Yves Delauw, directeur général des Nouvelles : « On était sur la corde raide »

Depuis sa constitution, le groupe Melchior qui édite Les Nouvelles Calédoniennes, n’a cessé de perdre de l’argent. Les investissements et restructurations n’ont pas permis de juguler ces pertes. Décision a été prise de ne pas creuser davantage le déficit, explique Yves Delauw, directeur général, arrivé en 2018.

DNC : Cette annonce de liquidation est un coup de massue pour les salariés, pour les Calédoniens. Comment le groupe en est arrivé à cette décision ?

Yves Delauw : C’est une procédure qui est brutale. On est obligé de faire les choses très vite, parce qu’on ne peut pas faire cette annonce plusieurs semaines à l’avance et travailler dans ce contexte. Et à partir du moment où le tribunal prononce la liquidation, tout va très vite.

On était sur une corde raide. Il manquait quelques pourcents de chiffre d’affaires, ce qui nous faisait basculer vers une aggravation des pertes. Or, on s’était engagé à ne pas creuser le déficit. La structure était gourmande et il fallait s’arrêter rapidement pour que les biens de l’entreprise permettent de payer ce à quoi les salariés ont droit et rembourser tout ou partie les créanciers.

L’entreprise a été prospère jusqu’en 2012. Elle a été vendue et tout s’est effondré. Comment l’expliquez-vous ?

Le marché s’est effondré, la consommation de l’information a muté. Les réseaux sociaux ont pris une importance incroyable. Ici, le mouvement s’est fait très rapidement, en deux-trois ans. C’est à ce moment-là que Les Nouvelles ont été vendues. Le groupe Hersant, à l’agonie, a dû vendre ses titres outre-mer, des affaires extrêmement rentables.

Les Nouvelles d’ailleurs ont été vendues à un prix assez élevé. Mais ces titres ont été laissés dans un état de sous- développement technologique. Je ne voudrais pas que l’on puisse dire que ce sont les actionnaires calédoniens qui n’ont pas pris le virage numérique. Ils l’ont pris certes tardivement, mais parce qu’il n’avait pas été pris avant.

On a appliqué les recettes qui correspondent aux standards, mais qui ne fonctionnent pas sur un territoire de 270 000 habitants. »

Comment les crises ont-elles affecté l’entreprise ?

On espérait se redresser avec un exercice 2019 plutôt favorable, puis il y a eu le Covid, un bouleversement profond des habitudes de lecture avec un décollage des abonnés numériques. Puis est arrivée la guerre en Ukraine, l’inflation du prix du fret, du papier et un doublement des délais d’acheminement. Cette situation a précipité la chute du papier, la fermeture de la rotative.

Le prix de la publicité a également baissé…

Les courbes se sont croisées. Nous avons dû baisser nos prix dans un contexte d’hypercompétitivité avec nos concurrents et les Gafa sur les réseaux.

Le Gratuit s’est fait doubler par les sites d’annonces gratuits. Il partait toujours bien en format magazine, mais on n’arrivait plus à vendre suffisamment de publicités et assez cher pour le rentabiliser et financer le quotidien. Ensuite, le support hebdomadaire devait nous permettre de capter le marché publicitaire résiduel. Mais la situation a dérapé plus vite que prévu.

Y a-t-il eu des erreurs stratégiques ?

On a appliqué les recettes qui correspondent aux standards, mais qui ne fonctionnent pas sur un territoire de 270 000 habitants. La question est de savoir quel est le modèle qui pourrait convenir. Ces problématiques se posent partout en outre-mer et dans certaines régions de Métropole. Le groupe Niel en Guadeloupe perd 6 millions d’euros par an. Nous, c’était un million.

Une aide aurait-elle pu changer la donne ?

L’État a fait ce qu’il fait pour tout le monde, avec l’aide aux titres d’outre-mer. Mais notre dématérialisation la remettait en question. Au niveau institutionnel, je reste persuadé que c’est malsain que les pouvoirs publics financent les médias. À l’époque, 20 000 à 25 000 Calédoniens payaient le journal…

Aujourd’hui, on ne comprend plus qu’un article soit payant sur internet parce qu’ailleurs, des organes subventionnés par l’État donnent de l’information gratuite. À mon sens, il vaut mieux toujours privilégier la vente directe. Finalement, c’est aussi aux lecteurs de poser un geste citoyen.

[Les salariés] ont donné le meilleur d’eux-mêmes, ils ont su évoluer dans leurs pratiques. »

Que va-t-il se passer pour les salariés ?

Ils vont être licenciés et une période de préavis d’un à trois mois va s’ouvrir. Ils auront ensuite leur solde de tout compte et une indemnité de licenciement. Des entreprises nous ont contactés pour faire part de leurs besoins. Il y a toutes sortes de compétences, ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes, ils ont su évoluer dans leurs pratiques. On est tous conscient du travail qui a été fait. Ce qu’ils ont vécu pendant cinq ans a été intense.

Que va-t-il advenir des archives ?

On se demande si le site sera sauvegardé pour permettre de préserver l’actif. J’avais contacté il y a quelques années le service des archives pour céder notre fonds photo gratuitement, mais cela ne s’est pas fait. Maintenant, elles deviennent aussi un actif contribuant à la valeur du titre.

Qu’est-il prévu pour les abonnés ?

On a cessé tous les prélèvements. On ne peut plus rembourser ceux qui viennent de payer leurs abonnements annuels. Ils deviennent des créanciers. Dans la procédure, l’ordre de priorité est le suivant : les salariés, la Cafat, le Trésor public et les créanciers.

Croyez-vous au scénario du rachat ?

Je suis persuadé qu’il y a des gens qui se porteront acquéreurs. La nature a horreur du vide. Je crois que tout le monde sera attaché à ce que cela tombe entre de bonnes mains, éclairées, professionnelles et ouvertes à toutes les opinions politiques. Les Nouvelles parfois ont été engagées, jamais partisanes. C’est un principe qu’on a essayé de maintenir jusqu’au bout.

Propos recueillis par Chloé Maingourd

Photo : Les Nouvelles comptaient 1 500 abonnés numériques, 4 000 abonnés papier, et jusqu’à 7 000 ventes hebdomadaires, « insuffisant » explique Yves Delauw./ © C.M.

 

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