au second dans les deux circonscriptions calédoniennes, au bénéfice d’un accord scellant entre eux « le tout sauf Backes ». Jamais le parti le Philippe Gomès n’a eu autant de leviers à sa main pour asseoir son hégémonie politique, même si quelques confettis vont être consentis à ses alliés de circonstance à l’occasion de la redistribution des postes qui s’annonce. Pourtant à la lecture des chiffres sortis des urnes, une opposition se dessine…

Indiscutable. – Côté scores, la donne est indiscutable. À Nouméa et dans les îles, Philippe Dunoyer succède à Sonia Lagarde, qui a été bien muette dans cette campagne. Philippe Gomès se succède à lui-même dans la 2e circonscription. Deuxième circonscription où la participation a grimpé à 42,45 % entre les deux tours, mais toujours en retrait de 10 points par rapport à 2012, Philippe Gomès l’emporte haut la main avec près de 55 % des suffrages, et retrouve, à peu de chose près, ses 28 500 voix du dernier scrutin.

L’UC n’a pas cru en Mapou. – Face à lui, Louis Mapou, qui, avec 45,05 % des suffrages et 23 413 voix, ne retrouve pas la totalité des suffrages de Jean-Pierre Djaïwé en 2012, preuve que la mobilisation tardive de l’électorat UC n’a été que faiblement entendue. Tout comme les imprécations d’Harold Martin, qui invitaient les électeurs à se montrer prudents entre l’indépendantiste « dur » et l’indépendantiste « mou », alias Philippe Gomès.

Une nouvelle zone de démarcation. – Dans la 1re circonscription, on enregistre une participation moindre (38,01 % de l’électorat), toutefois en hausse de 9 points par rapport au premier tour, surtout dans les quartiers Nord, traditionnellement plus Calédonie ensemble. Résultat : Philippe Dunoyer flirte avec les 60 % de suffrages et plus de 17 500 voix contre plus de 40 % à Sonia Backes et quelque 12 000 voix. Là encore le score est sans appel : Sonia Backes a d’ailleurs reconnu sa défaite, bien avant 20 heures, dimanche. Mais ce score dissimule aussi une recomposition du paysage politique loyaliste calédonien, qui est loin d’être figée.

Gomès stratège sur les ruines loyalistes.– La double victoire de Calédonie ensemble, joyeusement célébrée par ses militants et très peu commentée par ses alliés de circonstance, repose sur une stratégie conçue et initiée par le cerveau de Philippe Gomès. Une valse à quatre temps, orchestrée par le nouveau chef de la majorité loyaliste avec l’assentiment de l’ancien, Pierre Frogier :

1-Stigmatisation des déclarations de l’entre- deux-tours d’Harold Martin, le faisant apparaître en « chef de guerre » contre les « chefs de paix ».

2-Alliance des « loosers » du premier du tour contre la seule de leur famille politique qui pouvait l’emporter au second tour dans la 1re circonscription.

3- L’urgence de la situation a nécessité que la « plate-forme » prévue après les élections (comme en 2007, 2009 et 2012) soit dévoilée à 48 h du scrutin. Qu’importe, puisque la répartition des postes était acquise.

4-Répartition des postes dans les institutions : au gouvernement sur le dos de Philippe Germain, déjà plombé, ainsi qu’au Congrès. Puis façade d’alliance… au moins jusqu’aux sénatoriales de septembre.

Vers le parti unique. – De la belle ouvrage sur le papier, tout au moins, car ce type de scénarii moult fois échafaudés a toujours buté sur les ego des uns ou des autres. À court terme, cette manipulation pourrait combler les rêves de nombre de Calédoniens de voir renaître un parti unique loyaliste, comme au temps de Jacques Lafleur. Sauf que l’époque n’est plus la même, bien qu’Emmanuel Macron ait été animé des mêmes ambitions avec La République en marche, et que l’affaire lui a bien réussi jusque-là.

« Fusion absorption ». – Si Macron l’a fait, un caïd comme Philippe Gomès ne peut pas le rater. Son rêve de « fusion absorption » du Rassemblement, qu’il nourrit depuis 2005, deviendra enfin une réalité. Plus une petite bouchée pour les restes de l’UCF de Gaël Yanno et une dernière bouchée pour Tous Calédoniens de Pascal Vittori, qui dans son dernier meeting disait pis que pendre de Philippe Gomès, avant de retrouver ses tropismes… centristes.

Dernier écueil. – Reste un dernier écueil à cette hégémonie : les 12 256 voix de Sonia Backes au second tour des législatives et exclue de toute négociation. Un score réalisé sur son nom et en dehors des appareils ou des « combines politiques », c’est-à-dire non soluble dans la nouvelle potion CE/Rassemblement. Son analyse du scrutin est d’ailleurs parfaitement audible : « Tous les autres candidats se sont ligués » pour sauver le soldat Dunoyer ! « L’UCF a disparu entre les deux tours, puisque Philippe Blaise a quitté Gaël Yanno, qui après sa troisième défaite en cinq ans, a fait le choix de la soumission à Calédonie ensemble ».

Attention, perdants à la manœuvre ! – Et Sonia Backes d’ajouter : « Pierre Frogier, qui refuse de se soumettre au suffrage universel depuis presque 10 ans, sauve là son poste de sénateur bien que son candidat arrive quatrième du premier tour. Ils auront également obtenu, nous le verrons dans les prochains jours, la présidence d’une institution. Ce sont donc les perdants du premier tour qui vont diriger la Calédonie », en écartant ses 12 000 électeurs…

Et la suite ?… – L’objectif de Sonia Backes est maintenant de transformer les 40 % de suffrages qui se sont portés sur sa candidature en force d’opposition au parti unique en marche, lui aussi. « Dans les prochains jours, je vous proposerai de refonder la droite calédonienne sur la base de projets et de valeurs claires », promet-elle. Y-aurait-il du parti dans l’air ? Un défi similaire attend François Baroin en métropole…

M.Sp.

©Théo Rouby / Hans Lucas


Les indépendantistes reparlent du découpage électoral

Ceux qui pensaient que la 2e circonscription (Grande Terre sans la ville de Nouméa) était taillée pour offrir un député aux indépendantistes en sont pour leurs frais. En effet, les trois communes de l’agglomération, dont la population, majoritairement de sensibilité non-indépendantiste à parfois 70% dans certains quartiers, ne cesse de croître. Au final, Païta, Dumbéa et Mont-Dore pèsent lourd dans le décompte des voix et « font l’élection », comme on a coutume de dire.

Louis Mapou a maintes fois évoqué la question de « l’iniquité du découpage des circonscriptions » dans ses réunions publiques et lors de ses passages médiatiques. Les choses évolueraient-elles ? Car Jean-Pierre Djaïwé l’avait, pour sa part, occulté en 2012. « Plusieurs fois, les indépendantistes ont eu l’occasion de demander une révision de la carte électorale, souligne fréquemment l’historien Ismet Kurtovitch. À certaines périodes même, ils auraient eu l’oreille attentive de l’Etat pour y parvenir. Mais jamais ils ne l’ont demandé », ajoute-t-il. Pourquoi ? Peut-être parce que ce découpage, qu’ils dénoncent, préserve aussi l’équilibre UC – Uni- Palika, vital à leurs yeux…