L’escalade les aide à surmonter l’isolement

Voyageuse depuis son plus jeune âge, Jeanne de Metz, qui a passé son adolescence en Nouvelle-Calédonie, a posé son sac au sein de la communauté crie de Waskaganish, au Québec. Enseignante, elle y monte, avec son ami Vincent Rodrigue, un centre d’escalade pour les jeunes autochtones de cette région isolée.

Waskaganish ? « Je dirais que c’est comme en Brousse avec 60 degrés de moins », raconte Jeanne de Metz. Les Cris, peuple de ce territoire, « prennent le temps de vivre, les relations sont authentiques, tout le monde se connaît et se dit bonjour ». Leur culture, comme celle des Kanak, est « intimement liée à la nature ». Les traditions de chasse et de pêche « y sont très présentes », et la notion de collectivité, centrale : « les gens se rassemblent quand quelque chose se passe ».

C’est là, dans cet endroit éloigné, que la jeune femme fonde le centre communautaire Eeyou Bouldering avec son ami Vincent Rodrigue. L’amour de la grimpe, c’est lui qui lui a insufflé, en l’initiant quelques années plus tôt à Montréal, en 2015, alors qu’ils suivent un cursus universitaire pour devenir instituteur. Un coup de foudre. « J’ai tout de suite adoré l’aspect à la fois physique, mais aussi réflexif. » En 2018, le couple part enseigner à Waskaganish – « on avait soif d’aventure » –, à 15 heures de route de la capitale du Canada, Ottawa, au milieu de nulle part.

Pas de quoi faire peur à Jeanne de Metz, qui en a connu des pays, avant de se fixer dans le nord du Québec. Née au Portugal en 1995, elle a séjourné en France et en Birmanie, avant d’arriver en Nouvelle-Calédonie en 2006. « Mon père voyageait beaucoup pour le travail, alors j’ai vagabondé avec lui et ma mère. » C’est sur cette île qu’elle passe son adolescence, obtient le bac et revient parfois voir son père.

S’OCCUPER

Les moins de 2 500 âmes de la région deviendront leur deuxième famille. Après une première année « éprouvante », Jeanne de Metz voyage en van. Elle « adore », mais ressent un manque. « J’ai eu l’impression que ce mode de vie était égoïste et que j’avais besoin d’apporter quelque chose à l’humanité. »

Le début de la crise sanitaire signe son retour à Waskaganish. À l’école, Jeanne et Vincent sont confrontés « à certaines problématiques sociales ». « L’état psychologique de certains enfants n’est pas propice à l’apprentissage. Ils recherchent quelque chose à faire et quelque part où aller », notamment pendant les longs mois d’hiver et de printemps, « les plus durs pour la santé mentale en raison du froid et du peu de lumière ».

L’idée de créer une salle communautaire prend forme assez vite, d’autant que « les opportunités de sortie sont limitées ». L’axer autour de la pratique de l’escalade est une évidence. « C’est simple et ne requiert aucun équipement, hormis les souliers que nous fournissons, et presque tous aiment ça quand on leur en donne l’occasion. » Jeanne de Metz quitte l’éducation pour se consacrer à Eeyou Bouldering à l’automne 2021. Avec Vincent Rodrigue et des jeunes Cris, ils retapent un ancien supermarché et construisent le mobilier. Le matériel nécessaire provient de dons et les autorités locales octroient une subvention. Le centre, 100 % gratuit, ouvre au printemps 2022.

 

Les jeunes peuvent jouer au babyfoot et à des jeux de sociétés.(© Eeyou Bouldering)

 

S’INVESTIR

Après une phase d’apprivoisement, environ 80 grimpeurs et grimpeuses s’essayent sur le mur chaque jour. « L’escalade leur apprend la persévérance, le dépassement de soi, la communication et surtout le plaisir de bouger. » Le local comprend aussi une partie cuisine, tables, divans et jeux de société, histoire de profiter d’un moment entre amis. « Cela permet de se réunir dans un endroit sécuritaire et chaleureux. » Jeanne et Vincent incitent les jeunes à organiser des animations, soirées cinéma, tournois de baby-foot, peinture… « On veut qu’ils se l’approprient et en fassent un espace à leur image. »

L’objectif est, à terme, de les former à gérer le centre. Deux de leurs anciens élèves travaillent avec eux à l’accueil des enfants après l’école. « On leur apprend également à se servir du matériel et à changer les prises d’escalade. »

S’OUVRIR SUR LE MONDE

Un deuxième projet s’apprête à voir le jour grâce à l’achat d’un minibus : donner l’opportunité de voyager, de s’initier à l’escalade en extérieur et de se former. Mais aussi de « se familiariser avec la vie en ville, car le fait de sortir de la communauté est assez intimidant pour certains ».

De quoi inspirer la Nouvelle-Calédonie ? « En lien avec les besoins », au plus près des gens, « je ne vois pas pourquoi ça ne marcherait pas ». Autour de l’escalade, d’un autre sport, ou d’une activité culturelle. « On serait vraiment content de partager notre expérience avec quelqu’un qui porte un projet similaire. »

 

Anne-Claire Pophillat

 

Les bienfaits du centre sont multiples, selon Jeanne de Metz (à gauche), « pour des jeunes qui sinon passeraient leurs soirées à errer dans les rues à -30 °C ».  (© Eeyou Bouldering)

 

Pour contacter Eeyou Bouldering, page Facebook, Instagram ou eeyoubloc@gmail.com