Une vente signée qui est loin de tout régler

La deuxième table ronde, organisée dans la nuit du 3 au 4 décembre, semblait avoir débouché sur un apaisement de la situation. Des incompréhensions ont toutefois ravivé les tensions dès le lendemain. En dépit des blocages, Vale NC a annoncé que la cession de l’usine avait été signée mercredi. Une « avancée » qui pourrait néanmoins, vu le contexte, conduire le territoire dans une impasse complète et fragiliser encore davantage l’usine sur le plan industriel.

Dix-sept heures. C’est le temps qui aura été nécessaire aux responsables institutionnels calédoniens pour parvenir à un accord, dans la nuit du 3 au 4 décembre, jour de la fin de la période de négociations exclusives autour de l’offre Prony Resources portée par Antonin Beurrier* et comprenant Trafigura comme actionnaire minoritaire. À l’issue de cette deuxième table ronde, qui avait permis de réunir l’ensemble des parties prenantes, représentants des institutions, des différents groupes politiques du Congrès ainsi que du collectif « Usine du Sud = usine pays », un compromis semblait avoir été trouvé.

Le lendemain, les déclarations de Sonia Backes, la présidente de la province Sud, sur les ondes de RRB avait toutefois mis au jour les différences d’interprétation de l’accord signé la veille. Le relevé de décisions contenait quatre éléments : la communication du dernier rapport d’expertise sur le barrage retenant les boues résiduaires, la formulation d’une demande auprès de Vale Toronto pour autoriser la venue des experts de Korea Zinc « dans le cadre de la recherche d’un partenariat financier et/ou industriel », des discussions autour de l’actionnariat calédonien et du processus industriel.

De fait, le document était plutôt imprécis et ne répondait pas directement aux revendications du collectif en faveur d’une « usine pays » qui étaient l’obtention de la « due diligence » afin de pouvoir formuler une offre définitive de reprise. L’affirmation, par la présidente de la province Sud, que la cession au consortium incluant Trafigura aurait bien lieu dans les jours à venir a mis le feu aux poudres et fait naître le sentiment d’une parole non respectée. Un sentiment partagé par Sonia Backes qui a fait savoir par communiqué qu’elle estimait également que le collectif n’avait pas respecté la sienne. C’est plutôt logiquement que la discussion de samedi après-midi, qui devait porter sur l’actionnariat calédonien, s’est soldé par un échec.

Un dialogue de sourds qui a finalement conduit, lundi matin, à une radicalisation du mouvement et d’importantes dégradations dans le centre-ville de Nouméa. Rapidement, des appels au calme ont été lancés par les responsables et en particulier, les présidents des conseils coutumiers de la Nouvelle-Calédonie pour faire redescendre la pression sans pour autant permettre la levée des barrages filtrants et des blocages. Lundi soir, le collectif recevait une véritable douche froide à l’annonce du retrait de Korea Zinc du projet, le partenaire industriel de la Sonifor. Une décision du géant coréen transmise par courrier à Vale Toronto et la province Sud.

L’histoire n’avait cependant pas encore définitivement tourné en faveur du projet Prony Resources. Mardi, en fin de matinée, l’USTKE annonçait le maintien de la grève générale dans le privé à l’issue d’une assemblée générale. Le mouvement devrait être suivi par le secteur public dans les jours à venir. Au-delà des risques sociaux et politiques particulièrement élevés, la situation économique est aussi très exposée. L’économie tourne aujourd’hui au ralenti à la veille des fêtes qui constituent une grande part du chiffre d’affaires annuel de nombreuses sociétés. Mais la situation ne devrait pas se débloquer de sitôt, le collectif étant ferme sur ses positions tout en appelant à bloquer, de manière « pacifique ». Malgré les appels au calme et à la retenue, des débordements sont relevés, en particulier au Mont-Dore où d’importantes dégradations ont été commises à La Coulée.

La situation à l’usine du Sud commence à être vraiment difficile. Les affrontements à proximité du site, les blocages de l’usine et des intrusions ont conduit le président du gouvernement, Thierry Santa, à déclencher le plan particulier d’intervention. Un plan qui vise à prévenir les risques industriels ou à réagir au plus vite en cas de catastrophe. Pour rappel, l’usine du Sud est une usine à haut risque industriel (Seveso 2). Elle comprend notamment une des plus grandes unités de production d’acide au monde. Un plan qui n’est habituellement pas déclenché de manière anodine et qui pose question. Un accident industriel pourrait engendrer une catastrophe humaine et environnementale.

En parallèle de la question environnementale, celle de l’avenir de l’usine même demeure. Pour le collectif « Usine du Sud = usine pays », si aucune alternative n’est apportée à Trafigura, l’usine doit être mise en sommeil. Un positionnement inacceptable pour l’Usoenc, l’UT CFE-CGC, la CST-FO et la Cogetra, signataires d’un communiqué qui appelle les acteurs à faire preuve de responsabilité en trouvant « une solution qui aille dans le sens de l’entreprise et de ses salariés ».

L’idée circule également qu’une fermeture pure et simple serait souhaitable. Selon nos confrères des Nouvelles calédoniennes, la fermeture a été sérieusement envisagée et une estimation du coût pour Vale a été faite. Au bas mot, cela reviendrait à entre un et deux milliards de dollars (100 à 200 milliards de francs). Une estimation basse de ce que pourrait coûter le démantèlement de l’usine et qui ne prend même pas en compte le volet environnemental. On est donc bien loin des garanties environnementales exigées par la province qui sont passées de 8 à 16 milliards de francs. Une offre d’emploi pour un ingénieur planificateur à Yaté « pour assurer la préparation d’arrêt majeur et définir l’ensemble des tâches à effectuer » tend à confirmer que l’industriel prend cette option très au sérieux.

Didier Ventura, directeur général délégué de Vale NC, a par ailleurs indiqué au JT de Caledonia que l’unité d’acide n’avait de perspectives que pour quatre à cinq jours, tout au plus. Faute de pouvoir fonctionner correctement en raison des blocages et du manque d’approvisionnement en minerai, l’acide ne peut être consommé et doit être stocké. Une fois les pleines capacités de stockage atteintes, l’unité devra fermer, ce qui devrait entraîner la fermeture du reste des installations. Comme l’a souligné le directeur délégué, il faudrait compter un mois, voire plus, pour remettre l’usine en service.

Pour la Sofinor, une course contre la montre s’est engagée de façon à pouvoir présenter une nouvelle offre à Vale Toronto, d’ici le terme du 31 décembre que l’industriel avait fixé. Ulrich Reber, directeur de projets à la Sofinor, a fait savoir qu’un projet alternatif pourrait être proposé directement à Vale, sans passer par la médiation de la banque Rothschild, en respectant le calendrier. Il partirait sur les mêmes bases que celui porté avec Korea Zinc, avec un actionnariat composé à 56 % par les participations des trois provinces et à 44 % par celles d’un industriel. Pour Ulrich Reber, le projet de reprise doit absolument associer un industriel capable de faire fonctionner l’usine de manière rentable. Le nom du partenaire n’a toutefois pas été communiqué, le représentant de la Sofinor estimant qu’il existe des risques de pression, comme cela a été le cas pour Korea zinc, d’après lui. Le nom sera donc seulement communiqué à Vale.

Reste que cette proposition arrive un peu tard, Vale NC ayant annoncé la vente effective de l’usine au consortium associant Trafigura, mercredi à midi. La finalisation de la vente devrait être effective dans le courant du premier trimestre 2021. Une annonce qui ne devrait toujours pas satisfaire les membres du collectif. Sans compter qu’il comprend des représentants des clans dont l’autorité coutumière couvre les terres sur lesquelles est installée l’usine. La sollicitation de l’ONU pourrait à l’avenir donner un tour nouveau aux revendications sans compter que le projet devra également obtenir des autorisations du Congrès pour permettre les exportations envisagées. Autant dire que le dossier est loin d’être totalement bouclé.

(*) Une plainte devait être déposée à l’encontre d’Antonin Beurrier par l’Instance coutumière autochtone de négociation (Ican) auprès du parquet national financier, du tribunal de Paris ainsi que du procureur de la République de Nouméa. L’Ican reproche à Antonin Beurrier d’avoir tronqué la procédure de reprise en ne laissant pas véritablement sa chance au projet porté par la Sofinor. La plainte portera sur des pratiques anticoncurrentielle et la suspicion de fraude fiscale.


Un autre partenaire industriel ?

Alors que la province Sud estime qu’il n’existe pas d’autre projet de reprise que celui de Prony Resources et que la Sofinor portait un projet avec Korea Zinc, il demeure un industriel qui connaît bien la Nouvelle-Calédonie pour y être le plus vieil acteur dans le monde du nickel et développer des projets métallurgiques : la SLN. Invité du JT de NC La 1ère, Joël Kasarhérou s’est interrogé sur la place de cet industriel. Ses difficultés structurelles, liées en partie à l’obsolescence de son outil industriel, l’ont conduit au bord de la cessation de paiement et poussé à déconstruire son modèle métallurgique au profit de plus en plus d’exportations de minerai. On peut pourtant lire, sur le site internet de la SLN, que l’avenir de la SLN passera par l’hydrométallurgie qui est développée par Eramet Ideas. L’idée est précisément de pouvoir traiter les latérites du Sud. Pour rappel, à quelques semaines des élections provinciales de 2014, la présidente de la province Sud, Cynthia Ligeard, avait attribué les massifs de Prony et Pernod à Vale et Eramet (une décision annulée trois mois plus tard). Eramet connaît donc bien le Sud. Cette idée qu’Eramet/SLN aurait pu reprendre l’usine du Sud a également été portée par Générations NC (le parti prévoyait un partenariat avec Vale) qui l’avait diffusée dans un communiqué le 10 septembre.


La province Sud se veut rassurante sur le barrage

La province Sud a organisé une conférence de presse, conduite par Françoise Suve, rapporteure de la commission de l’environnement, en présence du nouveau responsable de la Direction de l’industrie, des mines et de l’énergie et du directeur du développement durable de la province Sud. L’objectif était de communiquer les études réclamées par des élus et des associations environnementales, notamment. Selon le directeur de la Dimenc, Antonin Milza, l’ouvrage ne présente aucun risque et l’ensemble des remarques ayant pu être formulées par ses prédécesseurs ont nécessairement été prises en compte pour la sécurisation du barrage, de conception différente de celles des barrages brésiliens qui se sont effondrés. Le seul risque pointé par le dernier rapport, en date du mois de novembre 2020, est lié aux séismes. C’est dans cette optique qu’un renforcement de l’ouvrage sera réalisé dans les années à venir. Dans une volonté de « transparence », plusieurs documents sont désormais consultables en ligne sur le site de la province Sud (www.province-sud.nc, rubrique Information, usine du Sud toute transparence). À noter qu’André Fabre, un expert en minéralurgie à la retraite qui soutient que le barrage présente un fort risque d’effondrement, a tenté d’assister à la conférence de presse en toute quiétude. Il a été expulsé sans ménagement, avec une clé d’étranglement, par un élu Avenir en confiance.


Une cellule pour accompagner les entreprises en difficulté

La situation est très pesante sur l’économie calédonienne. Pour tenter de soutenir les entreprises touchées par les blocages, le gouvernement a mis en place une cellule économique qui s’est réunie pour la première fois le 7 décembre. Elle est composée des représentants du collectif NC Éco qui regroupe la quasi- totalité des chefs d’entreprises calédoniens, du gouvernement et de l’Etat. La cellule doit se réunir plusieurs fois par semaine afin de coordonner les actions pour soutenir le tissu économique. Elle s’appuiera sur la cellule de soutien de la CCI. Un numéro vert est mis à disposition pour les entrepreneurs qui rencontreraient des difficultés : le 05 20 20.

M.D.