Huit mois après le début des émeutes, les chantiers de démolition restent encore peu nombreux. Beaucoup d’entreprises attendent les indemnisations des assurances.
À Montravel, Le Froid fait partie de ces quelques sociétés à avoir entamé la démolition de ses bâtiments, incendiés dès la nuit du 13 mai. Le processus comporte trois phases. La première vient d’être réalisée. Il s’agit de « la mise en sécurité du site avant la saison cyclonique », explique Nicolas Troboas, directeur général. La deuxième consiste en la mise à nu de la dalle et la troisième prévoit « un traitement de dépollution ». Coût de l’opération hors dépollution, 330 millions de francs que l’entreprise finance, n’ayant toujours pas reçu le remboursement des assurances.
« En mode survie » depuis les exactions, Le Froid envisage pourtant de reconstruire. Possiblement ailleurs. Il faudra le pouvoir. « Nous sommes motivés, mais il y aura une discussion avec les assurances, qui peuvent nous imposer la reconstruction en l’état afin de toucher les indemnisations. Nous devons définir si elles nous permettront une flexibilité sur l’emplacement géographique. »
VERS UNE ACCÉLÉRATION DES REMBOURSEMENTS ?
La marque historique et emblématique du territoire constitue un bon exemple des problématiques actuelles. Celles des indemnisations, d’abord, qui tardent. « Les délais sont anormalement longs », estime la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), qui craint que cette lenteur ne mette en péril la capacité des structures « à surmonter les difficultés financières engendrées par ces délais et ne conduise certaines d’entre elles à la liquidation ». Les négociations avec les assurances seraient âpres concernant ce qui doit être pris en compte.
Christophe Dauthieux, vice-président de la CPME secteur BTP, évalue qu’environ seulement 10 à 15 % des bâtiments brûlés ont été démolis. « Si on atteint 60 % à la fin de l’année, ce sera bien. » Christopher Gygès, membre du gouvernement en charge de l’économie, indique avoir pris contact avec les assureurs. « Les responsables m’indiquent qu’une accélération devrait s’opérer dans les prochaines semaines, maintenant que les rapports d’expertise ont été rendus. »
Dans ces conditions, Christophe Dauthieux n’envisage pas que la reconstruction puisse « démarrer avant l’année prochaine ». Surtout, ayant observé un effet d’aubaine dont essayent de profiter certaines entreprises, l’entrepreneur appelle à la vigilance. Et incite les autorités à davantage contrôler. « Il faudrait créer un permis de démolition afin d’encadrer les opérations et assurer un meilleur suivi des chantiers, notamment concernant le sort des déchets. »
QUE L’ÉTAT GARANTISSE LES ÉMEUTES
Là aussi, cette étape de la reconstruction risque d’être freinée par ce que Cédric Faivre, directeur du Medef, considère comme étant un des problèmes majeurs : la suspension de la garantie émeutes, qui augmente le risque pris par les entreprises et entrave le financement bancaire. « Les banques rechignent à financer un projet qui n’est pas assuré ou moins assuré. Et si le risque est plus important, le coût sera plus important. »
La question de la réassurance inquiète particulièrement la CCI. « Certaines compagnies ont récemment annoncé se retirer du marché des professionnels et résilient les contrats à échéance, laissant les entreprises dans un “no man’s land” assurantiel. » Rendant ainsi difficile voire impossible l’accès au crédit, à la reconstruction, etc.
La seule solution, défend Christopher Gygès : que l’État garantisse le risque émeutes en Nouvelle-Calédonie. « Je souhaite que ce sujet soit évoqué dans le cadre des discussions institutionnelles en février. Localement, on travaillera pour que ce fonds puisse se mettre en place rapidement afin d’offrir une réassurance à un prix compétitif. »
Autre impératif, plaident les organisations patronales : la simplification des démarches administratives. Christopher Gygès propose la mise en place d’un guichet unique, « un gros toilettage des règles », « la réduction des contraintes liées à la reconstruction », la délivrance plus rapide d’autorisations, ou encore la recherche « d’aides auprès de l’État, de fonds européens ou d’autres organismes ». La réponse doit venir de Paris, souligne Cédric Faivre. Sans « un soutien massif », la Nouvelle-Calédonie, « au bord de l’effondrement », n’aura pas la capacité de se relever, ce qui inclut « une visibilité sur les aides et le financement du chômage partiel », ainsi qu’une « politique de grands travaux ».
Assurances : environ 20 % des indemnités versées
D’après le bilan de France Assureurs du 24 novembre, 3 470 déclarations de sinistres ont été enregistrées, pour un coût estimatif global de 120 milliards de francs. Les dommages aux biens des professionnels représentent 49 % des sinistres et 96 % de la charge totale. 80 % des sinistres (2 780) nécessitent une expertise. 91 % des expertises (2 530) ont été réalisées et 83 % (2 310) ont au moins émis un prérapport. Des indemnités ont été versées pour 75 % des sinistres déclarés pour un montant de 16,5 milliards, soit près de 20 %. Un chiffre « un peu en trompe-l’œil, indique Cédric Faivre, directeur du Medef, car il concerne l’ensemble de la sinistralité, c’est-à-dire les dommages matériels et la perte d’exploitation. Or, ces dernières ne sont remboursées qu’une fois la reconstruction et la reprise d’activité effectuée. Donc ce n’est pas aussi mauvais que ça en a l’air, mais c’est en retard et cela n’avance pas beaucoup ces derniers temps ».
Anne-Claire Pophillat