Walles Kotra : « OPJ pour l’audiovisuel, c’est une petite usine du Nord »

La série OPJ, dont la première saison avait été tournée sur le territoire, prendra la direction de La Réunion pour les saisons 2 et 3. L’occasion de revenir sur ce feuilleton avec Walles Kotra, le directeur régional de NC La Première et d’aborder la question du traitement du futur référendum.

DNC : Comment avez-vous vécu la crise sanitaire ?

Walles Kotra : Nous avons aussi été impactés par cette crise, au travers de l’inquiétude des gens, mais aussi parce que l’on ne peut plus sortir. Cela a eu des conséquences sur les relations avec notre groupe, France Télévisions. Nous nous sommes donc réinvestis dans le pays avec trois objectifs. Le premier est la proximité. On essaye d’être le plus proche possible des gens. Le second objectif est l’interactivité, faire en sorte de faire parler les Calédoniens, en utilisant la radio et le numérique. Toutes nos émissions télé sont aujourd’hui ouvertes aux Calédoniens, ils peuvent y intervenir. L’interactivité est devenue un principe. Notre troisième objectif est l’utilité sociale. L’audience est importante, mais avant ça, nous voulons être utiles. C’est la raison pour laquelle nous avons fait une semaine avec les artistes. On monte également des projets avec les acteurs économiques. Nous n’avons pas changé les grilles, mais nous les avons les orientées différemment en allant vers les gens, en leur permettant de s’exprimer.

Et là- dessus est arrivé l’arrêt d’OPJ. Pour nous, c’est un petit tsunami. Je dirais à la fois pour nous, le secteur de l’audiovisuel, et pour la Nouvelle- Calédonie. OPJ est le troisième feuilleton du groupe après Plus belle la vie et Un plus grand soleil. Ce n’est pas rien pour France Télévisions. C’est dans la stratégie du groupe d’avoir un feuilleton qui touche les Français qui ne sont pas en France. Ces univers-là que l’on ne voit pas, il est important de les remettre dans le circuit pour leur donner de la visibilité. Il y a ce débat-là en France sur la visibilité des outre-mer. Le fait de porter ce troisième feuilleton était très important pour la Calédonie, cela nous permettait d’être un élément actif dans le groupe.

N’aurait-il pas été nécessaire de tout mettre en œuvre pour maintenir la série sur le territoire ? N’est-il pas paradoxal que les pouvoirs publics n’aient pas trouvé de solution alors qu’ils avaient, au travers du fonds de l’audiovisuel, accordé une subvention de l’ordre de 70 millions de francs ? Et d’ailleurs, que va devenir la subvention accordée ?

La subvention avait été attribuée pour le tournage de la première saison. Avec le gouvernement et les services de l’État, nous avons essayé de trouver une solution. Avant la crise sanitaire, le soutien du groupe France TélévisionsOPJ a consisté à tourner deux saisons en une.

Maintenant, France Ô disparaissant, le feuilleton va faire trois premières parties de soirée par saison sur France 2. C’est énorme ! Cela représente près de quatre millions de téléspectateurs. Quand on fait ces premières parties de soirée, on est obligé d’introduire des personnalités un peu connues dans les scénarios. On a essayé d’étudier des solutions, mais ça a été trop compliqué. Cela aurait pu fragiliser le dispositif sanitaire mis en œuvre par la Nouvelle-Calédonie. On a même été jusqu’à travailler avec la Direction des affaires sanitaires pour voir si des médecins pouvaient gérer individuellement les gens.

Quand une vedette internationale vient, on ne peut pas l’immobiliser pour 15 jours et sans ces vedettes, c’est difficile d’envisager des premières parties de soirée sur France 2. La décision du groupe n’a pas été facile à prendre, mais c’est une attitude de responsabilité par rapport à notre pays. Les deux prochaines saisons vont donc être tournées à La Réunion et on prévoit de revenir en Nouvelle-Calédonie pour la quatrième, mais c’est un engagement moral, c’est pour cela qu’il ne faut pas baisser les bras. Il faut que l’on continue à travailler avec nos partenaires locaux pour que cet engagement moral devienne une réalité. C’est trop important pour la Nouvelle-Calédonie et il faut être conscient qu’il y a une concurrence. La Guadeloupe, la Polynésie… Tout le monde est intéressé par cette série. Dans le domaine de l’audiovisuel, c’est une petite usine du Nord. Pour La Réunion, l’audiovisuel est un peu comme notre nickel. Ils ont un fonds d’aide important, Réunion films, et font venir des spécialistes du monde entier. Il y a un travail là-dessus. Dès qu’il y a eu des hésitations sur la Calédonie, les Réunionnais se sont placés.

Quelles sont les retombées d’un tel programme ?

Pour la Nouvelle-Calédonie, une saison d’OPJ représente 200 millions de francs de dépensés sur le territoire, même si les aides représentent 70 millions de francs. Mais à moyen-long terme, ces investissements avec un groupe comme France Télévisions, qui est le troisième ou quatrième groupe public mondial, permettent de voir les choses dans la durée. L’audiovisuel est un secteur stratégique. Une économie moderne, c’est une économie qui, en parallèle du numérique, arrive à développer un secteur audiovisuel qui peut attirer des productions internationales. OPJ, c’est près de 60 techniciens dont une cinquantaine de Calédoniens, sans compter les acteurs et les figurants. Cela permet de monter en compétence, de structurer et de légitimer un secteur audiovisuel pertinent et reconnu dans la région et donc d’attirer d’autres fictions, d’autres projets.

La décision a été prise de maintenir France 4 encore un an sur la base du constat que la chaîne a été utile pendant le confinement. Est-ce que cela signifie que France Ô ne l’était pas ?

C’est l’analyse du gouvernement sur laquelle je ne reviendrai pas. De notre côté, dès que l’annonce de la suppression de France Ô a été faite par le président de la République, il a fallu gérer en interne. Au niveau du groupe, nous avons décidé d’établir un pacte de visibilité pour les outre-mer. Un pacte qui leur permet de rentrer dans le logiciel du groupe, dans les offres nationales. C’est par exemple le suivi des outre-mer dans les journaux télévisés de France 2 et France 3. C’est une équipe à l’intérieur de chaque rédaction nationale pour suivre au quotidien ce qu’il s’y passe. Il y a des indicateurs pour les premières parties de soirées. Chaque mois, il y aura un certain nombre de premières parties de soirée consacrées aux outre-mer. Le problème qui est posé par la suppression de France Ô, c’est la question de la visibilité des outre-mer dans la nation. L’idée c’est de dire, il ne peut pas y avoir de citoyen transparent. Il faut qu’ils soient présents sur les chaînes du groupe ainsi que sur un portail numérique, lancé le 3 juin dernier.

La Nouvelle-Calédonie ne risque-t-elle pas d’être la cinquième roue du carrosse. Notre production audiovisuelle est moins importante qu’ailleurs, la filière est peu structurée, le territoire a une faible visibilité et une image un peu négative… Ne risquons-nous pas d’en pâtir ?

Nous avons aussi des atouts. Il y a, par exemple, beaucoup de documentaires qui sont tournés sur la Calédonie. Le pacte de visibilité n’impose pas de quota, c’est pour ça qu’il va falloir se battre et montrer notre capacité à rentrer dans le groupe. J’ai, par exemple, fait venir le directeur de l’information du groupe. Il faut faire découvrir ce que nous sommes. Et il faut que les gens s’intéressent à notre région, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les pays mélanésiens, l’Asie… Il faut se connecter aux réseaux du groupe. France info est très importante pour nous, par exemple. Pendant le référendum, on va gérer un studio pour nos chaînes nationales qui ne peuvent envoyer que deux ou trois journalistes.

Justement, quel dispositif avez-vous prévu pour le référendum ?

Nous sommes en train de mettre les choses en place, mais cela va beaucoup ressembler au dispositif de précédent référendum. Des débats, un traitement dans les journaux, des modules pour le numérique… On travaille sur deux débats avec les équipes de France info. Un, organisé localement sur les enjeux du référendum, qui sera diffusé sur France info et un autre, réalisé par nos équipes nationales, sur la vision de la classe politique métropolitaine sur notre référendum qui sera diffusé ici.

En 2018, un travail universitaire avait montré qu’il y avait eu traitement légèrement déséquilibré en faveur du non sur certains modules. Entendez-vous ces critiques ?

C’est une question récurrente. Finalement, la question est de savoir comment on traite l’information. Sommes-nous à côté de la plaque, comment respecte-t-on les règles de France TV ? Nous avons des journalistes qui baignent dans l’ambiance du pays, comment faire pour prendre de la distance par rapport à ce que l’on vit tous les jours ? Et en même temps, on a besoin de proximité avec ceux qui vivent dans ce pays. Il est important de coller à ce qui est ressenti dans le pays.

Nous avons récemment organisé un séminaire avec l’ensemble de la rédaction sur le rapport au pays. Je pense qu’il faut réintroduire un peu de modestie dans notre approche. Nous avons d’ailleurs fait intervenir des personnes extérieures à notre maison. Des auditeurs ont exprimé ce qu’ils pensaient de nous et cela n’a pas forcément été facile pour tout le monde. Mais c’est important d’entendre. On a tous des défauts et des qualités, il faut savoir se remettre en question. Cela a été important pour la rédaction et nous recommencerons ce genre d’opération.

M.D.