Une pétition pour donner une seconde vie à la maison Ohlen

Cette maison du sixième kilomètre est à elle seule un morceau de l’histoire calédonienne. Sa propriétaire, Valérie Ohlen, lance aujourd’hui un appel aux collectivités pour préserver ce patrimoine.

L’histoire de cette maison remonte à plus de cent ans. Le premier acte enregistré par l’administration coloniale remonte à 1859. À l’époque, le gouverneur Saisset attribue une parcelle d’un peu plus de neuf hectares à Alphonse Bourgoin. L’année suivante, le terrain est revendu à Monsieur Ralph, qui le fait entrer dans les avoirs d’une société fondée à Melbourne. Cette société sera dissoute dix ans plus tard. Un des actionnaires rachète la totalité des terrains de la société et entreprend la construction de la demeure, aux alentours de 1880. La pierre utilisée pour la réalisation de l’édifice vient directement de la colline attenante et la main d’œuvre est fournie par l’administration pénitentiaire.

Une partie du terrain qui comprend la maison est ensuite vendue à Anastase Driez en 1893. Ce charcutier est probablement celui qui a achevé sa construction. En 1896, il loue la demeure qui est transformée en hôtel-restaurant. Elle devient le « Moulin-Rouge », un des premiers lupanars calédoniens, si ce n’est le premier. Malgré la fréquentation des chasseurs en partance pour Païta, Anastase Driez fait faillite et l’établissement est vendu deux ans plus tard, en 1898, à Jules Prosper Dubua.

Un entretien qui coûte très cher

La maison change ensuite plusieurs fois de main avant de devenir la propriété de Charles Louis Ohlen, un propriétaire de Païta, qui fait également l’acquisition des 70 hectares de terrain qui s’étendent jusqu’à Rivière-Salée. Détail amusant, le relevé cadastral de l’époque délimite alors le terrain grâce à des barrières, des tuyaux et même un caillou. Charles Ohlen est un homme d’initiative. Dans les années 60, il entreprend le lotissement d’une partie de son terrain qui couvre une partie de Rivière- Salée avec l’idée de permettre à des ouvriers d’accéder à la propriété en leur avançant l’argent. Valérie Ohlen garde précieusement les archives de son grand-père dans une malle. On peut y trouver les relevés cadastraux, mais également les livres de comptes qui ont permis de suivre les remboursements des personnes ayant acheté des terrains à Rivière-Salée dans les années 60.

Cet esprit, qui a animé Charles Ohlen, fait la fierté aujourd’hui de sa petite-fille, Valérie, qui a hérité de la maison de son père Guy, qui en avait lui-même hérité en 1971. Guy sera le seul propriétaire puisque son frère, Charles, le capitaine de La Monique, disparaît avec son navire dans la nuit du 1er août 1953. Depuis vingt ans, Valérie Ohlen, enseignante en histoire, œuvre à la préservation de cette demeure. Pour des raisons de santé et ne pouvant la transmettre à ses enfants, elle en appelle aujourd’hui aux collectivités pour l’aider à sauver ce morceau de patrimoine calédonien. Si la maison est toujours entretenue, sa propriétaire a de plus de difficultés à financer les travaux, bien que pour la première fois, elle ait bénéficié d’une aide.

Il faut dire que l’entretien d’une maison coloniale coûte cher. À tel point que de nombreux propriétaires préfèrent aujourd’hui les laisser tomber en ruine en attendant de pouvoir les raser pour laisser place à des promotions immobilières. Les collectivités apportent pourtant une aide à la rénovation dans le cadre du classement des bâtiments historiques. La délibération du 24 janvier 1990, relative à la protection et à la conservation du patrimoine dans la province Sud, qui a été régulièrement modifiée encadre le montant des aides pour les bâtiments classés (de l’ordre 50 % et jusqu’à 70 % de manière exceptionnelle) et les bâtiments inscrits sur l’inventaire supplémentaire (de l’ordre de 30 %). Le texte prévoit bien que la province puisse se substituer totalement au propriétaire, mais dans des cas très particuliers et après une procédure judiciaire, ce qui a de quoi décourager. En contrepartie, les travaux envisagés par les propriétaires sont encadrés de manière stricte de sorte que le bâtiment soit préservé dans son état au moment du classement. Si le texte est une avancée pour la préservation du patrimoine calédonien, il présente certaines faiblesses.

Un cadre trop rigide

La plupart des propriétaires voient aujourd’hui le classement comme une véritable contrainte, sans même parler des délais d’instruction. De fait, lors du rachat de la villa de l’Amirauté, le classement avait enregistré des modifications réalisées par l’armée, postérieurement à la construction, ce qui empêchait son aménagement pour la transformer en restaurant. Cet exemple illustre la rigidité du texte qui conduit parfois à des incohérences, mais surtout les obstacles qu’il dresse pour faire vivre le patrimoine. Au-delà de préserver des bâtiments, toute la question est de savoir à quoi ils peuvent servir. Et c’est bien là que le bât blesse. En dehors du château Hagen, racheté par la province Sud, qui accueille quelques expositions et des scolaires, ou de la maison Higginson, acquise par la ville de Nouméa et convertie en lieu d’exposition, les collectivités sont plutôt en peine à trouver de nouvelles destinations pour ces lieux particuliers.

Comme le montre la pétition lancée par Valérie Ohlen, les Calédoniens sont pourtant attachés à ce patrimoine. Et la volonté de la propriétaire est précisément de vouloir leur rendre ce lieu. Elle propose même quelques idées aux élus qui se montreraient intéressés. Elle imagine en particulier un lieu d’accueil pour les femmes victimes de violences ou encore une ferme pédagogique où seraient également organisés des ateliers autour des questions écologiques. Les quelque 500 mètres carrés des bâtiments permettent de laisser libre-court à l’imagination. Si Valérie Ohlen veut aujourd’hui passer la main, elle souhaite précisément que la maison, qui a fait partie de sa famille pendant près de 100 ans, se retrouve entre de bonnes mains.

M.D.