Vers une politique agricole concertée ?

La Chambre d’agriculture a diffusé un courrier adressé aux élus, à l’ensemble de la population. Les professionnels du monde agricole demandent notamment la remise à plat de l’ensemble des dispositifs d’aide et de soutien au secteur et, surtout, un changement de gouvernance des politiques agricoles.

Chaque année depuis 43 ans, la Foire de Bourail est la vitrine du monde rural local. Le rendez-vous draine quelque 20 000 visiteurs, plus ou moins proches du monde agricole. Si la plupart viennent profiter des différentes animations, et notamment du grand rodéo, l’événement reste une foire agricole où l’on achète et l’on vend du matériel professionnel. Les concessions de tracteurs et autres engins spécialisés réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires annuel rien que sur ces quelques jours. Le rendez-vous ne serait pas complet sans les politiques qui profitent de l’occasion pour monter sur le podium et rappeler leur attachement à l’agriculture, pilier historique de la Nouvelle-Calédonie, qui reste importante sur le plan culturel, mais n’a cessé de décliner depuis des dizaines d’années.

Un secteur qui s’est dégradé avec le boom du nickel

L’agriculture a longtemps occupé une place prépondérante qui servait le projet de l’administration pénitentiaire, en particulier sur la question foncière en permettant la fixation de la population sur des terres éloignées des centres urbains. C’est ce que décrivent les auteurs de l’ouvrage À la recherche des politiques rurales en Nouvelle-Calédonie : trajectoire des institutions et représentations locales des enjeux de développement, publié par l’Institut agronomique néo-calédonien. Les chercheurs estiment que c’est dans les années soixante que l’économie locale et son agriculture ont bifurqué, secouées par le boom minier. La mécanisation des tâches minières et des revenus substantiellement plus élevés dans l’industrie ont été à l’origine d’un long processus de dégradation de l’activité agricole, en plus d’un manque de compétitivité favorisé par des aides aux prix et une mise à l’écart du monde kanak.

Dix ans après la publication de cet ouvrage, la situation a évolué, mais la table n’a pas non plus été renversée. Le taux de couverture alimentaire du territoire plafonne aux environs de 17-18 % quand il était de 20% il y a un peu plus de dix ans.Une amélioration a été observée après la mise en place de la politique publique agricole provinciale (PPAP) en 2016, essentiellement due à un bond de la production de céréales, fortement subventionnée. Pour le reste, les choses ont plus ou moins stagné selon les filières. De manière plus générale, le dernier recensement général agricole de 2012 (les recensements sont réalisés tous les dix ans) montre une fois encore que la population agricole diminue. Entre 1992 et 2012, elle est passée de 40 000 à 13 000.

Des soutiens importants, mais paradoxaux

Ce seul chiffre illustre le peu d’attractivité du métier d’agriculteur. Il faut dire que les problématiques demeurent malgré les nombreux diagnostics pointant tous la même chose : faiblesse des revenus (le salaire minimum agricole garanti est de 133 086 francs contre 156 568 francs pour le SMG), absence de caisse de retraite ou encore difficulté d’accès au foncier. Encore une fois, ce n’est pas par manque de soutien des collectivités, qui consacrent, tous financements confondus, des sommes importantes de l’ordre de huit milliards de francs (selon les chiffres du Mémento agricole 2019 de la Davar) pour une production qui représente 15,4 milliards de francs, filières bois et aquaculture comprises.

C’est tout le paradoxe de l’agriculture calédonienne que d’être l’objet d’attentions des collectivités et de ne pas parvenir à décoller ou du moins à atteindre les objectifs fixés. C’est le cas, par exemple, de la dernière politique agricole de la province Sud qui est en partie un échec, du moins dans sa mise en œuvre, le gros travail de diagnostic étant toujours en cours. Les résultats des dernières élections provinciales ont emporté la dernière majorité et sa PPAP dans le Sud. La province semble toutefois en demande de travail en commun pour gagner en efficacité, peut-être en raison du fait que la majorité des nouveaux élus n’a plus les mêmes liens avec la ruralité que les précédentes générations. La province Nord, après avoir été longtemps un moteur pour l’agriculture calédonienne en général, se replie sur elle-même, ce qui n’est probablement pas étranger aux difficultés de la société d’économie mixte Nord Avenir dont le tiers du chiffre d’affaires est réalisé dans l’agro-industrie. Quant aux Îles, elles souffrent de difficultés liées au transport qui les isolent du marché, sans compter le manque de structuration des filières.

Un taux de couverture insuffisant

C’est cette diversité des politiques, parfois contradictoires, qui nuit au développement de l’agriculture et conduit à un taux de couverture alimentaire très nettement insuffisant pour les besoins locaux. Un problème qui s’est posé avec d’autant plus d’acuité lors de la crise sanitaire et la fermeture des frontières calédoniennes. Les enjeux sont multiples et importants et c’est tout le sens du courrier de la Chambre d’agriculture, adressé aux décideurs. Un courrier qui pointe ce que veulent les agriculteurs et ce qu’ils ne veulent pas. Très concrètement, une trentaine d’organisations professionnelles agricoles, par la voix de la Chambre, demandent un changement du mode de gouvernance et une remise à plat des aides et subventions publiques pour faire en sorte que l’argent public soit dépensé plus efficacement.

Sur la question de la gouvernance, le dossier est loin d’être récent puisque la profession en fait le vœu depuis près de dix ans et les différentes tentatives d’interprofession en sont une illustration. Thierry Santa, le président du gouvernement, a d’ailleurs repris l’idée dans son discours de politique générale du 22 août 2019. L’annonce de Jean-Louis d’Anglebermes, le membre du gouvernement en charge de l’agriculture, de la création d’un comité d’orientation stratégique n’a donc surpris personne, mais rassuré la profession. De la même façon, une réunion avec les représentants du gouvernement, de la Davar, de la province Sud et de l’Agence rurale a permis de mettre tout le monde d’accord sur la mise en commun des chiffres.

Une première réunion du comité en septembre

D’ici la première réunion du comité prévue pour la mi-septembre, chaque acteur aura la charge de collecter toutes les données possibles et de les transmettre aux autres acteurs afin que chacun bénéficie des mêmes informations. Un préalable aux discussions qui seront nourries par des ateliers organisés par la Chambre, notamment sur la question de l’attractivité de la profession. Pour la Chambre, la construction d’une politique agricole doit se faire à l’échelle du territoire et non d’une province. En revanche, comme le souligne son président, Gérard Pasco, il n’est pas question de remettre en cause la provincialisation et les prérogatives des uns et des autres, mais que les politiques agricoles soient définies en concertation. C’est déjà le cas pour la filière bovine qui a réussi à réunir tous les acteurs autour de la table grâce à la charte bovine. De même pour la formation qui s’est organisée autour du pôle excellence sectoriel « formation agricole » qui regroupe également l’ensemble des acteurs.

Sanctuariser certaines aides

Ces deux exemples sont loin d’être anodins puisqu’ils montrent que la coopération fonctionne et a, au passage, des effets positifs pour les finances publiques. C’est l’autre volet mis en avant par les professionnels. Le monde agricole ne souhaite pas forcément bénéficier de nouvelles aides, mais sanctuariser certaines, en particulier celle permettant de couvrir les agriculteurs en cas d’incident météorologique (taxe sur les conventions d’assurances) et pour soutenir la production locale face aux importations (taxe de soutien à la production agricole). Lors de la construction du budget 2020, avant la crise de l’épidémie de Covid-19, le monde agricole a subi d’importantes coupes budgétaires, de l’ordre 600 millions de francs, sans réelle concertation. Des coupes nettement supérieures à celles qu’ont pu connaître l’industrie ou l’artisanat.

Si les ressources budgétaires s’amenuisent, l’enjeu pour les agriculteurs est de parvenir à faire entendre leur voix pour être force de proposition auprès des décideurs et les aider à mieux flécher les aides. « Nous sommes optimistes, résume Gérard Pasco, le président de la Chambre d’agriculture. Nous savons que le chemin sera long, mais nous serons présents. L’agriculture est un métier d’avenir. Elle permet de fixer les populations sur le territoire, de lutter contre les feux, de préserver la biodiversité et, bien sûr, de nourrir la population. La crise sanitaire a montré à quel point l’agriculture est importante. »

M.D.

©M.D.