Une progression des salaires à plusieurs vitesses

L’Institut de la statistique et des études économiques vient de publier une étude sur les salaires entre 2013 et 2019, l’occasion de mesurer leur évolution au regard de celle du pouvoir d’achat. En moyenne, ils ont progressé plus vite que l’inflation. Les chiffres masquent toutefois différentes réalités en fonction du niveau de revenu.

Les statistiques sur l’emploi et les salaires ne sont pas légion et, quand elles existent, offrent peu de perspectives. L’Institut de la statistique et des études économiques a dévoilé une étude sur les salaires entre les années 2013 et 2019. La bonne nouvelle, c’est que le salaire net moyen a progressé de 0,4 % par an, soit 7 % sur la période, pour s’établir à 342 000 francs par mois. L’Isee relève qu’en parallèle, les prix ont augmenté de 4,4 %. Pour l’institut, les salaires des Calédoniens ont connu une hausse de 2,5 %, déduction faite de l’évolution de l’inflation. À noter que l’indice des prix tel que mesuré repose sur des pondérations remontant à 2008. Il est probable que la consommation des Calédoniens ait évolué en 12 ans et que le poids de l’inflation puisse être amené à changer en fonction des résultats équivalents de l’enquête Budget- consommation des ménages, qui est en cours de finalisation.

La progression du pouvoir d’achat moyenne présentée par l’Isee masque, par ailleurs, des réalités bien différentes en fonction de la catégorie socioprofessionnelle du salarié, son âge, du statut (pour la fonction publique), du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise et du genre. L’étude montre, effectivement, que si le genre est un facteur explicatif minime, la différence de salaires entre les femmes et les hommes est de l’ordre 14,4 % dans le privé et de 17 % dans le public (en 2013, l’Isee relevait une inégalité de 15 % dans le privé et 16 % dans le public). Des chiffres qui ont un peu progressé, dans le mauvais sens pour le public, et ce, malgré les discours politiques qui se succèdent et se ressemblent.

Outre les femmes, l’étude n’examine pas les inégalités liées aux discriminations en raison de la communauté d’appartenance, données absentes des déclarations nominatives de salaires que les employeurs, privés comme publics, adressent à la Direction des services fiscaux et sur lesquelles s’appuient les chiffres de l’Isee. Le document pointe néanmoins les profondes inégalités entre les différentes catégories socioprofessionnelles. Privé et public confondu, les ouvriers gagnent en moyenne 227 000 francs par mois, contre 631 000 francs pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Il existe un ratio de 2,77 entre ces deux extrêmes. Si l’on compare ces chiffres avec ceux de la Métropole, on obtient un ratio de 2,4, le salaire de cadres étant inférieurs à ceux de Nouvelle-Calédonie, environ 490 000 francs contre plus de 630 000 francs.

Des hausses de pouvoir d’achat contrastées

Un niveau de salaires qui pèse sensiblement plus sur le coût du travail, donc la compétitivité des entreprises, que sur les bas salaires. Un élément qui n’est pas forcément en phase avec les différentes analyses économiques mises en avant et qui doit d’autant plus retenir l’attention des chefs d’entreprise que sur la période 2013-2019, ce sont les emplois qui ont relativement le plus progressé dans les entreprises. De 13,4 % des emplois, ils sont passés à 14,1 %. La part des employés est, quant à elle, passée de 55,1 à 55,7 %. Les ouvriers ont vu leur part se réduire de 18,1 % à 16,1 %.

Au-delà de la compétitivité et du coût du travail, la question du pouvoir d’achat est particulièrement sensible en Nouvelle- Calédonie, où les prix sont singulièrement élevés. S’il a progressé en moyenne, ce n’est pas vraiment le cas pour les employés, qui représentent 55,7 % de l’offre et dont le niveau de salaire mensuel moyen est de 255 000 francs. La progression de leurs revenus moyens est de l’ordre de 0,1 % par an. Le fait est qu’une grande partie de ces salariés est au SMG qui a augmenté moins rapidement que l’inflation (+ 3,2 % contre + 4,4 % pour l’inflation hors tabacs).

Il faut également bien comprendre que les niveaux de salaires moyens présenté par l’Isee sont des équivalents temps plein, c’est-à-dire qu’ils correspondent à ce qu’aurait gagné la catégorie en question sur l’année, ce qui ne pose pas de problème pour le temps plein, mais pas pour ceux à temps partiel. Une autre étude récente de l’Isee sur les forces de travail montre précisément que l’emploi se précarise en Nouvelle-Calédonie. La plupart des salariés ont donc probablement davantage perdu en pouvoir d’achat dans la réalité que ce que peut suggérer l’étude. Et c’est sans compter sur le fait que le document prend en compte uniquement les salariés, si l’on s’intéresse à la situation plus générale des Calédoniens. Rien ne dit que la situation des travailleurs indépendants se soit améliorée sur la période.

Des inégalités en hausse

Les ouvriers ont, en revanche, vu leur pouvoir d’achat augmenter d’environ 0,5 % par an, comme le souligne l’Isee, soit 3,1 % sur la période. Ouvriers, qui pour une large part, tout comme les employés, touchent le SMG. Les cadres et professions intermédiaires ont, quant à eux, vu leur pouvoir d’achat progresser en moyenne de 1,4 % et 1,6 %. Ces chiffres, qui mesurent l’évolution du pouvoir d’achat, sont à relativiser, car ils ne tiennent pas compte de la pression fiscale qui s’exerce sur les Calédoniens.

Le pouvoir d’achat ne se mesure pas réellement avec le salaire net, mais avec le revenu disponible qui tient compte des salaires, mais également des autres transferts, comme les prestations sociales, ainsi que des revenus du patrimoine (intérêts, dividendes…) et déduit les cotisations sociales et les impôts, impôts qui ont peut- être augmenté ces dernières. La répartition du patrimoine entre les Calédoniens est extrêmement mal connue, mais il ne fait aucun doute qu’elle soit particulièrement répartie de manière inégalitaire. Elle n’est, de fait, pas véritablement prise en compte dans le calcul des inégalités calédoniennes qui se base essentiellement sur le revenu.

Et l’évolution des salaires suggère un creusement des inégalités déjà fortes sur le territoire. On peut notamment le voir avec le salaire médian qui divise les salariés en deux, les 50 % qui gagnent plus que le salaire médian et les 50 % qui gagnent moins. Ce salaire est de 236 000 francs par mois, bien loin du salaire moyen de 342 000 francs qui subit l’influence de très hauts revenus. Comme le souligne l’Isee, le rapport interdécile, qui mesure le rapport entre les 10 % des revenus les plus élevés et les 10 % les plus faibles, est passé de 3,5 en 2013 à 3,7 en 2019. Cela traduit un renforcement des inégalités entre les revenus les plus élevés et les plus faibles. Cela peut paraître paradoxal, mais ces écarts sont plus faibles dans le privé où le rapport est stable et compris entre 3 et 3,1. Dans le public, de manière globale, le rapport est de 4,9.

Outre ces niveaux d’inégalité, il existe un décalage entre le privé et le public. Globalement, un salarié du privé gagne 30 % de moins qu’un agent du public : 299 000 francs en moyenne, contre 429 000 francs dans le public. Dans le public, les cadres dont le salaire moyen est de 610 000 francs représentent 30,6 % des effectifs (ils sont 14,1 % dans le privé). Une situation qui n’est pas sans conséquences pour les finances publiques. Pour bénéficier d’un même niveau de services publics, les collectivités calédoniennes doivent consacrer une enveloppe nettement plus importante que la Métropole notamment. Ce n’est donc peut- être pas tant le nombre de fonctionnaires qui posent problème que leurs niveaux de rémunération.

M.D.

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