Vers une fin de crise à Poé ?

Les autorités communales, provinciales ainsi que les chercheurs s’étaient donné rendez-vous, ce mercredi, afin de présenter les résultats des dispositifs mis en place ces deux derniers mois et les solutions retenues pour éviter que ce type de crise ne se reproduise. L’absence de requins-tigres depuis près de deux semaines dans le lagon de Poé devrait permettre une réouverture de la baignade au 1er juillet. Un dispositif de surveillance expérimental sera mis en place en particulier pour le grand week-end du 14 juillet.

Tout a commencé par l’attaque mortelle de Nicole Malignon sur la plage de Poé, le 9 avril dernier. L’émotion est restée vive plusieurs semaines durant, créant indirectement une polémique au sein de la population autour de l’abattage ou non des requins-tigres. Après un petit cafouillage de départ, la mairie et la province Sud ont rapidement structuré leurs actions. Après avoir sécurisé la zone pour les usagers en interdisant la baignade, la commune a pris un arrêté d’interdiction des rejets des déchets. Un arrêté ayant surtout un objectif pédagogique puisqu’un autre arrêté de la province interdit déjà toute forme de rejet de déchets.

Ce n’est qu’ensuite que les campagnes d’observation, aérienne et maritime, ont commencé, conjointement avec celles de capture, de baguage et de déplacement des requins-tigres. Comme l’a souligné Laurent Vigliola, chercheur à l’IRD et docteur en biologie marine, « ces campagnes de capture et de baguage ont permis de montrer que les campagnes d’éradication, réalisées par exemple en Australie, ne servent à rien ». En quelque deux mois de campagnes, les scientifiques ont attrapé six requins-tigres. Cinq ont pu être relâchés à l’extérieur du lagon, le premier ayant été tué lors de sa capture. Élément rassurant, selon le chercheur, aucun de ces animaux n’est revenu dans le lagon. Seul un animal est observé épisodiquement entre la faille aux requins et l’hôtel Sheraton.

Réouverture prévue au 1er juillet

Au total, les scientifiques ont capturé près d’une trentaine de squales ne présentant pas de risque et qui ont donc été relâchés sur leur lieu de prise. Mais la présence de si nombreux requins-tigres reste une énigme pour les scientifiques, ce requin étant un solitaire et pas vraiment sédentaire. Plusieurs hypothèses ont alors été avancées. La première étant le regroupement d’individus dans le but de se reproduire. L’hypothèse a été écartée puisque certains individus étaient encore trop jeunes pour s’accoupler. La deuxième hypothèse portait sur un stimulus alimentaire. Autrement dit, les requins auraient été attirés par une source de nourriture.

De nombreuses pistes ont été évoquées comme le ruissellement de l’engrais utilisé pour le golf de Deva, l’abandon volontaire ou non de carcasses d’animaux chassés, des fuites des ateliers d’éviscération des cerfs servant lors des battues sur le domaine de Deva… Les résultats de l’ensemble des analyses devraient être connus d’ici cinq ou six semaines mais, selon Laurent Vigliola, « cette hypothèse de stimulus alimentaire paraît peu probable même si les recherches continuent ». Une idée que valide dans un sens la méthode de capture des requins-tigres. Deux types d’appât ont été utilisés, au poisson et à la viande, et seul les appâts au poisson ont fonctionné. L’occasion de rappeler que l’homme ne fait pas partie du régime alimentaire des requins, ce qui n’empêche pas des attaques dans des conditions particulières.

La dernière hypothèse formulée par le chercheur de l’IRD est multifactorielle. Les raisons de ce rassemblement anormal reposent probablement dans la combinaison de nombreux facteurs indirects et environnementaux ou encore humains. L’année a été marquée par une chaleur très élevée qui pourrait avoir eu des conséquences que l’on ne devine pas.
Mais que l’on en comprenne les raisons un jour ou non, le fait est qu’aucun requin-tigre n’a été aperçu dans la zone depuis une quinzaine de jours. De quoi laisser espérer une réouverture à la baignade au 1er juillet, à la condition qu’aucun nouveau squale ne soit observé dans le lagon d’ici là, de façon à être prêt pour le long week- end du 14 juillet.

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Un plan de surveillance expérimental

Pour éviter que le pire ne se reproduise, la province et la commune ont réfléchi à différentes solutions. Dès mercredi, les travaux de construction de zones balisées (lire par ailleurs) étaient entrepris, ils devraient s’achever dans le courant du mois de novembre. Mais pour lutter contre le risque requin, il faudra davantage compter sur le dispositif de surveillance qui sera mis en place par les pompiers de Bourail.

Deux personnes effectueront des patrouilles à terre pendant qu’un troisième pompier effectuera ses rondes en mer. Ce dispositif sera complété avec une surveillance aérienne en ULM, comme c’est déjà le cas à raison de trois observations par semaine. À court terme, l’exécutif communal envisage de remplacer l’ULM par un drone pour alléger la facture. Ce dispositif sera activé près de 150 jours par an et plus particulièrement au moment des longs week-ends et vacances. En plus de ce dispositif, des tours d’observation de plus de cinq mètres de hauteur devraient être mises en place, prioritairement sur la zone en face du camping et celle donnant sur les bungalows de la Mutuelle des fonctionnaires (d’ici la fin de l’année).

Mais l’arsenal de protection des baigneurs et autres plaisanciers pourrait prendre d’autres formes. Les exécutifs municipaux et provinciaux étudient d’autres dispositifs, notamment via une étude comparative, conduite récemment par un cabinet spécialisé, sur les différentes méthodes de protection. Les pouvoirs publics devraient également faire appel au docteur William Robins, un expert des aménagements de plage pour la surveillance et pour la réduction des risques d’interactions entre humains et requins.

Toutes ces actions de suivi et de prévention ne sont pas anodines du point de vue financier. Philippe Michel, le président de la province Sud, estime toutefois « ces dépenses indispensables si l’on tient compte des enjeux de sécurité publique et économique ». Et du point de vue du développement économique, l’enjeu est de taille. L’exécutif a investi plus de 15 milliards de francs sur la zone et ce n’est pas terminé. Pour les professionnels, en particulier ceux dont l’activité est tournée vers la mer, c’est la douche écossaise. Les pertes vont jusqu’à 70 % du chiffre d’affaires pour certains d’entre eux. Et selon le président de la province, « les conséquences de cette affaire tragique se feront sentir encore longtemps ». La direction provinciale de l’économie, de la formation et de l’emploi travaille actuellement à l’élaboration d’un plan de soutien conjoncturel pour ces entreprises.

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Un plan de balisage

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Des zones vont être mises en place très rapidement. Elles n’ont pas vocation à protéger des requins mais serviront à éviter les conflits d’usage. Des zones seront réservées aux baigneurs, d’autres aux engins à moteur ou encore à voile. Ce plan de balisage, sur lequel la mairie travaille déjà depuis deux ans, coûtera 15 millions de francs. Il a été intégré dans le plan de surveillance car la définition des zones permettra de faciliter l’observation.

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Chronologie 

9 avril

Attaque de Nicole Malignon suivie d’un arrêté d’interdiction temporaire de baignade.

14 avril

Début des observations aériennes et lancement d’une campagne de capture du requin présumé responsable de l’attaque.

21 avril

Début des recherches des causes de la présence des requins-tigres dans le lagon et notamment la stimulation alimentaire des squales.

28 avril

Adoption de la stratégie de capture, baguage et déplacement des requins-tigres, qui s’est déroulée pendant près de deux mois et a permis de capturer cinq requins-tigres (six en comptant le premier capturé qui a été abattu).

Fin juin

Poursuite de la surveillance aérienne ainsi que de la capture et du déplacement des requins. Définition des solutions durables à mettre en place.

 

M.D.