Vision « cataclysmique » à Païta

Un tiers de l’école Jean-Baptiste Gustin a été réduit en poussière dont quatre salles de classe, dans la nuit du 24 au 25 juin. Photo : DR

Barrages, incendies, pillages, affrontements avec les forces de l’ordre, difficultés d’approvisionnement… La commune a été sévèrement touchée par les émeutes. Et continue de l’être. Son village, en particulier, n’est plus que l’ombre de lui-même.

C’est est une suite de tôles tordues, de façades assombries par les dépôts de suie, de tags injurieux… qui se présentent désormais dans le centre de Païta, totalement déserté. Les rideaux baissés sont un trompe-l’œil. La plupart des commerces ont été ravagés, au moins pillés par les émeutiers durant les premières semaines du mouvement insurrectionnel. Le Korail, agrandi en début d’année, Carrefour Express, la Quincaillerie… Tous ceux qu’ils ont pu éventrer, à l’aide souvent, d’outils volés dans ce dernier établissement. Les enseignes qui restaient ont été visées par la dernière vague de violences, il y a quelques jours : une boulangerie brûlée, le hall de l’OPT saccagé…

« IL VA RESTER QUOI ? »

Antoine Romain, directeur de cabinet du maire, tente un triste décompte. « C’est cataclysmique. Il ne reste plus rien jusqu’à la mairie, à peine deux ou trois commerces vers le rond-point de Karikouié. » Pour l’alimentation ne demeure « que le supermarché Auchan de Savannah et, seulement pour les produits de première nécessité, deux petites enseignes au village, deux à Beauvallon Val Boisé et une au Mont-Mou ». Il ne pense pas qu’il y ait encore un distributeur d’argent intact.

Heureusement, on trouve encore du pain en boulangerie et de la viande en boucherie avec pas mal de chasses sur l’espace communal et des abattages. Les pharmacies ont été épargnées, « et elles ont fait un super boulot pour ravitailler les patients, à Ondémia notamment ». La minoterie de Saint-Vincent demeure fermée.

Les bâtiments communaux ont été lourdement touchés. Les locaux techniques de la mairie et plus récemment le local de la police municipale désormais fermé, la base vie de la DSI (détachement de surveillance et d’intervention) où un feu s’est propagé aux bâtiments accueillant la Croix-Rouge.

Pire que tout pour la collectivité et ses habitants, la destruction par les flammes de l’école Gustin, irrécupérable. Le faré du lycée Jean XXIII avait déjà été incendié. « Quand on commence à brûler les écoles, c’est qu’on n’a rien dans la tête. Il va rester quoi ? » Conséquence directe de ces violences : la commune a décidé de fermer ses 11 écoles primaires et maternelles jusqu’à nouvel ordre.

« PAS PRÈS DE LEVER LES BARRAGES »

La population de la quatrième commune (environ 20 000 habitants), fixée sur un territoire très étendu et traversé par l’axe stratégique vers La Tontouta, est frappée de manière disparate mais personne n’est épargné.

Les points chauds sont le col de la Pirogue avec des blocages à la Tamoa, Bangou, Saint- Laurent et le col. Puis l’échangeur Nord, Scheffleras sur la route du Mont-Mou et le rond-point de Karikouié. Depuis samedi 22 juin, de nouvelles positions sont observées au rond-point Nogouta, la ligne droite d’On- démia, un axe que surveillent les riverains. Karikouié est aussi « plus violent qu’avant ». Des tirs sur les gendarmes ‒ a priori de longue portée ‒ sont signalés « au village, à la mairie, à l’échangeur Nord ». Les nuits les laissent visiblement très éprouvés. La municipalité souligne un fait nouveau, la présence, pense- t-elle, d’émeutiers venus de l’extérieur.

Depuis sept semaines, dans ce contexte, les approvisionnements ont été perturbés. Mais d’un isolement total en particulier à La Tontouta et sur le littoral, la situation s’est améliorée. L’axe vers l’aéroport est globalement libéré. L’essence arrive, la livraison de gaz reste tendue.

Ici aussi, les pompiers ont été amenés à gérer des urgences dans des conditions difficiles (AVC, arrêts cardiorespiratoires, blessures graves non liées aux événements, etc.). « Nous avons forcément eu des gens en carence de soins et sûrement quelques cas de personnes décédées des suites de cette crise », déplore Antoine Romain. La commune recense un mort directement lié aux émeutes, Lionel Païta, décédé de ses blessures après un affrontement avec les gendarmes au col de la Pirogue.

Les entrées des quartiers continuent d’être surveillées à Arboréa, Nogouta, Nouré, Niaouli, Beauvallon, Val Boisé. À Savannah-sur-Mer, deux drapeaux trônent en signe d’ouverture. « Il y a de tout dans le quartier, on se respecte et des indépendantistes ne cautionnent pas ce qu’il se passe », nous dit un père de famille qui, pour l’heure, a perdu son travail et promet de rester le temps qu’il faudra. « On est là pour quelques mois à mon avis. »

Même chose à l’entrée de Savannah, où l’on trouve une organisation minutieuse comme des macarons pour reconnaître les riverains, une école improvisée chez une institutrice. Plusieurs retraitées restent très craintives. « On arrêtera quand tout sera revenu au calme, mais on n’y croit pas. » Elles se disent « désespérées ».

Chloé Maingourd

Les routes sont contrôlées par les différents barrages, tantôt groupes de voisins, tantôt CCAT. Photo : A.-C. P.

Insultes, croix gammées, tags en tous genres…Le centre du village
est méconnaissable. Photo : A.-C.P.

Les locaux des services techniques de la mairie ont été incendiés la première semaine, pénalisant fortement l’activité. Photo : A.-C.P.

Le Korail, la Quincaillerie et l’agence de la BCI, pulvérisés par les émeutiers. Photos : A.-C.P.
Banderoles à l’entrée du village. Le 14 juin, un cortège a défilé pour l’inhumation
de Lionel Païta, dit Yonyon, décédé des suites de ses blessures lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre le 3 juin dans le col de la Pirogue. Photo : A.-C.P.
Distribution alimentaire organisée par la mairie
avec les autorités, la banque alimentaire et les chefs solidaires. Élus et agents
se sont mobilisés pour apporter des vivres quand les quartiers ont été bloqués rendant difficiles les approvisionnements. Photo : DR.