Vale NC devient Goro Resources dans un contexte de forte volatilité

Après de nombreux rebondissements, l’usine du Sud n’appartient plus à Vale. Elle est désormais la propriété d’un consortium regroupant les collectivités calédoniennes, le géant du négoce, Trafigura, ainsi qu’un fonds de pension immatriculé au Liechtenstein. La vente de l’usine du Sud s’est déroulée mercredi 31 mars entre Paris, Toronto et Nouméa. La reprise évite la fermeture décidée par l’industriel brésilien, mais ne va pas sans poser de questions, d’autant que l’usine se positionne sur un marché des batteries dont l’avenir à moyen terme est marqué par de fortes incertitudes.

Si le marché du nickel est sensible à la situation en Nouvelle-Calédonie, le territoire est loin de « faire les prix ». Contrairement à de nombreuses grandes puissances, comme la Chine ou l’Indonésie, qui ont élaboré des stratégies de développement de l’exploitation de leur matière première ou de la transformation du minerai en intégrant au maximum l’ensemble des opérations, la Nouvelle-Calédonie est empêtrée dans des oppositions politiques stériles qui l’empêchent de définir une stratégie pour servir pleinement les intérêts de sa population.

En fin d’année, plusieurs facteurs, comme la crise de l’usine du Sud et les blocages de la SLN, ont poussé les cours à la hausse. Les annonces de reprise de l’usine du Sud et de redémarrage des installations de la SLN ont contribué à un apaisement du marché, mais ce sont surtout les annonces de nouvelles unités de production et la possibilité d’utiliser la fonte de nickel (pig iron.1) pour produire du nickel de classe 1, nécessaire à la production de batteries électriques qui ont fait revenir les cours du LME à un niveau plus « raisonnable », autour de 16 000 USD la tonne, contre plus de 20 000 USD la tonne quelques semaines plus tôt.

Les spécialistes anticipent des tensions sur le marché pour les deux à trois années à venir, impliquant une forte volatilité des cours. Cours qui seront pris en tenaille entre la reprise de l’activité chinoise (la Chine absorbe plus de la moitié des produits du nickel), qui semble se confirmer, et l’évolution de la production du métal. Entre les annonces de nouvelles unités de production, la possibilité de réaliser du nickel de classe 1 à partir du pig iron et l’intensification de la prospection de nouveaux gisements, il existe peu de doutes sur l’orientation à la baisse des cours à moyen-long terme. La stratégie des pays asiatiques, aujourd’hui principaux producteurs, et demain principaux consommateurs, sera d’abaisser les coûts du métal afin d’assurer la démocratisation des objets contenant du nickel, et en particulier les véhicules électriques.

Dix ans d’exploitation ?

C’est toute l’idée de Tsingshan, premier producteur mondial d’acier inoxydable, associé à Eramet dans le projet hydrométallurgique de Weda Bay, en Indonésie, que d’augmenter considérablement l’offre de nickel. C’est d’ailleurs ce géant qui a annoncé la production de nickel de classe 1 à partir de pig iron. Ce produit avait déjà concurrencé le nickel calédonien de classe 2 (ferronickel) de la SLN. Il pourrait, à l’avenir, aller chasser sur les terres de l’usine du Sud. Les perspectives de profits pour la production de nickel de classe 1 en Nouvelle-Calédonie existent, mais sont donc plutôt incertaines 2, d’autant que les équipes de Goro Resources devront relever le défi de trouver une alternative au projet Lucy d’ici à dix ans pour permettre la poursuite de l’activité. Un horizon relativement court pour une unité industrielle de cette taille. Il faut dire que le seul actionnaire à réellement mettre de l’argent sur la table, Trafigura, apportera seulement une dizaine de milliards de francs sur les plus de 120 milliards de l’enveloppe globale de reprise. Il prend donc peu de risques, d’autant qu’il demeure un actionnaire minoritaire.

Un arrêté du gouvernement pose d’ailleurs des questions quant à l’avenir du site industriel. Mardi 30 mars, la veille de la signature de la cession de l’usine à Goro Resources, le gouvernement a adopté en collégialité un texte revoyant le contrat entre Prony Énergies (la centrale qui alimente l’usine en électricité) et Vale NC. Le contrat initial prévoyait une indemnité de résiliation versée à Énercal par Vale NC en cas de fermeture de l’usine. Le montant qui était prévu a été jugé « rédhibitoire pour le repreneur ». Une négociation a permis de mettre sous séquestre un peu plus de deux milliards de francs pour, comme le précise le gouvernement, permettre que « l’indemnité de résiliation soit totalement garantie en cas d’arrêt de l’usine du Sud à compter de 2030 ».

Les déclarations de Raphaël Mapou 3, le porte-parole de l’Instance coutumière de négociation, au micro de NC La 1ère le jour de la vente, ainsi que ceux de Daniel Goa, le président de l’Union calédonienne et porte- parole du FLNKS, quelques jours plus tôt, à propos de l’accord politique n’ont rien de rassurant non plus. Loin des discours vantant un accord historique, les deux hommes ont indiqué assez clairement que le collectif n’avait pas eu de marge de manœuvre dans la négociation, laissant comprendre, en creux, que l’accord avait surtout vocation à éviter aux opposants de perdre la face et de faire passer la pilule à leurs bases. La remarque de Raphaël Mapou sur la question environnementale est d’ailleurs assez éclairante. « Dans les dix ans qui viennent, il faudra parvenir à éliminer les risques de KO2. On ne peut pas fermer l’usine en laissant ce risque planer sur les populations, ce n’est pas une solution », indiquait-il, mercredi, dans la matinale de nos confrères. Reste la question de savoir qui paiera la remise en état en cas de fermeture.

Beaucoup d’incertitudes

Les Calédoniens attendent que Trafigura parvienne à rendre l’usine rentable. Le trader sera toutefois plutôt en charge de la commercialisation que du fonctionnement de l’usine ou de la mine. Et quels risques assumera Trafigura en cas de non-rentabilité ? Plus concrètement, qui paiera les salaires en cas de résultats négatifs ? Autant de questions fondamentales qui n’ont pas encore de réponses très claires et les termes de l’accord de reprise précisant les rôles et les responsabilités de chacun des partenaires ne sont pas encore vraiment connus. Une chose est sûre, Trafigura n’aura aucun mal à écouler le NHC calédonien dans les deux ans à venir. Si l’usine peine à atteindre la rentabilité, cela ne devrait pas empêcher le courtier suisse de faire des profits.

Au-delà des risques de baisse des cours à moyen terme pour l’usine, il existe également un risque de rupture technologique bien réel. C’est Elon Musk, le patron de Tesla lui-même, qui a annoncé à plusieurs reprises que sa société pourrait à l’avenir se passer des métaux comme le nickel et le cobalt. Certains modèles de la marque américaine embarquent d’ores et déjà des batteries de type LFP (lithium, fer, phosphate) qui sont présentées comme moins chères et moins polluantes. Aujourd’hui, les batteries de véhicules contenant du nickel et du cobalt se reconditionnent assez difficilement avec des taux de recyclage réglementaires de 50 %. Parler de nickel vert est au mieux un abus de langage, au pire, du « greenwashing ».

Dans le fond, la cession présente deux avantages indéniables, le premier est de préserver les emplois des Calédoniens et le second de permettre aux entreprises gravitant autour de l’usine du Sud de capter une partie des quelque 50 milliards de francs d’investissement prévus dans le cadre du projet Lucy 2.0. Ces deux avantages sont toutefois à apprécier sur le court terme, car au-delà, l’avenir est nettement plus incertain. Il l’est d’autant plus qu’avec ce montage, les collectivités renforcent l’engagement du territoire dans une industrie du nickel fortement volatile au détriment de la diversification de l’économie qui revient parfois comme une ritournelle.

1. Le pig iron est de la fonte brute, qui n’est pas un produit fini, mais permet de produire de l’acier inoxydable nettement moins cher. À titre indicatif, lorsque la tonne de sulfate de nickel est de l’ordre de 18 000 dollars, celle de pig iron est de 7 000 USD, sa transformation en produit utilisable pour les batteries ferait grimper le prix à 11 000 USD, selon une information rapportée par l’agence Reuters.

2. Dans un contexte de manque de rentabilité, il ne serait pas surprenant de voir revenir le dossier des exportations de minerai.

3. Les interviews peuvent être réécoutées sur le site de NC La 1ère (www.la1ere.francetvinfo.fr).

M.D.

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