Une visite, un statu quo

Alors que le ministre des Outre- mer poursuit sa visite, les deux fronts campent sur leurs positions. Les loyalistes veulent éviter une troisième consultation et rester dans la France, les indépendantistes sont fermement décidés à aller au prochain référendum et ne parlent que de pleine souveraineté. Le table ronde qui pourrait se tenir ce jeudi ne devrait rien y changer.

Sébastien Lecornu a multiplié les échanges avec les responsables politiques, les autorités civiles, économiques et coutumières, depuis son arrivée en Nouvelle-Calédonie. Par visioconférence d’abord, puis sur le terrain, le ministre a eu tout le loisir de prendre la température du contexte calédonien. Après l’écoute, il pourrait souhaiter rassembler tout le monde autour de la table, alors que le fossé entre partisans du oui et ceux du non est intact.

L’idée, on le sait, est de renouer les fils du dialogue en constituant les piliers qui serviront de fondation à l’après-Accord de Nouméa. « Nous sommes dans un moment où je ne sais pas s’il y aurait une troisième consultation référendaire, puisque le Congrès a six mois pour prendre cette décision, a souligné le ministre. Néanmoins, ce que je sais, c’est qu’on a quand même besoin de préparer la suite, car quoiqu’il arrive, l’Accord de Nouméa touche à sa fin. » Et de préciser qu’il « n’est pas terminé, contrairement à ce qu’on peut entendre ici ou là ».

La fin de l’Accord d’abord

Préparer la sortie de l’Accord, tel est donc l’objectif de l’État. Emmanuel Macron avait ainsi indiqué, le soir du référendum, qu’il fallait que les forces politiques calédoniennes s’engagent avec ou sans troisième référendum, « que les partisans du oui acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences du non et que les partisans du non acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences d’un oui ». Un objectif qui ne semble pas à portée de main dans l’immédiat.

Daniel Goa a répété, ces derniers jours, que les indépendantistes ne changeront pas de position. « On va aller jusqu’au troisième référendum et en cas de victoire du oui, on négociera en bilatéral entre Calédoniens et l’État. Car si on essaie de renégocier maintenant un autre accord, quelle crédibilité aura l’accord de décolonisation qu’on a négocié en 1998, puisqu’on n’est pas capable de le respecter. » Si le non l’emporte une troisième fois, Daniel Goa explique que « la revendication demeurera, rien ne changera, sauf qu’on aura encore les problèmes que nous connaissons aujourd’hui, et peut-être amplifiés, puisque le pays n’est pas en très bonne santé budgétaire ». De fait, le chef de l’Union calédonienne dit vouloir rallier à la cause du oui tous les Calédoniens : « Nous avons préparé un projet de société et un projet de Constitution qui sera soumis aux Calédoniens et une fois qu’ils se seront mis d’accord, nous discuterons de cela et de la suite avec l’État français. Mais il n’y aura alors plus que deux partenaires et non trois. (…) c’est la Calédonie qui discutera avec l’État, pas les indépendantistes ».

À Canala, lors de leur comité directeur, les sympathisants du parti ont aussi évoqué la question des corps électoraux spéciaux et là encore, rien n’a changé. Il n’y aura pas de concession. Comme l’expose Daniel Goa, « un consensus a été trouvé en 98, alors allons d’abord jusqu’au bout de ce processus et après nous réexaminons la situation, comme il est indiqué dans l’Accord de Nouméa ». Enfin, l’Union calédonienne appelle l’État à sa responsabilité en tant que colonisateur et demande à ce qu’il se ré-imprègne de l’Accord de Nouméa. Le parti demande, à ce titre, le retrait du bleu, blanc, rouge pour le prochain scrutin et une implication pour l’usine du Sud dans une démarche d’émancipation.

Trouver des solutions

Cette position s’oppose à celle des loyalistes. Victorieux à deux reprises, les partisans de la Nouvelle-Calédonie dans la France ne voient pas l’intérêt d’un troisième référendum. Il faut arrêter de perdre du temps, comme l’a souligné Virginie Ruffenach, de l’Avenir en confiance. « Nous avons une situation d’impasse référendaire (…), à part déstabiliser, créer plus de troubles et le désordre, quel est l’intérêt d’aller à un troisième référendum ? » Et de rajouter : « Nous sommes donc pour qu’il y ait des discussions, que nous trouvions des solutions pour ces deux légitimités de la Nouvelle-Calédonie, que personne ne se sente renié, que le choix démocratique, malgré tout, soit respecté et que l’État joue son rôle pleinement, comme il a su le faire par le passé ». Le rôle de l’État doit donc être la clé de voûte du dispositif, selon la porte-parole de l’Avenir en confiance. Même si elle « considère que nous avons tous, indépendantistes et non- indépendantistes, la responsabilité de notre population (…) et que nous ne sommes plus à être dans des postures politiciennes, mais bien dans le fait de trouver ensemble, et en responsabilité, à nouveau les solutions possibles pour vivre en paix ».

Ceci étant dit, les non-indépendantistes restent focalisés sur le corps électoral. Ils précisent que le Conseil d’État avait stipulé que l’application de l’Accord de Nouméa pourrait s’étendre, mais sans définir de durée. Une ambiguïté juridique qui, pour les loyalistes, est de moins en moins tenable.

Résoudre le casse-tête

La Nouvelle-Calédonie est donc plongée dans une impasse, un face-à-face de deux camps que les référendums successifs n’ont pas résolu. Pire, la population s’est radicalisée au fil du temps et s’habitue à l’usage de propos diffamatoires et racistes avec le risque d’en arriver rapidement aux mains.

L’État souhaite dorénavant passer des questions aux réponses, comme l’a souligné Sébastien Lecornu. « On a passé beaucoup de temps sur les questions, celles du référendum, celle de sa date, à qui seront posées ces questions, à quel moment, mais l’on n’a finalement très peu évoqué les réponses et c’est là que sont cachés potentiellement les plus grands tabous », comme la question du gel des corps électoraux spéciaux.

L’objectif est de mettre tout le monde autour de la table des négociations. Le ministre a aussi insisté sur le fait que « le gouvernement aussi a des choses à dire. C’est quand même l’avenir de la France dans le Pacifique qui se joue, a-t-il précisé. On a trop souvent confondu l’impartialité et la neutralité de l’État. Il doit être impartial. Imaginez que dans une élection municipale, l’État prenne parti en faveur de tel ou tel. C’est impensable. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de la République de prendre des initiatives politiques. C’est ce qu’a fait Michel Rocard en 1988, puis Lionel Jospin en 1998. Ils se sont engagés. » Est-ce que Sébastien Lecornu et le Premier ministre, Jean Castex, prendront ces initiatives ? Le temps nous le dira, sachant qu’il est bien plus vraisemblable que nous irons au troisième scrutin et que les choses se décideront après…

D.P.

©Théo Rouby/ Hans Lucas via Afp