À Rarotonga, un Forum des îles du Pacifique très scruté

Les pays du FIP interagissent entre eux avant une dernière journée dédiée aux pays partenaires. Sur place également les ONG, l’Organisation mondiale du commerce, etc. Face à un foisonnement d’opportunités, le Forum cherche à garantir à la fois l’unité, les intérêts des pays et le respect de leur souveraineté. / © © Cook Island ministry of foreign Affairs

Le 52e Forum des îles du Pacifique (FIP) réunit, jusqu’à vendredi 10 novembre, les 18 membres de cette organisation (16 États indépendants, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française) et des délégations très fournies d’observateurs et de partenaires. Une région décidément attrayante.

Américains, Chinois, Français, Japonais ont envoyé de larges équipes à Rarotonga (Îles Cook) où convergent une multitude d’intérêts. Dernièrement, le maillage des ambassades s’est encore accéléré dans la région, des rencontres au sommet se sont tenues à Washington, à Séoul, avec les Indoné- siens. Mais les derniers rendez-vous insulaires étaient limités en raison de la crise Covid et on est aussi, semble-t-il, passé outre la tourmente de 2021 avec les pays micronésiens sur les élections qui avaient clairsemé les effectifs. « Un important travail a été réalisé en interne même si des cicatrices persistent », observe Nic Maclellan, journaliste et chercheur, correspondant pour Islands Business magazine depuis Rarotonga.

Le président du FIP, Mark Brown, Premier ministre des îles Cook, a demandé en entame aux pays tiers de ne pas importer leurs rivalités ont rapporté les médias. « Nous sommes une région de collaboration, pas de compétition, nous travaillerons avec tous ceux qui voudront travailler avec nous. » Et de leur laisser une marge. « L’hypothèse selon laquelle les îles ne savent pas ce qu’elles font commence à devenir très insultante. » Le thème du Forum est limpide : « Nos voix, nos choix, notre Voie du Pacifique : promouvoir, s’associer, prospérer ».

STRATÉGIE 2050

Point central de l’évènement, la concrétisation de la Stratégie 2050 pour le Pacifique Bleu. Les membres doivent se prononcer sur un plan à long terme, politique, de développement et de sécurité, un cadre que les institutions régionales puissent suivre. « Il y a de grandes opportunités. Aux pays de voir comment ils s’en saisissent et comment ils se positionnent », soulignait avant son départ Charles Wea, conseiller en relations extérieures du président du gouvernement calédonien, Louis Mapou. On y trouve les difficultés économiques liées à la crise du Covid et la guerre en Ukraine, la pêche, la surexploitation, la sécurité, la cybersécurité. Le nucléaire aussi. Jusqu’ici, les Océaniens ont fait valoir leur attachement au traité de Rarotonga et sont remués par le choix de sous-marins à propulsion nucléaire de l’Australie ou le déversement des eaux de la centrale de Fukushima au Japon.

Autre sujet sensible, l’exploitation des fonds marins. « Cook, Tonga, Nauru y sont favorables alors que d’autres sont pour un moratoire », retrace Nic Maclellan. Comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française. La France mène actuellement un lobbying en ce sens. On note l’attention de Marc Brown à chacun des leaders : un nodule polymétallique en souvenir …

Autre débat, l’organisation de la COP31 en 2026. Le Pacific Elders’ Voice, groupe d’an- ciens leaders, a demandé au FIP d’ajourner la décision de soutien à la candidature de l’Australie en partenariat avec le Pacifique, estimant qu’elle doit aller de pair avec la fin de l’utilisation des énergies fossiles par ce pays. La question du changement climatique est fondamentale avec des catastrophes plus fréquentes en perspective et la mise en péril de certaines îles, comme Tokelau.

Tous ces enjeux dépassent largement les moyens dont disposent les insulaires. Et ils interrogent l’unité et les stratégies individuelles qui parfois, ont un impact global. On a vu, par exemple, des voix très divergentes sur une résolution de l’ONU en faveur de la protection des civils et le respect des obli- gations juridiques et humanitaires dans la guerre Israël/Palestine. Fidji, les îles Marshall, la Micronésie, Nauru, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et Tonga se sont alignées sur les États-Unis et Israël en votant contre. Soit 6 voix dissidentes sur 14. « Les aides sont souvent accompagnées de conditions et ce genre de positionnement peut en faire partie, c’est une réalité et pas que dans le Pacifique », observe Charles Wea.

SOUVERAINETÉ

En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, trois ambitions émergent. La première est l’insertion dans la région. « L’idée est d’augmenter notre présence et notre coopération, de nous impliquer davantage dans les grandes thématiques. » Que peut-elle mettre sur la table dans ce plan 2050 ? « Il y a peut-être son expérience dans le patrimoine mondial, la loi sur l’égalité professionnelle, la représentativité », commente Nic Maclellan. Ou encore son université. Les agences du CROP (Council of regional organisations of the Pacific) au sein desquelles le territoire a renouvelé ses adhésions, constituent des leviers a fait valoir le président Mapou.

Il y a une volonté de se rapprocher des Micronésiens et des Polynésiens dans une organisation plutôt subrégionale et des liens traditionnels entre le FLNKS et le Fer de lance mélanésien. Nic Maclellan fait état d’une rencontre « chaleureuse » entre Louis Mapou et Mark Brown. Avec les deux représentants français océaniens et indépendantistes (Louis Mapou et Moetai Brotherson) il semble y avoir « plus de facilités » au contact, à la compréhension commune. Si la question ne figure pas à l’ordre du jour, un point informel sur la situation politique en Nouvelle-Calédonie, l’avenir institutionnel, l’élection sénatoriale semblait dans les tuyaux.

Et la France dans tout cela ? Elle veut aussi retisser des liens, commence à se placer et a des choses intéressantes à proposer. Mais sa position n’est pas évidente. Laisser du champ à ses territoires représentés par des indépendantistes tout en gardant sa compétence, face à des mastodontes et des îliens qui pour certains, n’ont pas trop apprécié les paroles d’Emmanuel Macron sur les « nouveaux impérialismes », gardent des rancunes sur les essais nucléaires, ou encore Matthew et Hunter.

Chloé Maingourd