Une question de ligne rouge

D’après le quotidien de Melbourne The Age, le message du professeur Éric Descheemaeker, écrit en 2023, a généré un choc à l’université, après sa diffusion, la semaine dernière. (©DR)

Un courriel du professeur de droit à Melbourne, Éric Descheemaeker, bien connu sur le territoire pour son combat en faveur d’une Nouvelle-Calédonie française, comporte des éléments « à caractère raciste », selon le journal australien The Age.

L’article figure en bonne place dans l’édition du samedi 14 juin de The Age, un quotidien australien édité à Melbourne. Son titre n’y va pas par quatre chemins : « Email reignites university race row », c’est-à-dire « Un courrier électronique ravive la polémique raciale à l’université ». Le journaliste évoque un message du professeur de droit, Éric Descheemaeker, rédigé en août 2023, à l’adresse de son supérieur, Matthew Harding, alors doyen de la faculté dans la discipline à l’université de Melbourne.

Cet email a fuité et été diffusé sur le campus la semaine dernière. Ce qui a provoqué, semble-t-il, un certain émoi. D’après l’article, Éric Descheemaeker avait réagi à l’annonce d’un « Indigenous cultural safety review » (un examen de la sécurité culturelle autochtone) à la faculté de droit, que le professeur a qualifié « de camp de rééducation idéologique ». « La célébration du « noble sauvage » est déjà la principale, voire la seule, raison d’être de la MLS [Melbourne Law School] ‒ avec juste un peu d’espace pour toutes les minorités sexuelles ou de genre possibles qui revendiquent le statut de victime », a écrit l’universitaire, selon The Age.

D’après le journaliste, Éric Descheemaeker « a affirmé dans son courriel à M. Harding que c’étaient des « activistes Blak [noirs; stratégie au départ de l’artiste Destiny Deacon devenue une forme de résistance politique aborigène] » qui dictaient la direction de l’école ». Contacté, l’intéressé n’a pas répondu à la sollicitation de DNC, ni à celle, visiblement, de The Age.

Éric Descheemaeker est connu en Nouvelle-Calédonie pour ses interventions médiatiques et conférences en faveur d’un maintien absolu du territoire au sein de la République française. Le Collectif de résistance citoyenne ou CRC, émanation d’unités de voisins vigilants, dont le porte- parole est Willy Gatuhau, ancien maire déchu de Païta et membre Les Loyalistes, avait pris en charge la venue sur le territoire du professeur de droit privé de Melbourne en mai. Des spécialistes des textes de loi contestent toutefois la qualité des propos et écrits du juriste. Ce chercheur, passé par l’université d’Édimbourg en Écosse, ne cache pas ses opinions politiques. Le titre de sa chronique, publiée le 8 juin sur le site de la revue Conflits, est pour le moins direct : « Tourner la page de l’indépendantisme kanak ».

« UNE ATTAQUE EN RÈGLE »

Si, dans son mail de 2023, Éric Descheemaeker investit un champ pour le moins tendancieux et condamnable, celui de la couleur de peau, des élus Les Loyalistes se sont emparés ces dernières semaines d’un sujet qui dépasse la ligne politique traditionnelle en Nouvelle-Calédonie : celui des rapports civilisationnels. Dans un post, publié jeudi 12 juin, sur un réseau social, Sonia Backès estime que le « combat pour l’égalité portée par les anciens » est passé « à un combat pour la domination ethnique » chez une partie des indépendantistes.

À la suite de ses entretiens aux Nations unies, la cheffe de file pense déceler une tendance à travers une notion géopolitique. Ou comment « le conflit calédonien » peut être éclairé « à l’échelle du reste du monde ». « Il faut s’intéresser au « Global South » qui, sous couvert de traiter des inégalités entre les pays de l’hémisphère Sud et ceux de l’hémisphère Nord, est en fait un mouvement de fond qui vise, pour les pays ayant été colonisés, à prendre une revanche sur l’Occident, juge Sonia Backès. Nous ne sommes donc plus dans une recherche de réduction des inégalités ou même d’égalité, mais dans une quête de revanche et dans une attaque en règle de tout ce qui relève de la civilisation occidentale. » Sa théorie repose au fond sur la peur d’un effondrement et, par ricochet, sur l’appel à une réaction, voire au combat. Ramenée à hauteur de la Nouvelle-Calédonie, la pensée est bien loin de l’esprit de l’accord de Nouméa.

Le député Nicolas Metzdorf a abordé le même registre, lors de l’émission Transparence sur la radio RRB, vendredi 13 juin. « Aujourd’hui, toutes les grandes puissances du monde cherchent à s’agrandir », expose le parlementaire de la première circonscription, citant pêle-mêle la Chine, la Russie, les États-Unis… « Il n’y a que la France qui recule. Dans ses propres territoires d’ailleurs, qui ont pourtant choisi de rester français. » Sa conclusion : « à un moment donné, la France doit se poser les bonnes questions ». Sauf que la comparaison est un peu douteuse entre des pays qui, au-delà de toutes les règles de droit, mènent une guerre pour s’emparer d’un territoire ou en ont émis le projet, et une nation questionnée sur l’avenir institutionnel de ses collectivités. Le proche sommet à Paris avec le président de la République, Emmanuel Macron, replacera peut-être le débat.

Yann Mainguet