« La lutte contre les effets du changement climatique doit rester la priorité »

Croix du Sud est un des exercices conjoints organisés par les Forces armées en Nouvelle-Calédonie dans le cadre de la conférence des ministres de la Défense du Pacifique Sud (SPDMM). Il a rassemblé 3 000 personnes de 18 pays en avril et mai sur le territoire. (© Archives DNC/B.B.)

Quelques jours avant la rencontre entre les ministres de la Défense du Pacifique Sud, Céline Pajon, chercheure, spécialiste du Japon et de l’Indo-Pacifique à l’Ifri (Institut français des relations internationales), a dressé un bilan du SPDMM, une instance multilatérale unique et peu connue, son rôle, la contribution de la France et sa capacité à se positionner dans la région.

« Le SPDMM, sa raison d’être et son bilan sont peu connus. » Pourtant, poursuit Céline Pajon, chercheure à l’Ifri (Institut français des relations internationales), dans une publication du 23 novembre*, c’est une instance « de dialogue et de coordination unique en son genre dans la région ». Initiée par l’Australie en 2013,« partenaire de sécurité historique » des États insulaires du Pacifique, elle se distingue par ses domaines d’intervention : le changement climatique et ses impacts, la préparation à l’intervention des forces armées en cas de catastrophes naturelles et la sûreté des espaces maritimes.

En 2019, les membres du SPDMM reconnaissent le changement climatique « comme la principale menace pour le Pacifique », et s’engagent à renforcer le partage d’expérience sur les phénomènes météorologiques extrêmes qui s’intensifient. Incendies, cyclones, tempêtes… Ils portent par exemple assistance aux îles Tonga, ravagées par l’éruption volcanique du Hunga Tonga, en janvier 2022. Un axe à développer ? Céline Pajon note que la structure dispose d’un « avantage indéniable dans ces missions face à la Chine », plus éloignée et moins familière de ces pays.

UN ANCRAGE RÉGIONAL

Le choix de la France d’organiser le sommet en Nouvelle-Calédonie est « l’occasion de mettre en valeur la contribution française à la sécurité régionale », considère la chercheure. Les militaires français participent aux initiatives de coopération et servent « de points d’appui et de soutien indispensables aux déploiements de plus en plus ambitieux ».

Leur expertise est notamment reconnue dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale. La France aide les nations du Pacifique insulaires protéger leur territoire maritime, assure des missions de surveillance, organise les exercices multinationaux Croix du Sud pour les Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) et Marara pour les Forces armées de Polynésie française, des opérations de préparation en cas de crise, et coordonne, depuis 2021, un séminaire des garde-côtes du Pacifique Sud.

Mais « le contexte sécuritaire a changé depuis la fondation » du SPDMM, qui doit se repositionner face à la rivalité des puissances. La Chine, entre autres, accroît son influence. En 2019, les Kiribati se rapprochent de Pékin ; en 2022, les Salomon signent un traité de sécurité avec la Chine. Les États-Unis et ses alliés réinvestissent aussi la zone. Washington « dévoile sa première stratégie de partenariat pour le Pacifique », ouvre des ambassades aux Salomon, Tonga, Kiribati, Cook et Niue, conclut un accord de coopération de défense avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée en mai 2023, augmente les crédits alloués au développement durable de ces îles. L’Australie en 2017, la Nouvelle-Zélande en 2018 et le Royaume-Uni en 2019 annoncent des programmes dédiés au Pacifique, et le Japon en fait « l’une des pierres angulaires de sa stratégie Indo-Pacifique ».

UNE PLACE À TROUVER

Le Forum des îles du Pacifique (FIP), principale organisation politique et économique, observe ce phénomène « avec inquiétude », analyse Céline Pajon. Il craint que le regain d’intérêt des grandes puissances ne compromette l’approche de non-alignement des États insulaires. « Cette rivalité géostratégique ne trouve que peu d’écho » auprès d’eux. Cela diffère de la méthode du Pacific Way, qui « repose sur le consensus, le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures ».

Leurs préoccupations sont plus concrètes : le risque d’engloutissement de certains atolls, le pillage des ressources naturelles, les effets de la pollution et du dérèglement climatique, contre lesquels « la lutte doit rester la priorité » pour le SPDMM, estime Céline Pajon. Elle suggère également de faire davantage participer les bâtiments français à la lutte contre la pêche illégale, et d’articuler l’action de l’instance avec les autres mécanismes de sécurité, notamment avec l’accord Franz.

L’avenir du SPDMM dépendra de « sa capacité à maintenir légitimité et efficacité ». Sa position est délicate. À la fois participer à l’axe Indo-Pacifique, et donc (ré)affirmer la place de la France, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, etc., tout en montrant « son aptitude à rester à distance de la compétition des puissances pour rester focalisé sur les questions de sécurité transversale », souligne Céline Pajon. Ces pays ont bien compris que renforcer la coopération avec les États insulaires permet, in fine, de mieux « résister aux tentatives chinoises de prédation ».

Anne-Claire Pophillat