Une possible action en justice contre les prélèvements de requins

Plusieurs associations environnementales et le Sénat coutumier pourraient poursuivre en justice la province Sud et la mairie de Nouméa pour les actions d’abattage de requins perpétrées « à l’aveugle ». Ils prônent une approche « plus scientifique ».

Ensemble pour la planète et Sea Shepherd ont annoncé, vendredi dernier, lors d’une conférence de presse commune avec le Sénat coutumier, qu’elles envisageaient une action en justice contre les institutions à l’origine de l’abattage de « trois requins », suite à la disparition du véliplanchiste, le 12 juin dernier, vers le récif de Ricaudy.

La trouvaille du harnais du malheureux, portant des traces de morsures correspondant à celles d’un requin-tigre, et la signalisation de requins « agressifs » dans la zone avait décidé les autorités à « prélever » plusieurs spécimens au large de la Côte-Blanche, dans le cadre de la réduction du risque requin sur la commune. Une opération menée par la province Sud, à la demande de la mairie de Nouméa, et rendue possible par une dérogation prévue par le Code de l’environnement. En 2019, une campagne de « régulation » des bouledogues avait été menée après l’attaque du petit Anthony en baie de l’Orphelinat.

« Inutiles »

Ces associations environnementales, accompagnées du WWF, Caledoclean, et SOS Mangroves, ont rappelé leur opposition à ces actions qu’elles jugent « inutiles », « sans fondement scientifique », « contraires à l’esprit du Code de l’environnement » et « à notre responsabilité patrimoniale à l’égard de l’Unesco ». Rien ne permet d’affirmer, selon elles, que les requins-tigres abattus étaient bien à l’origine de l’attaque du véliplanchiste – « encore moins le bouledogue » – sans compter « qu’il pouvait aussi très bien s’agir d’une attaque post-mortem », s’indigne Julien Chable, de Sea Shepherd.

Elles ajoutent que de telles opérations menées à La Réunion ou à Hawaï ont « totalement échoué », les requins ayant refait apparition. « Démonstration a été faite que cela ne sert à rien et qu’au contraire, ça peut apporter un faux sentiment de sécurité », a commenté Martine Cornaille pour EPLP.

Les représentants environnementaux ajoutent que le baguage des animaux a prouvé qu’ils bougeaient sans se sédentariser et que l’on pouvait, à ce titre, risquer d’abattre des requins venus des zones maritimes plus lointaines et protégées de l’Unesco, « des animaux qui jouent un rôle éminent dans la santé des écosystèmes », a appuyé Hubert Géraux, du WWF. Il n’y aurait par ailleurs à ce jour aucune donnée attestant d’une surpopulation. Les requins seraient de fait « à 90 % moins nombreux ici que dans les récifs éloignés ».

Sur la forme, enfin, les associations s’opposent aux arrêtés qui permettent un prélèvement immédiat et ne laissent disent-elles « aucune place à la concertation, au recours ». Elles se justifient également d’un soutien de la population. La pétition « Stop à l’abattage des requins en Nouvelle- Calédonie », qui a rassemblé en quinze jours plus de 52 000 signatures, a d’ailleurs été remise aux autorités.

Pardon

Le Sénat coutumier s’est dit en accord avec les associations. Le président, Hippolyte Sinewami-Htamumu, a ajouté à cette série d’arguments le non-respect de la vision des Mélanésiens pour qui le requin est une espèce totémique. Pour les coutumiers, l’abattage, dans ces circonstances, va à l’encontre de la reconnaissance dans la loi organique du peuple autochtone et de sa spiritualité. « Pour nous, c’est aussi une question de droit et de justice », a expliqué le président dénonçant « un amateurisme dans la connaissance du monde kanak », après que la province Sud ait rétorqué qu’ils utilisaient bien des dérogations pour tuer les tortues. « Cela n’a aucun rapport avec la pêche culturelle et nos us et coutumes pour des occasions particulières ».

Lors d’un geste, le Sénat a donc demandé pardon au nom des êtres humains aux clans de la mer pour ces actions. « Les clans de la mer sont liés par ces totems comme les clans de la terre sont liés par l’igname », a expliqué Victor Akapo, sénateur de Djubéa-Kaponé qui a procédé en baie de Moselle, à son tour, à un pardon aux bêtes tuées avec une offrande pour « que les esprits les accompagnent ».

Concertation

Les associations disent regretter d’avoir à utiliser la voie médiatique voire judiciaire pour « faire monter la pression ». D’autant, indiquent-elles, que le travail de concertation avait été engagé lors d’un symposium, en septembre 2019. Une soixantaine d’associations, d’acteurs de la mer et les institutions avaient œuvré de concert « pour sortir de la polémique ». Des pistes avaient été engagées sur la gestion du risque en amont que prônent les environnementalistes pour réduire l’attractivité de nos côtes. Un certain nombre de problèmes structurels avaient été identifiés comme le rejet en mer des eaux usées (seules 30 % des eaux usées traitées à Nouméa), le rejet des eaux de cales au port autonome, le mouillage forain et la nécessité d’imposer des cuves à eaux noires pour les plaisanciers, les rejets de l’agroalimentaire…

Les associations s’interrogent notamment aujourd’hui sur l’absence de caméras au quai des pêcheurs, l’absence de sanctions pour les auteurs de rejets, davantage soumis à des « rappels à l’ordre ». « Il y a plein de choses utiles à faire. Les solutions peuvent être difficiles et coûteuses, mais nous n’avons d’autre choix que de les mettre en œuvre, car ce risque va se maintenir », argumente Hubert Géraux. Les associations regrettent que ces échanges « constructifs » et « respectueux » n’aient pas été poursuivis et aspirent à revenir à une « gouvernance moderne » qui les impliquerait plus largement.

Elles disent comprendre la pression engendrée par les accidents et ne remettent pas en cause les compétences de chacun. Mais jugent que les décisions prises dernièrement ne visent qu’à « asseoir un pouvoir » et « satisfaire l’électorat ». Elles appellent les autorités à réagir « non pas avec les tripes, mais avec la tête » et insistent sur le fait que quoi qu’il en soit « l’abattage n’empêchera pas l’attractivité ».

Associations et Sénat coutumier s’accordent sur le fait qu’un abattage peut effectivement être réalisé s’il est prouvé qu’il s’agit bien de l’animal à l’origine d’une attaque, comme cela avait été le cas lors de l’accident d’Anthony. Le requin était encore présent sur les lieux et il n’y avait aucun doute sur sa responsabilité. « Si un chien attaque un homme, on l’euthanasie, mais on ne va pas abattre tous les chiens du quartier », argumente Martine Cornaille qui renvoie à l’étude du Dr Eric Clua sur l’identification fine des animaux mordeurs à partir de recherches ADN, de photogramétrie, de balises… qui peut améliorer la sécurité des usagers en mer.

Le chercheur déconseille l’éloignement des mordeurs ainsi que les prélèvements aléatoires, mais préconise effectivement l’euthanasie des individus déviants après recherches scientifiques, une déviance qui, a-t-il rappelé, est inhabituelle pour ces animaux (la morsure alimentaire représente « moins de 5 % des cas de morsure »). « Nous voulons montrer qu’il y a une autre voie que la guerre aux requins », ont conclu les représentants sachant qu’« il n’y a pas un Calédonien qui ne veut pas vivre en paix avec les requins ». Interrogée, la province Sud précise qu’une lettre a été envoyée aux organisations avant cette conférence pour leur proposer une prochaine réunion de suivi du plan requin.

C.M.

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