Une affaire d’impayés secoue le BTP

Le cinéma a ouvert fin 2021, deux ans après la résidence universitaire. (© Archives DNC)

Une vingtaine d’entreprises attendent encore près de 80 millions de francs pour les chantiers de la résidence universitaire et du cinéma de Dumbéa. De son côté, le promoteur dénonce des malfaçons.

Quatre et deux ans après la livraison des deux bâtiments de Dumbéa, une vingtaine de petites et moyennes entreprises attendent encore d’être payées. Le promoteur leur doit près de 80 millions de francs. Cette somme englobe des travaux impayés et les retenues de garantie bloquées pendant un an pour rectifier les vices cachés. « J’ai le plus perdu dans cette histoire. Pour nous, à cette échelle, c’est du jamais-vu », raconte Tinihau Le Gayic, gérant de Catelec. 27 millions manquent à la société de 16 salariés. Cela représente 10 % de l’enveloppe totale qui avait été conclue pour réaliser la distribution électrique du multiplexe de quatorze salles et des 105 logements étudiant. « Sur la résidence universitaire, cela représente 5 millions que l’on n’a pas touchés depuis quatre ans, détaille Tinihau Le Gayic. On a accompagné le client dans le suivi de son installation électrique pendant l’année de parfait achèvement. Au bout d’un an, s’il n’y a pas eu de problème particulier, les retenues de garantie doivent nous être rendues. »

Le promoteur justifie justement ses impayés par des malfaçons. « Le toit fuit, l’éclairage déconne et toutes les portes doivent être changées », énumère Philippe Aigle à la tête de Promociné depuis janvier 2021 et de Ki Tii Re qui exploite le cinéma. Il réclame de son côté 65 millions pour « tromperies, préjudices et malfaçons » au Groupement travaux de Nouvelle-Calédonie (GTNC) en charge des gros œuvres et du pilotage des deux chantiers. « Ce sont des réclamations fondées, établies par des expertises », insiste-t-il.

Promociné a été placée en redressement judiciaire en mai 2023 après des négociations infructueuses avec les entreprises pour échelonner sa dette sur cinq ans, suspendant les versements éventuels à une décision judiciaire. « Les conditions étaient inacceptables, rétorque Tinihau Le Gayic. Nous n’avions aucune garantie pour prouver qu’il avait les fonds alors qu’on attend d’être payé depuis quatre ans. »

INCERTITUDES

Catelec subirait encore aujourd’hui les conséquences de ce manque à gagner qu’elle a réussi à renflouer grâce à sa trésorerie. Elle reporte ses investissements et ses recrutements, affiche plus souvent des découverts plus conséquents. « Nous avions un matelas pour rebondir, on a puisé dans la trésorerie. Ce n’est pas le cas de tout le monde, certaines entreprises sont dans le rouge », explique son gérant. Une « incertitude totale quant à leur capacité à se relever » planerait sur quelques-unes, indique la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Nouvelle-Calédonie (FCBTP), dans un communiqué dénonçant la généralisation des retards de paiement.

Si Promociné n’est pas liquidée, le plan de redressement prévoit de payer ce qu’elle doit sur cinq ans. Philippe Aigle martèle que Promociné a les moyens de payer. Il lancera aussi des poursuites judiciaires pour les malfaçons. « J’ai des désordres dans tout le bâtiment », insiste-t-il. La justice devait statuer sur la situation du promoteur mercredi 25 octobre*. Contrairement au redressement judiciaire, la liquidation met définitivement fin à l’activité d’une entreprise incapable d’honorer ses dettes. Tous les biens sont alors vendus pour permettre de payer les créanciers. Selon les actifs restants, Catelec et les autres PME ne seraient pas assurées d’être payées.

Brice Bacquet

RETARDS ET IMPAYÉS, MONNAIE COURANTE ?

La FCBTP dénonce « une tendance alarmante d’augmentation » des impayés et des retards de paiement. « Normalement, on doit être payé sous 30 jours, parce qu’on a des obligations, les charges sociales ou la Cafat à régler, explique son président, Benoît Meunier. Les délais ont tendance à augmenter, parfois à quatre mois. Cela peut avoir de graves conséquences pour les entreprises. » Elles auraient du mal à conserver les emplois et recruteraient moins facilement. Faute de trésorerie suffisante, des sociétés auraient recours à l’emprunt pour combler les impayés et limiteraient leurs investissements.

La FCBTP réclame le respect des délais de paiement et des retenues de garantie. Elle souhaiterait que les intérêts moratoires soient appliqués au privé. « Si on n’est pas payé sous 30 jours, des intérêts s’appliquent. Cela existe déjà pour le public », poursuit son président. Davantage de communication serait aussi nécessaire, estime Benoît Meunier, pour améliorer une situation déjà tendue par la baisse d’activité et l’inflation.

 

*Mise à jour 26/10/2023 : Le tribunal mixte de commerce de Nouméa a rejeté la mise en liquidation de Promociné, informe Philippe Aigle. La société poursuit son redressement.