Vale, une vente qui se complique

Le projet de rachat de l’usine du Sud par les Australiens de la société New Century Resources pourrait s’avérer difficile. Le 21 août, une première mobilisation qui en appellera d’autres a réuni près d’un millier de personnes (2 000 à 3 000 selon les organisateurs) dans les rues de Nouméa ainsi qu’à Poindimié et dans les Îles. Le collectif, qui comprend des coutumiers, les partis politiques indépendantistes et des ONG, réclament des garanties et, surtout, le rachat de l’usine par une entité locale.

Usine du Sud = usine pays. C’est au son de ce slogan que les manifestants ont défilé dans les rues de Nouméa en passant par la province Sud, le gouvernement, le haut-commissariat et le Congrès, afin d’y déposer un cahier de revendications. Cette mobilisation, à l’initiative des coutumiers du Sud, regroupe désormais les huit aires coutumières, le Sénat coutumier, l’USTKE, le CNTP, l’ensemble des composantes du FLNKS, la DUS et le MNSK ainsi que des ONG pour la protection de l’environnement. L’objectif du mouvement est plutôt clair : s’opposer au projet de cession de l’usine du Sud à un consortium porté par la société australienne New Century Resources. Une société jugée trop jeune, sans expertise technique suffisante et n’ayant pas les reins assez solides pour assumer en cas de problème.

C’est ce que précise le cahier de revendications déposé aux responsables de la province Sud, du gouvernement et du Congrès. Le premier volet porte sur les garanties environnementales, que doit apporter Vale dans le cadre de son départ, du pacte pour un développement durable du Grand Sud qui engageait l’industriel, y compris sur le plan financier, pendant 30 ans. Sur ce dernier point, des recours pourraient être déposés devant les tribunaux, c’est du moins ce qu’ont laissé entendre les coutumiers signataires du pacte.

Mais le cœur de la revendication concerne le rejet de la proposition australienne au profit de celle de la Sofinor et de son partenaire Korea Zinc. L’argument est relativement simple : pourquoi « donner » une usine déjà payée et cinquante milliards de francs pour financer le projet Lucy ainsi qu’un massif d’une telle richesse à un industriel australien portant un projet qui n’optimise pas les retombées pour la Nouvelle-Calédonie alors qu’une autre offre propose de relancer le raffinage et même de transformer localement les saprolites que les Australiens prévoient d’exporter sous forme de minerai ?

Bras de fer autour d’un nouveau préalable minier ?

Il se pourrait bien que les enjeux soient déjà sortis du champ économique pour glisser sur le terrain politique. Le slogan Usine du Sud = usine pays rappelle ceux utilisés il y a plus de vingt ans, en 1996, lors des grandes mobilisations qui avaient conduit au préalable minier, pierre angulaire de l’Accord de Nouméa. Les accords de Bercy, signés le 1er février 1998, quelques mois avant l’adoption de l’Accord de Nouméa, prévoyaient la construction d’une usine dans le Nord grâce au transfert du massif du Koniambo de la SLN à la SMSP et précisait très clairement que « la société chargée de la construction et de l’exploitation de l’usine du Nord serait durablement détenue et contrôlée majoritairement, directement ou indirectement, par des collectivités publiques calédoniennes ».

Comme en 1998, il s’agira d’un véritable bras de fer entre les indépendantistes et les loyalistes qui affichent des visions clairement opposées en matière d’exploitation minière, mais aussi avec l’État qui n’est pas un partenaire neutre sur la question de cette ressource stratégique. Dans la balance, on devrait retrouver le troisième référendum et la possibilité d’un nouvel accord politique sur l’avenir institutionnel dont l’horizon est aujourd’hui bien bouché avec la radicalisation des positions des uns et des autres. Chaque camp devra se compter, d’où les réactions particulièrement vives concernant le comptage des participants aux différentes mobilisations, aussi bien indépendantistes que loyalistes.

Pour Vale, la position des syndicats sera tout particulièrement importante. L’USTKE s’est déjà prononcée dans le même sens que les coutumiers, reste l’Usoenc, premier syndicat de l’usine du Sud. On pouvait voir, dans le cortège de vendredi dernier, un grand nombre de personnalités du monde coutumier, indépendantiste ou encore syndical et en particulier Didier Guénant-Jeanson, l’ancien patron de l’Usoenc. Pour mémoire, le syndicat a joué un rôle important lors des négociations du préalable minier, au même titre que l’USTKE. Le secrétaire général actuel, Milo Poaniewa, préfère que le syndicat prenne son temps afin d’avoir le recul suffisant. Parfaitement conscient des enjeux, le syndicaliste sait que dans ce genre de dossiers, les négociations ne sont jamais simples. Une première réunion doit se tenir cette semaine au cours de laquelle le dossier devrait être posé sur la table.

Le basculement d’un côté ou de l’autre du syndicat ne sera pas neutre. Le premier syndicat calédonien a longtemps été une force de proposition, en particulier sur le nickel. En 2015, des propositions très concrètes en matière de « politique industrielle nickel » avaient été diffusées dans un petit livret, suite à une nouvelle étude du cabinet Syndex. Nécessité d’adopter une stratégie pays, protection de l’environnement, diplomatie nickel, traitement de 60 %, a minima, du minerai sur place, maximisation des retombées…

Navigation à vue au milieu des récifs

De très nombreux sujets qui n’ont que peu, voire pas avancé du tout, faute de consensus politique. L’absence d’un rapporteur pour les projets de loi, visant à modifier le code minier pour permettre les exportations de minerais issus des réserves géographiques métallurgiques de la SLN et de Vale, en est la parfaite illustration. Le départ de l’ensemble des indépendantistes, lors de la séance du Congrès du 21 août, afin de bloquer le processus législatif augure du combat qui s’apprête à être mené et laisse présager d’importants remous pour la société calédonienne. Les avant-projets de loi concernant la taxe et la redevance minière, imaginés pour faire passer la pilule des exportations, pourraient, par ailleurs, ne pas vraiment produire les effets escomptés. Le texte sur la redevance d’extraction prévoit d’abonder les budgets des communes minières et des provinces, mais rien sur le montant envisagé, le texte renvoie à une délibération du Congrès.

Idem pour la taxe sur les exportations destinées à alimenter le fameux fonds pour les générations futures. En attendant sa création effective, le produit de la taxe sera versé au fonds nickel sans que rien n’empêche d’utiliser ces fonds pour soutenir l’activité minière qui est l’objet premier du fonds. Là encore, le gouvernement n’a aucune idée du montant, renvoyant à une délibération du Congrès. S’il revient effectivement à ce dernier de décider, une étude d’impact sur l’activité minière et métallurgique aurait été un minimum, d’autant que, comme le rappelle les deux projets de texte, les travaux sur lesquels ils s’appuient remontent à 2006, voire avant. Au moment où les mineurs peinent à améliorer leur compétitivité, on imagine mal les élus imposer une taxe de 0,5 dollar US par livre de nickel, c’est du moins ce que proposait l’Usoenc en 2015 (à titre indicatif, le projet de nouvelle centrale électrique prévoit de faire gagner 0,25 USD par livre de nickel).

Cette situation incertaine se déroule à un moment tout aussi incertain pour le marché du nickel. Le leader mondial de production de batterie, CATL, qui fournit notamment Tesla, Volkswagen, Toyota ou encore Honda, a annoncé, il y a une semaine, développer des batteries sans les coûteux nickel et cobalt. En parallèle, Elon Musk a exhorté les producteurs de nickel à produire en masse pour en réduire le prix. Autant dire que dans un cas comme dans l’autre, on est loin du miracle promis ces dernières années. Une explosion des véhicules électriques passera par un nickel à bas prix ou pas de nickel du tout. On se demande bien comment la Nouvelle-Calédonie pourrait faire l’économie d’une réflexion sur l’avenir du nickel, au moins pour son utilisation dans les batteries électriques, sans finir par être le dindon de la farce.

M.D.

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