Visite de Jean-François Carenco, une avancée fragile

Au terme d’une visite de quatre jours sur le territoire, le ministre délégué en charge des Outre-mer s’est montré satisfait. Tous les partenaires politiques ont accepté le principe de discussions en octobre, à Paris. Une première étape même si les visions divergent sur la suite. Localement, chacun réfléchit à la meilleure façon de peser dans les débats.

Il fallait déminer la situation en Nouvelle- Calédonie pour avancer sur la sortie de l’Accord de Nouméa et clore cette période institutionnelle de 30 ans. Les indépendantistes refusaient depuis plus depuis deux ans le dialogue avec l’État et son représentant d’alors, Sébastien Lecornu, en raison de la gestion du troisième référendum, puis d’une succession d’erreurs de la part du gouvernement central, de rendez-vous manqués, et autres défauts de politesse. Et le calendrier que celui-ci avait érigé ne valait plus rien à leurs yeux.

Formats

Jean-François Carenco, ancien secrétaire général du haut-commissariat, proche des indépendantistes, a exécuté sa mission. Au cours de « 33 réunions » avec les représentants politiques et de la société civile, l’envoyé de l’État, accueilli chaleureusement, a pris bonne note et en fera un compte rendu à ses supérieurs avec les conseillers à l’outre- mer de l’Élysée, Matignon et Beauvau qui l’accompagnaient. « Les fils du dialogue ont été renoués », a conclu l’intéressé. L’ensemble des partenaires ont convenu de se rencontrer à Paris en octobre pour enfin, conformément à ce que prévoit l’Accord de Nouméa, commencer à « examiner la situation ainsi créée ».

Comme demandé depuis le départ par les indépendantistes, une rencontre bilatérale préalable est prévue entre le FLNKS et un niveau supérieur de représentation de l’État (Gérald Darmanin et/ou Élisabeth Borne et/ou Emmanuel Macron) « au sujet des compétences régaliennes » selon le ministre, sur « l’accession du pays à la pleine souveraineté par le transfert des compétences régaliennes » selon le Front.

Les non-indépendantistes pourront également être reçus dans ce format, a précisé Jean-François Carenco.
Suite à cela, les partenaires participeront, toujours à Paris, à une rencontre trilatérale (qui conditionnait la bilatérale avec le FLNKS) entre les groupes politiques et l’État. Il s’agira d’établir « la méthode, le calendrier et le choix des thèmes de travail » pour avancer sur une solution pour la Nouvelle- Calédonie.

Le ministre a cité des réflexions sur les institutions, la fiscalité, le nickel, la santé, l’identité. Il s’est montré plus prudent sur le corps électoral. Ce rendez-vous doit normalement poser les bases d’un « comité des partenaires », évoqué lors de la visite et imaginé par Emmanuel Macron comme un nouveau comité des signataires.

Inconnus

Encore faut-il que les premières réunions soient satisfaisantes. À leur issue, le FLNKS a en effet promis un retour vers les congrès respectifs (UC, Palika, UMP et RDO), puis des propositions qui seront étudiées lors d’un congrès du FLNKS. Sa participation au comité dépendra donc de la teneur de ces entretiens, et s’ils vont ou non dans le sens des indépendantistes.

L’équilibre sera, comme toujours, difficile. Les indépendantistes souhaitent un « temps long » sur 2023 pour aller au fond des choses, par le biais notamment de l’audit sur la décolonisation et le bilan de l’Accord de Nouméa, et avec une ambition intacte : l’accession du pays à la pleine souveraineté.

Les non-indépendantistes sont plus pressés d’arriver au référendum de projet promis par l’État pour entériner un statut définitif dans la République. Les Loyalistes et le Rassemblement ont clairement indiqué qu’ils refusaient catégoriquement de discuter d’indépendance ou d’indépendance association.

Entre les deux, Jean-François Carenco a confirmé que l’idée du référendum était maintenue sans connaître « l’heure exacte à laquelle il se déroulera ». S’il a bien évoqué 2023, l’échéance ultime se dessine comme étant les élections provinciales de mai 2024 (ce que conçoit Calédonie ensemble). Avec d’ailleurs un appel remarqué à respecter l’action du Gouvernement qui « met des choses en œuvre ».

L’objectif final étant pour l’État de « définir une troisième voie dans laquelle chacun se retrouve » avec des intangibles : l’inscription au sein de la République et le maintien du droit à l’autodétermination figurant dans la Constitution.

Chloé Maingourd

Photo : Jean-François Carenco a-t-il réussi sa mission ? « On le saura au mois d’octobre », a commenté l’intéressé. / C.M.

 

Bilan(s)

Photo Archives DNC

Les non-indépendantistes, majorité présidentielle ou non, et l’Éveil océanien se sont tous félicités du retour au dialogue.
« Il y a eu des postures dont il fallait sortir. Ce n’est jamais neutre d’organiser trois référendums et d’engager une sortie, mais le principal est maintenant qu’on avance, qu’on puisse partir sur de bonnes bases de négociation » a, par exemple, résumé Christopher Gygès pour Les Loyalistes.

Le FLNKS, après son bureau politique mardi 20 septembre, a estimé que les rencontres avec le ministre avaient permis de : « repositionner le FLNKS comme étant un acteur incontournable pour les discussions sur l’avenir institutionnel » et obtenir l’organisation de bilatérales entre le FLNKS « représentant du peuple colonisé » et « L’État colonial » sur l’accession du pays à la pleine souveraineté par le transfert des compétences régaliennes.

 

Dissensions

Le comité régional Paîcï Cemuhi, réuni le 18 septembre à Ponérihouen, a demandé au FLNKS ne pas se rendre à Paris comme demandé par le ministre. Il rappelle que « le calendrier du FLNKS n’est pas celui de l’État » et estime que la bilatérale doit se tenir « en Kanaky après le congrès du FLNKS, début 2023 ».

 

Harold Martin : « Je lui ai dit, on a gagné »

Harold Martin, signataire de l’Accord de Nouméa, s’est exprimé sur RRB samedi 17 septembre. Selon lui, Jean-François Carenco est venu pour les indépendantistes, mais la « pièce maîtresse » pour la Nouvelle-Calédonie est Emmanuel Macron qui ne change pas de vision. Il a expliqué avoir une nouvelle fois insisté sur le résultat des trois référendums, estime qu’il faut tenir un comité des signataires pour solder l’Accord de Nouméa. Il observe que tout le monde veut être dans les discussions mais que

le rendez-vous – même renommé en comité des partenaires – ne peut inclure une « tripotée », mais seulement « l’État, les indépendantistes et nous ». Selon lui, il faut les « chefs » et des gens qui peuvent « apporter des choses nouvelles » dans la négociation, comme Pascal Lafleur.

Il dit enfin avoir prévenu l’État que les indépendantistes sont en train de dessiner un nouveau « préalable » qui impliquerait des « sous » qu’il verrait bien aller aux « problèmes miniers du Nord » ou à « l’aéroport international » de Lifou.

 

Calédonie ensemble continue de désolidariser

Photo Calédonie ensemble
Le parti de Philippe Gomès craint que les bilatérales entre l’État et le FLNKS enferment les discussions tripartites ultérieures. Raison pour laquelle il juge capital de pouvoir faire entendre d’autres « sons de cloche ».
Le parti veut ainsi avoir sa propre bilatérale pour exposer sa « conception de la sortie de l’Accord de Nouméa dans ses différentes dimensions (…) et convaincre l’État de l’importance de les prendre en considération ».

Pas question donc de partir avec le groupe Les Loyalistes. Pour Calédonie ensemble, s’il y a un « corpus commun au sein de la majorité présidentielle », « chaque groupe a son centre de gravité ». Le parti vise un format par groupe politique du Congrès.

 

Quelles délégations ?

Qui particpera aux différents formats de rencontres ? Le FLNKS souhaite que la trilatérale soit composée principalement des groupes institutionnels (gouvernement, Congrès, provinces, mairies) et qu’elle soit complètement dissociée sur « le lieu, les sujets, les délégations » des bilatérales et discussions d’avenir.

Les non-indépendantistes font également la différence. « Que chacun expose à l’État sa vision de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, pas de problème, mais ensuite, les négociations doivent se faire à trois », a commenté Thierry Santa sur Océane FM le 20 septembre. « On souhaite que ce soit des délégations loyalistes, indépendantistes et l’État, qui sont les partenaires historiques » a également commenté Christopher Gygès (Les Loyalistes).

Interrogé dans le JT de NC La 1ère, dimanche 18 septembre, Milakulo Tukumuli, président de l’Éveil océanien, a dit vouloir présenter à
Paris en octobre son projet conciliant maintien dans la France et désir d’indépendance. À quel moment ? Et pourra-t-il accéder aux négociations ?