Yannick Slamet : « Les arrivées de personnel médical ne compensent pas les départs »

Pour Yannick Slamet, il « est important d’avoir un système de santé unifié sur l’aide médicale », qui deviendrait une compétence de la Nouvelle-Calédonie. (© A.-C.P.)

Pénurie de médecins et de spécialistes, aides de l’État, déficits budgétaires… Yannick Slamet aborde avec optimisme et pragmatisme plusieurs sujets sensibles, alors que le gouvernement central a chuté et que la décision modificative n°6 du budget principal était soumise au Congrès le 11 décembre.

DNC : Le conseil d’administration du CHS a eu lieu vendredi 6 décembre et celui du CHT lundi. Quelle est la situation de ces deux établissements, avec celui du Nord ?

Yannick Slamet : Ces trois hôpitaux, établissements publics hospitaliers de la Nouvelle-Calédonie, sont victimes de la situation générale de la collectivité. Mais, ça ne date pas du 13 mai, ces trois établissements sont dans une extrême difficulté financière depuis quelques années.

Ils ont aussi accumulé des dettes…

Pour les dettes auprès des fournisseurs locaux, c’est-à-dire les pharmaciens, les vendeurs de matériel, etc., le CHN et le CHT cumulent un peu plus de 4 milliards de francs. Il y a d’autres dettes : CLR [Caisse locale de retraites], charges sociales… Tout ça par manque de trésorerie. Ça s’est accumulé par le fait même que le Ruamm a un déficit structurel.

Et ils arrivent quand même à tourner ?

Ils arrivent à tourner avec de grosses difficultés, et selon la bonne volonté et la grande indulgence des fournisseurs. Ça ne pourra pas durer très longtemps. À un moment donné, les fournisseurs, comme toute entreprise, ont besoin de liquidités.

Et est-ce qu’on sait si les personnels vont être payés en décembre ?

Décembre, oui. Janvier, je ne sais pas.

Certaines filières sont sinistrées,
comme la pneumologie à l’hôpital
ou les urgences au CHN.

Quelle est la situation au niveau médical ?

De tout temps, on a eu des soucis de ressources humaines dans les hôpitaux. Mais pas autant qu’aujourd’hui. Depuis le 13 mai, beaucoup de personnels s’en vont. C’est extrêmement compliqué. Le gouvernement a fait une loi de pays qui permet le recrutement de médecins étrangers. Il y a beaucoup de candidats, mais cela ne se fait pas au détriment de la qualité et de la sécurité. Deux sont déjà au CHN, à Koumac et à Poindimié. Il y en a au CHT. Et il y en a dans le libéral aussi. La plupart sont Burundais. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour le moment. Le flux des arrivées ne compense pas celui des départs.

Est-ce qu’on a estimé la perte de personnel médical ?

Non, c’est extrêmement compliqué. Il y en a qui parlent de 30 %, d’autres de 40 %. Certaines filières sont sinistrées, comme la pneumologie à l’hôpital ou les urgences au CHN.

Dans le nord, une mobilisation a été organisée par un collectif de santé pour alerter sur la situation des dispensaires. Qu’en est-il ?

Le collectif a des raisons de manifester. Ils font le même constat que moi. Une bonne partie des dispensaires manquent de personnel, et d’infirmiers en particulier. Mais où je trouve le personnel ? Et comment je le retiens ? Si vous n’avez pas de candidats pour venir remplacer les personnes qui partent, je ne vois pas quelle est la solution.

Le pays peut-il devenir plus attractif, à travers une hausse de salaires ou des campagnes de promotion ?

Est-ce qu’aujourd’hui ce sont les salaires qui retiennent les gens ? Je ne crois pas. J’ai discuté avec certaines personnes, les gens sont traumatisés. Les praticiens de l’hôpital me disent : « Il faut qu’on soit mieux payés ». Je suis d’accord. Mais je les paye avec quoi ? Je ne sais pas faire des chèques en bois. Et je ne parle pas de la sécurité pour les professionnels en Brousse. Vous pouvez être attractif, il faut déjà qu’il y ait un peu plus de sécurité. Après, il y a d’autres façons de rendre l’activité attractive. Dans la réforme de la santé, je prône le partenariat privé-public pour que les personnes puissent avoir de la mobilité.

L’objectif calédonien d’évolution des dépenses d’assurance maladie (Oceam) a été créé en 2022. Est-il suffisant pour maîtriser les dépenses ?

L’Oceam, c’est un objectif des dépenses de santé. Pour moi, c’est une limite à ne pas dépasser. Et fatalement, elle est dépassée. On a souvent fait des réformes de la santé en fonction de son financement. Le Ruamm, c’est ça. On a dit en 2002, les dépenses explosent. On va chercher un système pour les financer. Mais on n’a jamais cherché à savoir ou à freiner l’explosion. Et moyennant quoi, depuis 2002, on court après la couverture des dépenses par la recherche de recettes. Et comme on ne les déniche pas toutes, on se trouve avec des déficits de 14 milliards à l’année. Il faudrait un observatoire pour pouvoir corréler les dépenses à l’activité. Il s’agit de savoir de quelle qualité de soins les Calédoniens bénéficient-ils par rapport à la dépense ?

Justement le plan S2R prévoit de revoir le financement. Qu’est-ce qui doit changer ?

En matière de santé, je n’ai rien inventé. J’ai simplement pris le plan Do Kamo. Quand le plan S2R arrive, le besoin de réformes contraint et forcé par l’État, j’essaie d’écrire quelque chose. Je prends le plan Do Kamo, tout y est dedans. De A à Z. En plus, l’avantage, c’est qu’il a été voté à l’unanimité par les membres du Congrès. Je me dis, l’application sera facile.
Le financement, c’est la grosse partie du plan de restructuration de la santé. Je change un peu le paradigme. Aujourd’hui, il y a un peu de CCS, un peu de TGC, mais surtout il y a des charges sociales payées par le patronat et les salariés. Si j’ai besoin de ressources supplémentaires, le bon réflexe serait d’augmenter les charges sociales, mais quand je les augmente, j’accrois le coût du travail. Et si je le fais, il y a l’inflation, et le pouvoir d’achat diminue. Il vaut mieux financer la santé par un impôt à plus large assiette, qui est la contribution calédonienne de solidarité. Tout le monde paie de la même façon en fonction de son salaire. 1 % de 200 000F, ça fait 2000 F. 1 % de 1 million, ça fait un peu plus. Si vous montez la TGC, celui qui touche 1 million paiera la boîte de lait à 800 francs, il n’aura pas de problème. Celui qui gagne 200 000 ou 100 000 francs paiera le même prix. C’est cela qu’il faut éviter. La philosophie du texte sur la santé, financièrement, c’est d’arrêter l’hémorragie tout en préservant le pouvoir d’achat et surtout d’éviter l’augmentation du coût de travail.

Ce qui me préoccupe le plus, ce n’est pas 2025. À quoi bon essayer de vivre en 2025
si on est mort en 2024 ?

Quelles sont les pistes pour réduire les dépenses de santé ?

Il y en a une qui est importante. C’est la digitalisation des actes de santé avec un dossier médical partagé. Il faut éviter la nomadisation des malades. Il y a une gymnastique que les Calédoniens aiment. Quand ils vont voir un médecin, s’ils ne sont pas satisfaits de la réponse, ils sortent du cabinet et puis ils vont en voir un autre pour vérifier. Et pendant ce temps-là, c’est le Ruamm qui paie. Rien que le dossier médical partagé doit nous faire faire des économies de l’ordre de 3 ou 4 milliards. Il faudra aussi faire une évaluation des hôpitaux. Aujourd’hui, vous donnez une masse budgétaire et personne ne sait ce qui se passe dans les hôpitaux. Est-ce que la somme est en adéquation avec les soins qui sont prodigués ?

Quand la réforme de la santé pourrait-elle concrètement commencer à être mise en place ?

Le plan de la santé, je vais le sortir plus tôt possible. En 2025, je le propose à l’examen du Congrès.

La taxe sucre est entrée en application en août. Combien doit-elle rapporter et à quoi va-t-elle servir ?

La taxe sucre, contrairement à ce que certains veulent faire croire, n’est pas faite pour combler le trou du Ruamm. Elle est faite exclusivement pour la prévention. Dans le texte, le rendement de la taxe est directement affecté à l’Agence sanitaire, pas à la Nouvelle-Calédonie. Tant que je serai au gouvernement, il n’y aura pas un franc ailleurs. Selon les premiers calculs sur la base 2023, elle doit rapporter de l’ordre de 600 millions de francs. Avec ma collègue vice-présidente Isabelle Champmoreau, je suis persuadé qu’une bonne prévention se fait à l’école.

Le vote de la décision modificative n°6 du budget principal (DM6) était prévu le 11 décembre. Pourquoi était-il important de la voter ?

Aux mois de juin-juillet, le gouvernement a sollicité l’État pour nous aider. Pourquoi ? Parce que personne d’autre que l’État ne peut nous aider. Et là, son représentant nous a dit : « Vous, la Nouvelle-Calédonie et les Calédoniens, ça suffit » ‒ je caricature mais c’est ça ‒ « Pendant 30 ans, quelles réformes vous avez fait ? » Je n’ai pas répondu, mais la question était bonne. Et pour être dans l’actualité, il dit : « Quand il y a eu le Covid, l’État a aidé sur un premier prêt au gouvernement Santa de 28,5 milliards ». Avec une annexe 6, qui mettait des conditions à cet octroi de prêt. Moi j’arrive en 2021. J’ai besoin de 25 milliards. On me dit : « Vous n’aurez pas 25 milliards, vous aurez 20-21 milliards ». Je dis : « Ok, je prends ». « Attention, quelle réforme vous voulez faire ? » J’ai dit : « Thierry Santa, l’annexe 6, il ne l’a pas faite, je vais la faire ». Mais je ne l’ai pas faite. Je suis honnête quand je dis ça, je l’ai dit.
Et il y a la situation préoccupante de finir 2024. L’État dit : « Vous avez fait votre plan S2R, dedans il y a des réformes et certaines réformes peuvent conditionner l’aide pour finir 2024 ». La TGC, la CCS, le jour de carence des fonctionnaires… On essaie de le faire. Si demain, elle n’est pas votée, je n’ai pas de plan B. Et l’État n’a pas de plan B. Et on se demande même si on n’est pas déjà en retard. La DM6 n’est pas une finalité. La finalité c’est que le Congrès vote avant le 24 décembre le texte des réformes sur la CCS et la TGC.

Est-ce que vous comprenez ce que porte la délégation transpartisane ? Le fait qu’ils soient opposés à ces réformes, qu’ils disent que la Nouvelle-Calédonie n’a pas les moyens de les faire.

Je suis là où je suis. Pour moi, l’argent n’a pas d’odeur. Ils sont partis à Paris. Ils seraient revenus avec 100 milliards, j’aurais été le premier à applaudir. Demain, quelqu’un me dit : « Yannick, tout ça ce n’est pas bon. Nous, on vient, on a 100 milliards ». Moi je suis content. Est-ce que c’est le cas ? Dans la résolution du plan quinquennal, c’est 100 milliards tous les ans. En subvention. Moi j’ai été le premier à espérer ça. Mais j’étais le premier à ne pas y croire. Parce que j’ai entendu le discours de l’État.

La chute du gouvernement Barnier a fait tomber le projet de loi de finances dans lequel il y avait une garantie pour l’obtention d’un prêt de 120 milliards. Comment envisagez-vous 2025 ?

Ce principe-là, c’était acquis quand on a fait la mission à Paris en novembre. Avec la chute du gouvernement Barnier, c’est reconsidéré. Ça ne donne aucune visibilité pour le budget primitif 2025. Mais je pars du principe que les politiques de l’Hexagone n’ont pas les yeux fermés. Et que cette garantie, ils la maintiendront dans la prochaine loi de finances, quel que soit le gouvernement. Avec les services, je vais commencer à préparer un BP 2025 sur la base de l’obtention d’un prêt de 120 milliards. Comment on va le faire ? Comment on va l’obtenir ? Ça, je ne sais pas. Mais ce qui me préoccupe le plus, ce n’est pas 2025. À quoi bon essayer de vivre en 2025 si on est mort en 2024 ? C’est le vote de la DM6 et les textes sur la CCS et la TGC avant le 24 décembre. Si ce n’est pas fait, ce n’est pas la peine de parler 2025.

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat et Fabien Dubedout