Une souveraineté « îlienne » ?

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs du Pacifique étudie actuellement la souveraineté des îles non autonomes. Leurs travaux ont mis au jour plusieurs éléments de réflexion pouvant éclairer la situation calédonienne.

Le débat pour ou contre l’indépendance a du mal à prendre corps au sein de la société calédonienne. Dans les rares espaces où s’exprime la société civile, des voix reprochent une certaine mainmise de la classe politique sur la question. En dehors de ce cadre relativement classique, d’autres courants tentent de se faire entendre et proposent des visions constructives, évitant le choc frontal de la question binaire.

Il existe l’approche « autochtoniste », qui a déjà essaimé dans l’ensemble du Pacifique, y compris en Nouvelle-Calédonie, et bien d’autres qui remettent en cause la justesse du concept de souveraineté westphalienne. C’est ce concept qui fonde la perception actuelle de la souveraineté et instaure le fait qu’un Etat n’a pas d’autorité sur un autre, quelle que soit sa puissance, et qu’il est seul maître de ses affaires internes.

Dans le cadre de recherches sur le développement économique, une équipe de chercheurs s’est penchée sur les cas particuliers des îles non autonomes qui, pour beaucoup, vivent des processus de décolonisation. Séverine Blaise, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, spécialisée dans le développement, et Gerard Prinsen, de l’Université de Massey, en Nouvelle-Zélande, ont cosigné un article dans la revue International Journal, en avril 2017, intitulé « Emergence d’une souveraineté « îlienne » des îles non autonomes ».

 

Une souveraineté qui pousse à l’ombre des métropoles

Un article qui s’inscrit dans un cadre de recherches beaucoup plus vaste et qui interroge la souveraineté de ces territoires dont fait partie la Nouvelle-Calédonie, c’est du moins ce que concluent les deux auteurs. Les chercheurs ont déterminé les grandes caractéristiques de ces territoires et les ont comparées avec la Nouvelle-Calédonie. La première est qu’ils votent ‘non’ aux référendums d’autodétermination et ‘oui’ à la conservation d’un lien institutionnel. Un critère incertain du fait du boycott des indépendantistes au référendum de septembre 1987. Sans présumer de l’issue de la prochaine consultation, les résultats des dernières élections semblent toutefois aller dans le sens d’un non.

Le deuxième critère est que ces territoires négocient des statuts constitutionnels exceptionnels, ce qui est bien le cas de la Nouvelle-Calédonie. Le troisième aspect veut qu’ils s’exonèrent de certains droits métropolitains. A Wallis, cela se traduit, par exemple, par le paiement de l’Eglise par l’Etat pour qu’elle assure l’éducation primaire. Le quatrième critère précise que les territoires reçoivent des transferts financiers conséquents. Les îles Cook perçoivent chaque année 1 580 dollars NZ par habitant, soit un peu plus de 110 000 F. En Nouvelle-Calédonie, ils représentent un montant annuel de 4 853 euros (environ 7 796 dollars NZ) par personne, environ trois fois plus. Le dernier point commun entre ces territoires est qu’ils bénéficient d’accords bénéfiques inconfortables pour leurs métropoles.

Les chercheurs constatent aussi que le niveau de développement est deux fois plus élevé que dans les territoires indépendants. Mais au-delà de la performance économique, c’est bien de souveraineté dont il est question. Et sur ce point, les travaux suggèrent que les petits Etats indépendants ne sont pas forcément les plus souverains. Comme le rappelle Séverine Blaise, Jean-Marie Tjibaou expliquait déjà dans les années 1980 que « pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les interdépendances ».

 

Des territoires non autonomes qui développent des réseaux

L’article examine notamment la capacité des Etats indépendants à diriger l’aide internationale visant à soutenir le développement économique. A l’inverse, les transferts vers les territoires non autonomes ne sont pas générateurs de dettes et sont, dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, utilisés selon les priorités du territoire. C’est le cas des contrats de développement qui ont commencé à être évalués par l’Etat seulement à partir de 2006.

L’étude montre que les territoires, s’ils ne sont pas souverains au sens strict du terme, développent une forme de souveraineté, notamment au travers de relations avec leurs voisins. C’est précisément ce qu’est en train de faire la Nouvelle-Calédonie lorsqu’elle ouvre des discussions bilatérales et multilatérales avec les pays membres du Forum des îles du Pacifique ou encore du groupe du Fer de lance. Reste la question de l’autonomie. Est-ce que les politiques publiques traduisent l’autonomie dont dispose le territoire ? Autrement dit, est-ce que les élus exercent réellement cette autonomie ou se contentent-ils de prolonger des politiques définies par la Métropole ?

Un colloque, organisé par l’Université au mois de septembre, sur ce que pourrait être l’économie après 2018 devrait apporter, sinon des réponses, des éléments de réflexion. L’économie calédonienne est à la croisée des chemins et quels que soient les choix institutionnels, elle devra évoluer vers un modèle économique plus moderne, mais aussi plus en rapport avec les besoins et les capacités du territoire.