Vers un groupe d’intervention du Pacifique Sud

Les ministres des sept États membres du SPDMM : Richard Marles (AUS), Ricardo Montero (CHI), Pio Tikoduadua (Fidji), Sébastien Lecornu (FRA), Judith Collins (NZ), Win Daki (PNG), Lord Veae (Tonga). Les observateurs du Japon, du Royaume-Uni et des États-Unis étaient également invités. C.M.

Les ministres de la Défense du Pacifique Sud ont passé deux jours à Nouméa pour cette conférence. Ils ont adopté un certain nombre de directions opérationnelles face aux menaces pesant sur les communautés, dont l’étude d’une force d’intervention pour répondre aux catastrophes naturelles et autres urgences.

Il y a fort à parier que les réunions du SPDMM organisées depuis 2013 n’avaient pas une telle portée. Pour cause, et le ministre français l’a dit en ouverture du sommet, le contexte mondial et régional a radicalement et rapidement changé. « Le monde se dérègle très, très vite. » Avec les luttes entre grandes puissances, l’expansion des menaces terroristes, cette idée de stabilité relative après la guerre froide a fait long feu. « Nous sommes la génération de leaders qui connaîtront de nouveaux espaces qui vont se militariser. »

« Comment [faire], a-t-il alors demandé, pour que ce retour des compétitions entre les grandes puissances ailleurs, y compris dans le Pacifique Nord, n’ait pas d’impacts en ricochet sur le Pacifique Sud, ce qui nous conduirait par définition à un agenda qui serait beaucoup plus difficile ? »

MENACES

France, Australie, Nouvelle-Zélande, Chili, Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Tonga, toutes dotées de forces armées, se rejoignent sur le respect du droit international, des souverainetés, des libertés maritimes, de la démocratie et disent suivre « un agenda de paix ».

Ils ont identifié des menaces communes : le durcissement des pressions sur les frontières, la pêche illégale et les prédations, les pollutions, la « militarisation des fonds sous-marins », les cyberattaques, tout cela sur fond de réchauffement climatique avec des catastrophes naturelles « de plus en plus violentes, de plus en plus fréquentes et qui peuvent être concomitantes à plusieurs pays en même temps ». Tous ces facteurs de risques, jugent-ils, nécessitent une réponse que seules les armées désormais sont en mesure d’apporter. Le ministre Lecornu a même appelé les participants à aborder ces enjeux en termes de « sécurité collective ».

Les membres ont discuté des mécanismes permettant d’accroître et d’améliorer leur collaboration. Les documents de base qui servent durant les différents exercices régionaux (Longreach, Croix du Sud, Povai Endeavour) sont peu à peu affinés et uniformisés. Les pays se sont aussi engagés à finaliser pour l’année prochaine un cadre facilitant le partage d’informations.

Une réponse à l’étude de 2019 sur l’impact du changement climatique sur les infrastructures de défense et de sécurité va être apportée. La coopération en matière de transport maritime (shipriding) doit être améliorée. Et le Chili doit développer un réseau universitaire pour améliorer le partage des analyses de sécurité.

Conférence à huis clos du SPDMM à la CPS. C.M.

GROUPE DE RÉPONSE

Le ministre australien de la Défense, Richard Marles, semblait particulièrement satisfait de la réaction de ses partenaires sur sa proposition de création du Groupe de réponse du Pacifique (PRG), idée qui doit maintenant être développée par les chefs d’état-major et de la défense pour 2024. « Nous sommes vraiment une famille de pays avec cet instinct nous poussant à apporter notre aide et assis- tance quand l’un d’entre nous en a besoin. »

Ce groupe de réponse serait une « nouvelle étape » et consisterait en une « unité formée prête à répondre immédiatement à la demande d’un pays » après une catastrophe naturelle, lors de troubles civils, etc.

ACADÉMIE DU PACIFIQUE

La France, de son côté, a présenté son projet d’Académie du Pacifique dont la montée en charge est prévue pour 2024. « Elle doit servir aux armées partenaires qui sont parfois des armées hybrides (défense et intérieur), ont souvent des besoins de formation importants (militarité, commandement, génie, activités nautiques ou cybersécurité, drones) ». Il s’agirait de passer de 40 à 240 stagiaires en Nouvelle-Calédonie. Pour Sébastien Lecornu, « on a une capacité sur Nouméa à être plus solidaire et plus généreux ».

Des détachements de formation dans la région sont également prévus. Et les écoles militaires d’officiers et de sous-officiers, présentes sur le territoire hexagonal (Saint-Cyr, Saint-Mexant, Salon- de-Provence, École navale, etc.), ouvriraient des places à l’Océanie comme c’est déjà le cas pour le Proche, le Moyen-Orient et l’Afrique. « Une vraie nouveauté qui correspond à des attentes », selon le ministre.

Le pays va par ailleurs ouvrir une mission de défense permanente à Fidji. L’idée est d’avoir un interlocuteur militaire dans tous les pays du SPDMM ou, à défaut, un envoyé de Nouméa qui soit un interlocuteur dédié et permanent.

Pour terminer, les membres ont convenu de présenter les résultats de cette réunion aux dirigeants du Forum des îles du Pacifique, instance de coopération politique de la région. L’Australie a en outre proposé de faciliter l’établissement de liens plus étroits entre les chefs religieux et les aumôniers soutenant les forces de défense.

Chloé Maingourd


« L’actualité du Caillou a amené un repli »

Le ministre français des Armées a expliqué lors de la conférence de presse commune que la France avait « toujours » été une nation du Pacifique et s’était toujours déployée quand nos « amis » en ont eu besoin. « La nouveauté, c’est que parfois l’agenda institutionnel calédonien a pu conduire le Caillou à se replier un peu sur lui-même, mais on peut maintenant se rouvrir, et les Forces armées de Nouvelle-Calédonie peuvent avoir à nouveau un agenda de solidarité, de proposition pour des enjeux qui sont utiles à l’ensemble de la région. » L’organisation de la conférence à Nouméa avait t-il indiqué lors de son discours d’ouverture, n’a  « rien d’anodin pour cette terre ».


Manille et Kuala Lumpur

Dans le cadre de ce déplacement dans la région, Sébastien Lecornu s’est d’abord rendu aux Philippines. Une première pour un ministre de la Défense, selon Le Point. À Manille, il a signé avec son homologue, Gilberto Teodoro, une lettre d’intention visant à rehausser leur partenariat de défense, notamment dans la coopération opérationnelle (escales, déploiements aériens, etc.) et de soutien à la modernisation des forces armées philippines. Sébastien Lecornu a annoncé l’installation d’un officier supérieur permanent de la Marine nationale française à Manille. Il est attendu vendredi à Kuala Lumpur, en Malaisie. Les deux pays sont engagés dans de vastes programmes de modernisation de l’armée, indique Le Monde, et il s’agirait aussi de pousser vers eux l’industrie de défense française, en particulier dans le domaine naval.


Catherine Colonna en Australie

Alors que la Nouvelle-Calédonie accueillait le ministre des Armées, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est rendue en Australie les 4 et 5 décembre. Au programme de cette visite, l’adoption avec la ministre Penny Wong d’une « nouvelle feuille de route » pour les relations entre les deux pays. Celle-ci repose sur trois piliers : la défense, les enjeux liés aux problématiques climatiques et la culture. À Canberra, la France a remis à l’Australie une version numérisée d’archives de l’expédition du D’Entrecasteaux menée à la fin du XVIIIe siècle par des marins français. À Melbourne, Catherine Colonna a inauguré un centre consacré aux enjeux de la transition énergétique mobilisant le centre d’énergie atomique (CEA) français, l’université de Grenoble et celle de Swinburne. Christopher Gygès devait y représenter le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.


Tribune

On sait qu’une dizaine de députés (Renaissance principalement) accompagnaient le ministre. 18 autres ont choisi de prendre la plume dans le cadre d’une tribune au journal Le Monde, accompagnant le sommet de Nouméa. Ils expliquent que si le Pacifique est souvent évoqué au travers des luttes d’influence et des rivalités militaires, « l’urgence climatique qui frappe les États insulaires océaniens doit être au centre de nos préoccupations ».
Ils estiment qu’en tant que « puissance Indo-Pacifique », la France a une responsabilité envers ces territoires. Ils attendent une prise de conscience des responsables politiques et une « profonde acculturation de nos administrations du quai d’Orsay et de Bercy aux spécificités institutionnelles, sociales et culturelles de cette région ». Ils prônent enfin une réorientation des investissements de l’AFD, l’ouverture de nouveaux postes diplomatiques et le renforcement des existants.

2 800 militaires français sont positionnés dans la région : 1 650 au sein des Fanc et 1 180 au sein des Forces armées de Polynésie française. La France est le seul pays européen à y maintenir des forces armées permanentes.

67 % du territoire maritime français (2e mondial – 6,9 millions de km2) se trouve dans le Pacifique.